Chronique catalane – Les dérapages de hauts gradés de l’armée inquiètent les démocrates espagnols


PAR FRANCOIS GILABERT

Un nouveau scandale a éclaté le week-end dernier en Espagne. Du jamais vu en Europe occidentale depuis la guerre.

Une centaine de hauts gradés ont adressé une lettre au Roi d’Espagne, Felipe VI, et une autre au Président du Parlement européen, David Sassoli. Il s’agit d’anciens généraux, colonels et hauts dignitaires de l’armée de l’air et de terre espagnole à la retraite, ainsi que d’ex-membres du CNI, les services secrets espagnols. Ils accusent le gouvernement actuel de mettre en danger l’unité nationale et plébiscitent un discours que Vox (mouvement d’extrême-droite espagnol, dirigé par Santiago Abascal) a tenu au congrès lors d’une motion de censure contre le gouvernement. Celui-ci est taxé par les rédacteurs de ces lettres de « social-communiste, appuyé par des etarraphiles (ETA) et des indépendantistes » qui menacent de décomposition l’unité nationale. Ils réitèrent leur loyauté au Roi « dans ces moments difficiles que vit la patrie » et l’invitent à prendre des mesures. En Espagne, le Roi Felipe VI est le commandant suprême des forces armées espagnoles, pouvoir qui lui a été conféré par le Général Franco avant d’être inclus dans la Constitution de 1978.

Plus grave, ils critiquent le projet de révision de la loi sur le pouvoir judiciaire et de son organe directeur, le conseil du pouvoir judiciaire proposé par le 1er ministre actuel Pedro Sanchez. Il faut rappeler que la commission Européenne a reproché à l’Espagne son retard à relever de ses fonctions l’actuel Président, Carlos Lesmes, qui aurait dû quitter son poste il y a deux ans déjà. Le Juge Lesmes est proche du parti populaire et de José-Maria Aznar et avait été nommé durant la législature de Mariano Rajoy. Il a présidé le Tribunal Suprême lors du procès des indépendantistes catalans et avait admis le chef d’accusation de rébellion violente, ramené au cours du procès à un délit de sédition, d’ailleurs condamné par Amnesty international. Il avait également accepté que Vox soit admis comme « accusation populaire » et défendu la thèse que les magistrats jugeant l’affaire représentaient « une énorme pluralité idéologique ». De fait, le verdict envers les ministres catalans et les leaders pacifiques fut des plus disproportionnés.

Le signataire d’une des lettres adressées au Roi n’est autre que Francisco Beca Casanova, ancien général de division de l’armée de l’air, qui propose dans ses messages, tenez-vous bien, l’extermination par fusillade de tous les espagnols qui ont des idées de gauche ou indépendantistes. Pour cela, ajoute-t-il, « il va falloir 26 millions de balles ». Mais ce n’est pas tout, si ces propos comportent des contenus délirants, d’autres messages suggèrent de promouvoir un coup d’état, le bombardement du siège de l’Assemblée Nationale Catalane (association indépendantiste civile et pacifique) et des opérations militaires contre les civils, mentionnant aussi la mort d’enfants.

L’actuel chef de l’Etat-Major de la Défense, le général Miguel Angel Villaroya, est immédiatement intervenu auprès des médias pour assurer que les opinions de ces personnes ne peuvent être représentatives et servent à détruire l’image des forces armées, de même qu’à provoquer la confusion dans l’esprit des citoyens. Le ministère de la Défense a remis l’affaire au Tribunal de Justice de Madrid. Reste qu’il ne s’agit pas d’une tentative isolée. Un autre haut-gradé à la retraite, et pas des moindres puisqu’il s’agissait d’un ex-chef de l’état-major des forces armées espagnoles, Luis Alexandre Sintes, s’était déjà manifesté en août 2018 par la rédaction d’un manifeste de glorification du Général Franco, lors du transfert de sa dépouille du Valle de los Caïdos (monument franquiste érigé en mémoire des victimes de la guerre civile) au Panthéon national de Mingobbio-El Pardo. Ce document a été signé par plus de 181 ex-militaires réservistes du haut commandement et, par la suite, cosignés par plus de 700 ex-officiers.

Faut-il craindre que ces actes soient perçus comme un soutien au retour du totalitarisme mettant en péril une démocratie espagnole déjà bien fragile depuis la transition de 1978? L’inquiétude est palpable chez les démocrates. Le Roi, lui, brille par son silence.

Capture d’écran: Défilé de légionnaires lors de la fête nationale à Madrid, octobre 2018.

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