Pierre Jeanneret, un parcours de vie


PAR HUGUETTE JUNOD

C’est toujours intéressant de mieux connaître un confrère en lisant ses livres. Je me suis donc plongée avec impatience dans son dernier, parce qu’il en a déjà publié une quinzaine, essentiellement des livres d’histoire, dont des biographies, et participé à 16 ouvrages collectifs. Il a en outre rédigé une vingtaine d’articles parus dans des ouvrages historiques, réalisé 35 interviews vidéo, sans compter les petits films qu’il a tournés avec des élèves dans le cadre de son enseignement, au Collège puis au Gymnase. Il commence sa biographie par son origine, à Richterswil du côté maternel, vieille bourgeoisie zurichoise. Le grand-père Karl Binder (1884-1918), mort quand Pierre avait 4 ans, était fondé de pouvoir dans une grande maison de tapis,pour laquelle il faisait annuellement un voyage à Istanbul. Pierre était attaché à sa grand-mère.Mais il a été davantage marqué par ses origines paternelles, originaires du Locle, dont un ancêtre fonda en 1866 une fabrique d’horloge-rie.

La famille cultivait des valeurs protestantes, notamment le culte de l’effort et du travail, qui ont forgé Pierre. Il insiste sur son grand-père, le docteur Maurice Jeanneret-Minkine (1886-1953), partisan de la révolution bolchévique, se situant à la gauche du Parti socialiste vaudois dont il devient le leader, jusqu’à son exclusion. En 1932, à la suite de la fusillade qui fit 13 victimes à Genève, Maurice Jeanneret prononce un discours antimilitariste dans lequel il traite le drapeau suisse de «panosse fédérale», ce qui lui vaut trois mois de prison et cinq ans de privation des droits civiques! Il adhère au Parti ouvrier et populaire vaudois (POP), qu’il préside dès 1945 jusqu’à son décès et qu’il représente au Conseil national de 1947 à 1952. Dans les mémoires des gens, celui qu’on appelait «le médecin des pauvres» est une personnalité respectée et populaire. Pierre lui consacra sa thèse de doctorat sous le titre Un itinéraire politique à travers le socialisme en Suisse romande (1991).

Une tante d’origine russe lui donna le goût de la Russie, sur laquelle il fit de nombreux cours à ses élèves. Son père Henri (1912-1992) fut aussi un médecin aux préoccupations sociales, qui initia son fils aux arts,  notamment la peinture et le théâtre. Sa mère secondait son mari au cabinet médical, tout en élevant ses 4 enfants. Pierre épousa une Suédoise, une Tchèque, enfin une Jurassienne.

Voyage en Albanie

Il connut une «enfance de riches». Pierre était un élève assez indiscipliné, compensant sa petite taille par un rôle de leader ès frasques en tous genres. Ce qui ne l’empêchera pas de faire des études de lettres, pendant lesquelles son intérêt pour la littérature fit lentement place à une passion pour l’histoire. Il entra à la Société suisse des maîtres d’histoire, dont il devint président. Parallèlement, il fit son service militaire, jusqu’au grade de sous-officier, tentant de conjuguer son militarisme avec ses convictions politiques de gauche. Il devint prof au Collège à partir de 1969, français, allemand, histoire, puis entra au Gymnase en 1973. En «éveilleur de jeunes esprits», il emmenait ses élèves au théâtre, organisait des voyages d’étude à Florence, Rome, Prague.Vienne, Budapest, Barcelone… En 1976, il fit un échange avec une classe berlinoise, qui comprenait une visite du côté Est, encore en RDA. En1993, il emmena ses élèves en Albanie, qui venait de sortir de l’ère communiste, les conditions de vie étaient encore très dures. Il avoue que son engagement politique ne fut pas sa priorité. Il a été peu marqué par Mai 68, notamment parce que le côté anarchiste contrevenait à son goût pour l’ordre, et qu’il était pressé d’entrer dans la vie professionnelle.

Mais il a été élu au Conseil communal de Denges, village de l’Ouest lausannois, deux ans avant de déménager à Lutry. Ce fut sa seule expérience de participation à un législatif. Il adhéra au PS dans les années 70 mais ne s’est jamais senti à l’aise dans la section lausannoise. Il exerça une activité rédactionnelle à la Tribune socialiste vaudoise. À la fin des années 90, il démissionna du PSV pour entrer au Parti ouvrier et populaire (POP), parce que celui-ci défendait mieux les plus déshérités.Sa génération fut interpellée par la guerre d’Algérie et l’anti-franquisme. L’essentiel de son engagement s’est fait à travers ses travaux historiques.

Critique de l’Université

Peu à peu, à côté de son métier d’enseignant, il a publié une quantité d’articles dans différents médias, dont une partie fut réunie dans des livres. Parallèlement, il préparait une thèse de doctorat: Un itinéraire politique à travers le socialisme en Suisse romande. La vie du Dr Maurice Jeanneret-Minkine (1886-1953), Éd. de l’Aire, 1991, tout en participant à des ouvrages collectifs, notamment sur Léon Nicole. Il collabora au Dictionnaire historique de la Suisse en rédigeant 22 articles. Il fit également un grand nombre de conférences. Sans surprise, en lisant le nombre d’activités accomplies par l’auteur, on apprend qu’à la fin des années 90, il fit un burn-out. Mais la pratique de sports (marche en montagne, ski, tennis, gymnastique, natation, vélo) a participé à son équilibre, ainsi que son penchant pour les arts et les voyages. Pierre Jeanneret exprime une certaine amertume: il reste ignoré par les Facultés des lettres et des Sciences sociales et politiques. L’auteur relève le fossé croissant entre l’Université et l’école secondaire, l’alma mater ne s’intéressant pas aux travaux des enseignant.e.s, qui pourraient pourtant enrichir ses séminaires.

Dès 2005, il collabore à Gauchebdo, successeur de La Voix Ouvrière, rappelons-le: textes historiques,comptes rendus de livres et articles sur d s expositions, fort appréciés des lecteurs, lectrices. La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée à sa passion de toujours: les nombreux voyages effectués autour du monde, qui lui ont permis d’élargir son horizon, la connaissance des humains, et dont il garde des souvenirs éblouis. Pour illustrer sa biographie, Pierre a inséré quelques photos le montrant enfant puis adulte dans différents lieux. En fermant le livre, on se dit qu’on a suivi le très riche parcours d’un homme enthousiaste, qui s’intéresse à tout et n’a de cesse de transmettre et partager ses expériences et réflexions.

Pierre Jeanneret: enseignant, historien et voyageur, un parcours de vie, Éd. de l’Aire, juillet 2020, 244 p.

Gauchebdo

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