Lettre à une sage-femme, dans un monde qui a perdu le sens de la sagesse


CHERE FATIHA,

Vous êtes belle, très belle. Elégante, sans aucune vanité. Vous offrez un sourire naturel au premier venu, en guise de bienvenue. Vos cheveux tombent, telle une cascade, sur vos frêles épaules. Et pourtant, vous portez, comme des millions de jeunes gens, le fardeau d’un monde qu’il (nous) sera coûteux de recoudre et de rapiécer.

Vous m’avez dit être née à Clichy, et dans mes cartons à dessins vous avez repéré un croquis fait dans cette ville, que je vous ai cédé à un prix symbolique. Et puis, j’ai la particularité, avec la bienveillance des autorités, de vendre très bon marché des croquis élaborés avec le cœur.

Les « gens » ont toujours un minimum de monnaie sonnante et trébuchante sur eux. Avec mes dessins, je ne gagne rien puisque je me prive de tout pour acquérir un matériel de qualité. Mais vous aussi, vous semblez faire abstraction de beaucoup d’objets futiles pour tracer votre chemin professionnel. Vous m’avez dit avoir vingt trois ans et par votre expérience vous parlez telle une dame d’au moins quarante ans, forte d’une expérience patiemment acquise.

Après tout, il y a le mot « sage », dans le métier que vous exercez déjà par des stages et un apprentissage sur le terrain, c’est-à-dire le rude milieu hospitalier.

Vous serez sage-femme, au terme de six ans de formation.

Monde à reconstruire

Souvenez-vous… la première chose que vous m’avez dite, lorsque vous êtes venue me parler : « Je ne sais pas même s’il faut mettre des enfants au monde. C’est une folie que de penser à ce qui attend les générations futures, quand les océans sous les effets du réchauffement climatique atteindront le plafond. » Jolie et lucide phrase, en vérité. Vous aiderez des mamans à mettre au monde des enfants qui, peut-être, souffriront le martyre en voyant se déliter une terre dont leurs parents et grands parents n’auront pas su ou pas voulu prendre soin.

Ce que j’ai admiré en vous, c’est le sentiment de paix que vous dégagez, même quand vous énoncez des choses graves. Entre nous, je plains les personnes de ma génération, qui ne savent pas écouter les jeunes gens comme vous, se retranchant derrière la nostalgie un peu blafarde d’un monde à reconstruire, comme s’ils souffraient d’avoir mauvaise conscience. Je suis dans la rue, je dessine dans la rue, j’y retournerai si je ne suis plus en mesure d’acquitter une partie d’un loyer partagé avec une personne aux qualités remarquables… Oui, je vis souvent à l’air libre parce que l’énergie que me communique toute une partie de la jeunesse me donne l’espoir d’un changement réel dans cette société en quête de repaires et d’âmes sincères. 

Quand régnait la confiance

J’ignore beaucoup de réalités. « Dans mon temps » (expression quelque peu ringarde), on n’avait pas besoin d’être bardé de diplômes et de certificats pour embrasser une profession. J’ai été accepté au concours d’entrée d’une école de journalisme à Paris sans même avoir fait Science Pô ou une école de management. Tout était plus simple car au crépuscule du siècle dernier régnait encore la confiance. Les « cerveaux » de la pub n’avaient pas encore habitué le peuple des consommateurs à se montrer malicieux, rusés, voire sournois. Soudain, il nous a fallu céder à tous nos caprices, sans y mettre le prix. Dès lors, le monde se mettait à appartenir à ceux qui ne percevaient pas l’émergence d’un monde fondé sur un nouvel esclavage : faire fabriquer à «low cost » des absurdités par des peuples auxquels, en échange, était proposé le décollage économique. Les pays émergents étaient alors à la mode. 

