Vous êtes tous Charles Ponzi!


PAR MICHEL SANTI

“Donnez un million à Ponzi”, lançait le Wall Street Journal dans un article du 2 août 1920, «et il vous les rendra 25’000’000 après un an, 657’000’000 après deux ans et 16’885’000’000 après trois ans. Les Alliés devraient lui confier un million afin de solder leurs dettes de guerre et l’Allemagne pourrait éponger les phénoménales réparations dues aux vainqueurs en quatre ans» !

Ce journal, alors de référence absolue en matière financière, semblait ainsi avoir trouvé la solution pour faire disparaître les immenses dettes générées par la Première guerre mondiale. Cette martingale se nommait donc Charles Ponzi (photo DR) et promettait à ses investisseurs de doubler leurs capitaux tous les trois mois grâce à des arbitrages sur des coupons impliquant le billet vert et la lire italienne par la courroie de transmission des services postaux. «Des files gigantesques d’investisseurs se pressent depuis la City Hall Annex, à travers la City Hall Avenue et la School Street jusqu’à l’entrée du Niles Building le long des corridors et jusqu’à mon bureau» écrivait Charles Ponzi … car il n’y avait en fait pas suffisamment de coupons sur le marché mondial pour répondre à la folle demande de ces épargnants subjugués par l’appât du gain. Il fut, dès lors, extrêmement tentant à Ponzi de créer une chaîne où les nouveaux dépôts réglaient les bénéfices des investisseurs antérieurs.

C’était il y a un siècle, mais le schéma se renouvelle sans cesse et sans que nul ne questionne jamais la source de tels profits faciles, ni que quiconque ne soit intrigué par l’ampleur et par la régularité quasi mathématique des bénéfices. Et pourquoi, du reste, vérifier quoique ce soit puisque seuls comptent les juteux profits ? Constatation de Charles Ponzi lui-même: «l’espoir et l’avidité est décelable chez tout le monde». Par la suite, les perdants –  c’est-à-dire ceux qui ne se sont pas retirés à temps – subissent une double peine se disant qu’ils auraient dû se douter que de tels bénéfices étaient trop beaux pour être vrais, tandis que d’autres se consolent comme ils le peuvent en constatant qu’ils ne sont pas les seuls à s’être faits gruger…

Pour autant, il serait erroné et naïf de croire qu’un Ponzi est toujours synonyme d’illégalité. Les bulles spéculatives – innombrables depuis l’ère moderne – caractérisées par des envolées de classes d’actifs dénuées de toute rationalité et déconnectées de toute justification économique sont les héritières directes de Ponzi car les nouveaux entrants rémunèrent à tous les coups les plus anciens. Ces fièvres ne sont certes pas l’œuvre d’une personne ayant réalisé un montage frauduleux, mais banalement la résultante d’une contamination collective saisissant banquiers, médias, réseaux sociaux et citoyens ordinaires. Charles Ponzi, en somme, est partout: quand une entreprise emprunte pour payer les intérêts de sa dette, et même quand un Etat va sur les marchés pour s’endetter afin d’être en mesure d’assumer les retraites de ses citoyens.

Michel Santi est l’auteur du livre “Le testament d’un économiste désabusé“.

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