La forêt a conduit les pas du terrien vers toi, l’arbre. Dos contre tronc, bras et branches enlacés, ils se parlent :
- Bonjour, l’arbre !
- Bienvenue ! je t’attendais, es-tu venu seul ?
- Oui et non ; seul avec mes pieds, mais pas avec ma tête.
- Qu’importe, c’est les pieds qui comptent.
- Ah ! vraiment ?
- Oui, tu vois, tes pieds sont comme mes racines.
- Non, parce que, moi, j’ai perdu pied.
- On t’a déraciné ?
- Oui, si tu veux, mais pas comme toi, tu vois, je suis encore là.
- Mais alors, comment ? Explique-moi.
- Transplanté de ci de là, je suis tout embrouillé, déconnecté.
- Pourtant je sens ton dos bien solide contre mon tronc, allons, redresse-toi !
- C’est ça, me redresser, être comme toi, tout droit ?
- Oh ! tu sais, j’ai des cousins tout tordus, leurs branches se penchent vers la terre et donnent beaucoup de fruits.
- Tu penses aux oliviers ?
- Oui, et d’autres membres de ma grande famille, sont penchés vers la terre.
- Moi ? penché, courbé, vidé je suis tombé ici !
- Tu veux dire, coupé, tronçonné ?
- Si tu veux, mais nos tronçonnages sont différents, c’est par dedans.
- Ah ! parce que toi, tu crois, qu’on nous tronçonne par dehors ? Eh ! bien j’t’assure c‘est bien par la moelle et ça fait mal, demande à Pinocchio.
- Ta moelle, c’est notre cœur ?
- Oui, ta tête, c’est mon faîte, si ça t’amuse, on peut continuer ; mais dis-moi, depuis quand les terriens se comparent-ils à nous ?
- Alors, tes branches seraient mes bras, mais moi, je n’en ai que deux, tandis-que que toi ….
- Oui, tous mes enfants, branches et rameaux, émergent de mes racines.
- Avant, c’était comme ça chez nous, mais maintenant, les familles se divisent.
- Ah bon ! comment font-elles ?
- Elles se lancent des paroles à la tête.
- Chez nous, c’est le vent qui sème la pagaille et parfois il y a d’la casse !
- Vent dans les branches, vent de paroles qui divise.
- Veux-tu apprendre notre langage ?
- Moi, j’aime mieux votre silence, il me parle mieux que les mots
- Quel âge as-tu ?
- L’âge d’être fatigué, cassé, regarde mes cheveux gris, ma calvitie.
- Regarde, ma chevelure, qui change de couleur avec les saisons, elle se dégarnit sans rien dire sur mon âge.
- Ton âge se compte en siècles et le nôtre en années.
- Sans le marquage des forestiers, nous serions presque tous plusieurs fois centenaires.
- Chez nous, le marquage des peuples tue aussi.
- Parfois des maladies nous tuent les uns après les autres.
- Nous avons aussi, des épidémies ; notre mort est rarement naturelle ; tandis que chez vous…, vous tombez, tout simplement.
- Oui, c’est la sève, comme votre sang, qui ralentit, tarit et puis un jour, c’est fini.
- Non, ce n’est pas fini, car votre silence vient nous parler, il nous redonne la vie.
Claire-Dominique, 16 février 2021
Illustrations: ro