Le prix de la vie

Mais vous, chère Fatiha (nom fictif, car je ne saurais vous valoir d’hypothétiques ennuis en vous citant nommément), vous savez le prix réel des choses et de la vie, à tel point que pour accéder à ce très beau métier, sage-femme, vous devez effectuer des ménages, dans une famille à Neuilly. Vos blouses d’aide-soignante, c’est même à vous de les payer cash. Quant aux bouquins édités par des maisons d’édition spécialisées, dont vous avez besoin pour étoffer vos connaissances sur la médecine, ils vous reviennent chacun, en gros, à une centaine d’euros. Oui, à 23 ans, vous savez le prix de la vie, vous savez aussi le prix de cette injustice que l’on découvre à force de se frotter à la réalité, de la conjuguer avec son destin personnel : l’égalité entre les êtres, figurant sur le fronton de nos mairies, n’existe qu’en rêve puisque certains doivent trimer beaucoup plus que d’autres, au prix d’énormes sacrifices, pour ensuite gagner durement leur croûte. La sage-femme que vous êtes déjà est d’abord une femme sage, s’appuyant sur des valeurs saines que tant d’autres piétinent allègrement.

Faire des ménages

Vous avez conscience que vous percevrez un smic et des poussières. Parfois quelques miettes de plus que les gouvernements successifs, feignant la miséricorde, accordent à des professionnels en proie à de lourdes responsabilités pour calmer une colère qui monte un peu partout.
 
Dieu merci, Fatiha, votre maman a eu le bonheur de se conquérir, de haute lutte, et sans faire de bruit, le statut de fonctionnaire, elle qui a aussi fait des ménages. C’est un arc-boutant sur lequel vous pouvez vous appuyer pour aller de l’avant, car pour aider des mamans à enfanter, il faut acquérir – et je me répète un peu trop – des connaissances insoupçonnées, un peu comme l’abeille qui prend le temps de faire son miel.

Et bien entendu, pour revenir au début de cet article, vous ne savez pas même si l’envie vous surprendra de « faire un enfant ». Vous mesurez les périls, infiniment plus menaçants que ceux au coin de nos rues actuelles, qui attendent les générations à venir.

Certains, déjà, disent qu’il faudra une « bonne dictature », mi (in)humaine mi high-tech, pour nous remettre sur le droit chemin.

Révolte et consternation

En tout cas, ce virus très sournois qu’est la Covid, vous savez qu’il existe vraiment. Vous m’avez affirmé avoir « assisté » des patientes dont l’enfant sortait du cocon maternel alors qu’elles étaient elles-mêmes porteuses du virus. Et vous m’avez dit, ensuite, le sentiment de révolte, mêlé de consternation, qui vous hantait lorsque vous songiez aux masques détruits (avons-nous cru percevoir) ou secrètement « cédés » à des gouvernements tiers… négoce qui allait bon train alors que Mme Agnès Buzyn feignait de ne pas voir ce fantôme viral frapper à notre porte… et quelques mois plus tard elle a choqué l’opinion publique en faisant d’étranges confessions. Pour se donner bonne conscience ou sous l’emprise d’inspirateurs quelque peu conspirateurs ?

Oui, de très hauts responsables savaient et ils jouaient avec nos vies, d’autant plus aisément que pour eux, se payer une tranche de jambon ou une tranche de saumon, cela ne fait aucune différence.

Citoyens véridiques


Alors, merci, Fatiha, de m’avoir consacré ces quelques minutes tandis que je dessinais à la tombée de la nuit, rue Montorgueil. Merci d’avoir ouvert, spontanément, votre cœur à un dessinateur aussi âgé que moi dont la consolation, face à la désolation où nous sommes si nombreux à avoir plongé, est de croiser des citoyens aussi véridiques et courageux que vous. Au milieu de cet été 2020 si crucial et teinté d’une certaine vague d’insouciance, vous m’avez ouvert une porte avec cette sagesse dont vous savez qu’elle est votre vraie richesse.

Puisse le monde vous aider à la préserver aussi longtemps que possible. Celui qui ouvre son cœur à autrui, sans rien attendre, est digne du plus grand respect.

Je vous souhaite une vie non point facile mais facilitée par votre amour de la vie. Et votre respect.

Avec mes sentiments sincères et, si vous me le permettez, amicaux.

Yann Le Houelleur

Le Nouveau Franc-Parler

Dessin de Yann Le Houelleur: Paris, rue Montorgueil

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