PAR GENEVIEVE AUROI-JAGGI
Le texte que nous publions est extrait du livre de Geneviève Auroi-Jaggi, “Les mains de l’exil – Partir pour réussir”, publié aux Editions Saint-Augustin, 2020. Ancienne correspondante au Pérou de la Radio Télévision Suisse romande, l’auteure s’inspire, avec une grande sensibilité et un talent narratif certain, de la trajectoire d’une femme qui a quitté les campagnes pauvres des Andes pour s’installer à Lima avant de parcourir le monde avec l’idée fixe de s’en sortir. A Genève, notamment, elle travaille au noir et vit une expérience difficile. Arrêtée par la police, elle est expulsée. A force de ténacité, confiante dans sa bonne étoile, Elodia finira par réussir son pari. Spécialisée en thérapies alternatives, elle exerce aujourd’hui dans son propre cabinet à Lima. Réd.
Je m’appelle Elodia. Je suis Péruvienne. Dès ma naissance, penchés sur ma couche, les dieux me dotaient de mains exceptionnelles. Deux coups de baguette magique traçaient mon destin.
Mes mains ont contribué à me construire, à sculpter mon caractère, à accompagner mon devenir, à profiler mon être. Sur le clavier de la vie, en virtuose, elles ont joué tant de gammes que, pour m’en souvenir, je dois fermer les yeux et me concentrer. Dans un décor flou, défilent les scènes les ayant inspirées. La musique tout intérieure rassemble les images de mes mains nanties, gagnantes, nomades, clandestines, professionnelles et même, un beau jour, menottées par la police genevoise.
A l’instant, ma paume caresse un dos chargé de souffrance. J’appuie. Je m’abandonne au cœur des chakras. Des perles de sueur glissent sur mon front.
Je transpire. Je multiplie les pressions. Du gravier grince dans la nuque de la femme étendue devant moi sur la table de massage. Une douleur burine son visage tendu. Ses vertèbres coincées crissent. Elles appellent au secours.
Je cible son mal pour tenter de l’enrayer. Tout en douceur, je pratique une technique coréenne traditionnelle: la Korean Hand Acupuncture Therapy, l’acupuncture par la main, ou l’acupressure. Cette méthode asiatique allège les maux par des pressions exercées subtilement sur les terminaux des organes du corps logés au centre de la paume.
Je soigne en profondeur en visant des points stratégiques à l’aide d’un instrument de bois rond comme un petit bâton, semblable à un crayon. J’apprivoise le disfonctionnement. Je raccommode les corps. Je restaure. J’extrais des profondeurs les forces logées à l’intérieur. Comme les rayons de lumière naissant entre les plis des nuages, l’énergie transparaît sur le visage de ma patiente et l’illumine.
Ce travail remplit ma vie, me comble et pousse ma curiosité à en savoir toujours plus pour exercer mieux. Pour vivre tout simplement mon humaine destinée nourrie de desseins partagés.
Chaque jour, je perpétue ces mêmes gestes.
J’avais d’abord choisi d’exercer le métier d’esthéticienne. Au bout d’un certain temps, lassée, comme pressée par un sentiment de survie, j’ai renoncé à injecter du botox et à multiplier des artifices participant de l’éphémère. Je n’avais que faire des mensonges inventant l’éternelle jeunesse. Je voyais d’un très mauvais œil ces slogans ressassés à coup de campagnes médiatiques ciblant des dames en perpétuelle recherche de restauration de façade ayant, comme en urgence, une envie de renouveau pour combler un vide existentiel.
C’est ainsi que je me suis tournée vers la prévention. J’ai fini par me lancer corps et âme dans l’étude de pratiques alternatives. J’ai cherché à m’approprier des gestes nouveaux pour tenter de redonner de la confiance ou pour alléger des corps en souffrance. Dans mon parcours initiatique, j’ai eu la chance de côtoyer un grand maître coréen Yoo Tae Woo. Le sage, épris de mes mains douées, m’a légué tous ses secrets. Devenu mon mentor, il m’a formée et transformée.
Avec l’apprentissage des techniques asiatiques, j’ai emprunté les chemins de la vie autrement.