Dans le nouveau monde, travailler gratuitement pourrait être considéré comme un service rendu


PAR LILIANE HELD-KHAWAM

Le texte que nous publions date de 2018. Il est extrait du livre “Dépossession – Comment l’hyperpuissance d’une élite financière met Etats et citoyens à genoux” par Liliane Held-Khawam, préface du prof. Marc Chesney, Editions Réorganisation du Monde. Economiste d’entreprise et entrepreneure libano-suisse, l’auteure milite activement depuis 1989 pour une réhumanisation de l’économie. Elle est la fondatrice et l’animatrice du blog de Liliane Held-Khawam, dont infoméduse a repris des contributions à plusieurs reprises. A l’occasion de la fin du confinement lié à la crise du Covid-19, nous l’avons interviewée le 1er juin 2020 en son domicile vaudois (lien youtube ici), en la questionnant sur la BNS, une institution à propos de laquelle elle écrit régulièrement de manière souvent critique.

Il semble bel et bien que nous soyons entrés dans une phase de modification de paradigme. L’accumulation des richesses planétaires ont servi, servent et serviront encore à financer le changement radical de l’organisation de la vie sur terre. Grâce aux messages audiovisuels, les médias et autres réseaux accompagnent cette mutation en nous amenant à changer notre manière de voir les choses. Ainsi nous quitterions un monde organisé autour d’États publics centrés sur le citoyen pour envisager une vie qui s’inscrirait dans un Système-monde. 

Quid de l’être humain dans ce nouveau monde ? L’élite détenant les richesses de la planète ne veut plus être malade ou mourir. La science est chargée d’apporter sa réponse. Elle est si exaltée qu’elle travaille avec acharnement en imaginant un monde où l’homme est immortel. Un charlatanisme pour certains, mais les milliardaires veulent y croire et diffusent l’information pour nous en convaincre. Dans son ouvrage «Sapiens, une brève histoire de l’humanité », le professeur Y. N. Harari -que Mark Zuckerberg, Barack Obama, et Bill Gates encensent- y écrit : « On pourrait donc imaginer une petite élite de « superhumains » milliardaires[1] bénéficiant de très longues vies et de capacités augmentées, et un fossé plus abyssal que jamais entre ces derniers et la masse de pauvres sans emploi et « inutiles »… ».[2]

Les uns seront immensément riches, et les autres seront dans un système que Shimon Pérès appelait de « service ». D’autres parlent élégamment « d’économie de partage ». En tout cas, travailler gratuitement pourrait être considéré dans le nouveau monde comme un service rendu. 

Le problème est que ceux qui parlent d’un monde meilleur, où tout individu recevrait un revenu de base universel, où la propriété privée serait abolie, où la vie intime de l’humanité serait aussi transparente que celle du poisson rouge dans son bocal, omettent d’analyser le contexte global.  Celui-ci est celui d’une planète qui aura été privatisée à un niveau global. Certes peu tangible au niveau local, mais cela ne change rien au fait qu’elle serait aux mains de propriétaires et de leurs gestionnaires totalement inconnus, car cachés derrière des sociétés-écrans. Personne ne sait quel rôle y joueraient les membres de la mafia, par exemple.

Dans pareil environnement, l’humain pourrait bien être exploité à l’envi et le mot « servir » pourrait parfaitement laisser la place à « asservir ». La chose serait facile à implémenter grâce à la connexion permanente aux systèmes informationnels. L’arrivée subite de la technologie blockchain au lendemain de la crise des subprimes, la surveillance permanente par les entreprises de la technologie de la Silicon Valley, et la promotion du post-humanisme, sont des concepts-clés qui nous indiquent la vision des nouveaux maîtres des lieux. »

[1] A l’heure où nous écrivons, Elon Musk, patron et actionnaire à 20% de Tesla, vient de se voir accorder 56 milliards de dollars de rémunération. (Oui milliards et non millions). Cette somme est fondée sur les performances boursières sur les 10 prochaines années de Tesla, censée devenir une des plus grandes entreprises par capitalisation boursière… (Source AWP)

[2] « Transhumanisme et intelligence artificielle : un buzz à dégonfler », Mediapart, Serge Escale, octobre 2015 

Liliane Held-Khawam interviewée par Christian Campiche le 1er juin 2020.

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