Au Pérou, la corruption s’est invitée avec insistance durant l’état d’urgence


PAR PIERRE ROTTET

Après 107 longs jours de confinement total, ou supposé tel, le Pérou a ouvert mercredi 1er juillet les vannes d’un déconfinement progressif dans le pays, y compris à Lima, l’incandescent foyer pourvoyeur de cas et de victimes de la grande faucheuse. Déconfinement ? Aux compte-gouttes cependant, puisque sept régions péruviennes demeureront jusqu’à nouvel ordre soumises théoriquement a une immobilisation totale.

Entre inquiétude et soulagement, inquiétude surtout, saupoudrée de peurs et de craintes, d’angoisses, après plus de trois mois de confinement supposément absolu, l’annonce du gouvernement était attendue avec impatience par les milieux économiques et les commerçants, notamment. Par les travailleurs. Informels surtout ! Enfin, par tout ce qui, par le travail, est censé trouver de quoi gagner son pain. Devrait pouvoir le faire !

Elle est cependant loin de faire des heureux, que des heureux, cette clarification, puisque le décret du président Martín Vizcarra stipule que les enfants et adolescents de moins de 14 ans ainsi que les personnes de plus de 65 ans, victimes expiatoires et alibi des incohérences du système, poursuivront la désormais mal nommée quarantaine. Qui n’en finit pas de finir ! Concession accordée aux gosses, enfin aux jeunes: ils pourront désormais se dégourdir les jambes 30 minutes de plus, soit durant une heure en compagnie d’un adulte. Et à moins de 500 mètres du domicile. Dérisoire décision, paravent pour masquer des flots d’incompétences. Quant aux vieux… 

Avec une marge de manœuvre de plus en plus réduite, face au dilemme d’un pays martyr, économiquement étouffé, moribond, et une courbe toujours ascendante des cas de covid et de décès, le président Vizcarra ne pouvait guère étendre ses mesures de confinement au-delà d’un interminable décompte des jours d’isolement déjà imposés. Au bout du compte avec des effets malgré tout mitigés, pour ne pas dire plus, dévastateurs, encore et toujours, en dépit de ce qu’avance aujourd’hui un gouvernement qui navigue à vue depuis pas mal de temps, à savoir que, selon lui, la pandémie est actuellement en phase «descendante». Alors même que le pays déplore quotidiennement plus de 100 décès – 186 pour la journée du 2 juillet. Et des milliers de nouvelles victimes du virus.

Au 1er juillet, au premier jour du déconfinement, la réalité des chiffres – 3’527 nouveaux cas en un jour, et une escalade du nombre de décès aujourd’hui supérieur à 10’000, pour ceux officiellement recensés ! – tendent à démontrer l’échec des mesures prises pour endiguer la pandémie. Dans tous les cas, les failles béantes d’un système de santé honteux, hospitalier notamment, une pénurie crasse d’équipement médicaux, mises sous le boisseau depuis des décennies voire tellement plus longtemps par les autorités successives. Cherchez l’erreur ! 

Pas surprenant, dès lors, de voir le Pérou occuper le peu glorieux second rang des pays les plus touchés d’Amérique latine. Derrière le Brésil de Bolsonaro, un pays qui, sur le continent américain, à l’instar des Etats-Unis de Trump, figurent hors catégories dans la statistique des Etats ayant donné le plus libre cours, pour ne pas dire libre parcours au virus-tueur.

Pas étonnant, non plus, le constat à propos des chiffres des victimes de ce virus, qui résonnent comme une addition d’incohérences en matière de santé au Pérou, avec son budget de 3,1%, le plus bas d’Amérique latine. Des peanuts, en comparaison avec ce que consentent Cuba et le Costa Rica, par exemple: respectivement 10% et 6,8%. Et dans tous les cas bien inférieur à des pays comme le Chili, l’Argentine, l’Equateur ou la proche Bolivie, notamment, pays andin au bénéfice d’une politique sanitaire héritée du néanmoins controversé Evo Morales, ex-président en exil en Argentine, avec moins d’un dixième de décès par rapport au Pérou.

Il aura fallu près de 4 mois pour mettre en pièces le système de la santé publique du Pérou. Quatre mois pour mettre en évidence les failles sur lesquelles reposent toutefois la société péruvienne : les inégalités sociales, en dépit des discours répétitifs et creux chers depuis des décennies aux politiques en faveur d’une inclusion sociale qui, à la manière de « sœur Anne » ne voit rien venir; l’éducation nationale et son système d’instruction fondé sur la naissance et le pouvoir de l’argent plutôt que sur le savoir personnel.

Dans une interview accordée la semaine passée au quotidien « La Republica », le sociologue Nicolas Lynch met lui aussi le doigt sur les carences de l’Etat. Qui ne datent ni de cette présidence, ni de ces seules dernières années. Mais de bien plus avant, sans pour autant faire l’objet de réformes en profondeur. Réelles et non discoursives. « Malgré la rigueur de la quarantaine, l’échec de celle-ci se doit à nos déficiences, qui apportent des réponses médiocres en matière de santé, d’éducation et de retraites. Cela se doit à un modèle aujourd’hui néolibéral, hier oligarchique ».

L’anthropologue Carlos Monge enfonce un peu plus le clou : « La corruption et les carences qui nous arrivent en droite ligne de notre passé empêchent une réponse opportune aux insuffisances existantes ». Et comme pour faire écho à cette constatation, le procureur anti corruption de la région du Callao estime que non seulement la corruption ne s’est pas arrêtée une minute durant le confinement, mais qu’au contraire elle était devenue une pierre d’achoppement dans la lutte contre la pandémie. « La corruption a non seulement été plus notoire durant l’état d’urgence mais encore en a-t-elle profiter pour augmenter de façon significative », note-t-il.

Un héritage du passé, somme toute, jamais véritablement revu et corrigé, et encore moins remis en question au Pérou pour le plus grand bonheur des élites. Ce qui est loin d’être l’apanage du Pérou en Amérique latine !

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