Au fond, aucun journaliste ne devrait s’imaginer inamovible


PAR YANN LE HOUELLEUR

Natif d’Amiens, Jean-Pierre Pernaut file allègrement vers ses 71 ans. Triste constat: à un âge aussi vénérable (alors que Jean-Pierre Elkabach est éternel à l’antenne, dorénavant sur CNews) il a dû céder le journal de TF1 de la mi-journée à sa consoeur Marie Sophie Lacarrau. Cela a déclenché les passions en France, où les citoyens, souvent, estiment que les « maître à penser » en tout genre devraient s’avérer être inamovibles. De même, Jean-Jacques Bourdin, né à Colombes dans les Hauts-de-Seine (un an de plus) a dû passer le témoin quant à sa matinale sur RMC, mais il sauvera la face puisqu’il conserve son interview quotidienne retransmise également par BFM-TV.

Des journaux people avides de sensations fortes feignent d’être scandalisés par ces mises à l’écart, comme s’il n’était pas naturel, à partir d’un certain cap, de laisser sa place à des confères plus jeunes ou même plus talentueux. Aux dernières nouvelles, MM. Pernaut et Bourdin cuvent leur tristesse. Alors, évidemment, nous devrions sortir nos mouchoirs pour sécher nos larmes. Rien que cela nous permet d’entrevoir à quel point les médias sont devenus, plus que jamais, des machines à manipuler. Les égos des journalistes (et leur salaires) sont tels qu’ils font comme les hommes politiques : ils crient leur désespoir de se voir soupçonner d’être inutiles. Ils se gavent (et ils nous gavent) de la certitude d’être intelligents, tout simplement parce que mieux que d’autres ils savent parler le langage de ceux qu’ils cuisinent au gré des émissions.

Souvent, d’ailleurs, lorsque M. Bourdin essaie de coincer des sommités politiques dans « son » studio, cet inquisiteur grincheux semble se montrer jaloux de n’être point à leur place. Il y a, chez nombre de journalistes, une sorte de manque de lucidité (ou lâcheté ?) qui les amène à ne jamais prendre le risque de critiquer, face à leur public, les manigances et travers de leur profession.

Mais tout de même, et telle est la logique du capitalisme : les chaînes de télévision pour lesquelles ils travaillent ne sont pas leur propriété. Avouons que leurs patrons peuvent se séparer à tout moment de ceux qui ne semblent plus indispensables au gonflement de l’audience.

La presse est dans un état déplorable ; elle souffre, dans maintes régions, d’un manque critique de pluralité. Alors, si ces journalistes au placard veulent continuer à être utiles à la société, on devrait, humblement, leur suggérer de cesser de pleurer sur leur sort. Puissent-ils accorder une partie de leur de retraite et de leur expérience à de jeunes journalistes ou de jeunes auteurs désireux de fonder, par exemple, leur entreprise. La France est un vivier de talents, mais elle est aussi une marre où barbotent des requins qui devraient cesser de vouloir se goinfrer de petits poissons tout en déversant leur poison…

Yann Le Houelleur est journaliste à Paris, fondateur du journal numérique Franc-Parler.

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