Pierre Jeanneret autobiographe, historien du local et voyageur

PAR YVETTE JAGGI

La septantaine atteinte, Pierre Jeanneret ressent le besoin de récapituler et de publier ses souvenirs, largement documentés comme il convient à l’historien qu’il est, servi par le goût et la facilité d’écrire. 

En deux ans, il compose son autobiographie. Cette œuvre de mémoire, il la veut sélective, écartant notamment «les aspects les plus personnels et les plus intimes, qui n’appartiennent pas au domaine public».

L’histoire familiale

Pierre Jeanneret parle en revanche de sa famille paternelle originaire de Saint-Imier, dont il évoque la tradition protestante porteuse de valeurs qui l’ont marqué, à commencer par le culte de l’effort et du travail. Ce qui lui permet de mener de front pendant des décennies son enseignement gymnasial et ses travaux de recherche historique. 

Et même sans avoir la foi, il doit beaucoup à la religion réformée: «Le recours rigoureux aux textes, l’importance accordée à l’étude, le libre arbitre, le sens des responsabilités envers la société et la nature, la préoccupation sociale.»

Sur le personnage exceptionnel que fut son grand-père, le docteur Maurice Jeanneret-Minkine (1886-1953), venu étudier et pratiquer la médecine à Lausanne, Pierre Jeanneret rédige une solide thèse de doctorat, publiée en 1991 sous le titre Un itinéraire politique à travers le socialisme en Suisse romande.

Partisan enthousiaste de la révolution bolchévique, l’aïeul se situe, dès son adhésion, à l’aile gauche d’un Parti socialiste vaudois dont il devient le leader; cette position provoque un conflit interne au Parti socialiste suisse (PSS) qui prononce même son exclusion momentanée. 

En 1932, à la suite à la fusillade qui fit treize victimes à Genève, Maurice Jeanneret prononce un discours antimilitariste dans lequel il traite le drapeau suisse de «panosse fédérale», ce qui lui vaut trois mois de prison et cinq ans de privation des droits civiques. En 1939, il participe à la scission du PSS et rejoint la Fédération socialiste suisse, interdite dès 1941 pour cause de cryptocommunisme. 

Après la Guerre, l’homme adhère au Parti ouvrier et populaire vaudois (POP), qu’il préside dès 1945 et jusqu’à son décès et qu’il représente au Conseil national de 1947 à 1952. Dans les mémoires des gens, celui qu’on appelait «le médecin des pauvres» reste, comme le rappelle son petit-fils, «une personnalité respectée et extrêmement populaire».

Le père de Pierre, Henri Jeanneret (1912-1992), fut aussi un médecin aux préoccupations sociales, manifestées dès sa thèse soutenue en 1936, intitulée L’influence du chômage sur la santé des familles de chômeurs et spécialement sur celle de leurs enfants. 

Autre analogie avec son père Jeanneret-Minkine: Henri était admirateur de l’URSS, au point d’aller y travailler une vingtaine de mois en 1936-37, autant dire à la veille des grandes purges. Selon son fils et mémorialiste, Henri Jeanneret commença alors à «perdre la foi mais il faudra des décennies pour qu’il finisse par abandonner toutes ses illusions sur l’Union soviétique».

Les études et l’enseignement

Né en 1944, Pierre Jeanneret suit de 1963 à 1969 les cours de la Faculté des lettres de l’Université de Lausanne, qui lui laissent sauf exceptions le souvenir d’une «grande médiocrité». L’histoire échappait heureusement à ce verdict, ce qui a renforcé son aspiration à se consacrer à un travail d’historien. 

Mais aujourd’hui encore, selon lui, malgré certaines ouvertures, les hautes écoles demeurent largement autocentrées, pour ne pas dire exclusives. Pierre Jeanneret constate avec regret leur tendance au repli sur elles-mêmes – et tout particulièrement leur manque de reconnaissance pour les chercheurs travaillant à l’extérieur des institutions universitaires, en particulier dans l’enseignement secondaire supérieur. 

De ses 35 années d’enseignement, vécues d’abord au Collège secondaire de l’Élysée, un établissement novateur dans les années 1970, puis plus durablement au niveau gymnasial, Pierre Jeanneret garde le souvenir d’une vocation accomplie, et ses élèves témoignent de cours d’histoire captivants, sans doute nourris par ses continuelles recherches et publications. 

Voyageur, mais historien avant tout

Car la production de l’auteur Pierre Jeanneret forme un ensemble impressionnant, consacré à l’histoire politique et sociale de la Suisse du siècle passé : une bonne trentaine d’entretiens vidéo avec des personnalités de la gauche romande, une quinzaine de livres, autant de contributions à des ouvrages collectifs, une vingtaine d’articles dans des revues historiques, autant de notices parues dans le Dictionnaire Historique de la Suisse. 

«À quoi, précise notre auteur, il convient d’ajouter environ 1000 articles et comptes rendus dans divers journaux et revues.» Dont près de 150 parus dans Domaine public, journal qui répertorie l’ensemble de ses contributions.

Si l’une des aventures éditoriales auxquelles Pierre Jeanneret s’est associé méritait une mention particulière, celle-ci reviendrait sans conteste aux Cahiers de l’Association pour l’étude de l’histoire du mouvement ouvrier (AÉHMO), qu’il a présidée dans ses premières années (1982-1989). 

Les Cahiers thématiques annuels de l’AÉHMO en sont à leur 36ème numéro, paru aux Éditions d’en bas en juin dernier, sous le titre Foi de militant·e·s  Engagement et valeurs chrétiennes. La prochaine livraison sera consacrée à l’histoire des rapports entre le mouvement ouvrier et la «classe difficile» des paysannes et des paysans, thème d’une actualité rehaussée par le développement de l’agriculture de proximité et des contacts ville-campagne intensifiés récemment par la pandémie.

Avec des pages sur sa famille, sur ses études ou sur ses nombreux voyages, le livre de Pierre Jeanneret est autant un dialogue avec lui-même qu’un récit sur les distances parcourues.

L’auteur a passé de longues vacances d’été au bord du Léman, notamment à Préverenges où son grand-père avait fait construire selon ses plans une maison inspirée par Le Corbusier – étonnante similitude des noms – qu’il admirait, ou à la montagne, que Pierre Jeanneret privilégie encore aujourd’hui.

Mais ces séjours locaux n’ont pas empêché de nombreux voyages, bien préparés, «s’étendant sur plus de six décennies et sur quatre continents», l’Océanie mise à part.

Parsemées de rencontres, ses pérégrinations témoignent d’un intérêt qu’il confesse plus vif pour les richesses architecturales, artistiques et surtout archéologiques que pour les contacts humains.

Pierre Jeanneret, Enseignant, historien et voyageur. Un parcours de vie, Éditions de l’Aire, 2020, 243p.

Domaine Public

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