Tribune libre – Pour une nouvelle donne agro-alimentaire et économique, Non à l’accord de libre-échange avec l’Indonésie


La crise de la COVID-19 nous pousse à repenser en profondeur notre organisation économique et sociale ainsi que nos habitudes de consommation. Elle a illustré la dépendance de notre économie à des chaînes complexes d’approvisionnement, notamment en ce qui concerne notre alimentation.

C’est un fait établi, notamment par l’Organisation mondiale de la santé : nous mangeons trop de matières grasses (saturées), trop de glucides (raffinés) et trop de produits carnés, plus ou moins cancérigènes. Pour s’orienter vers un système alimentaire à la fois plus sain et plus durable, l’humanité devrait notamment réduire sa consommation de viande. Les régimes alimentaires qui réduisent la survenue des maladies chroniques et dégénératives ont aussi des effets bénéfiques sur l’environnement. En effet, dans cette optique, nos vaches ne sont plus vouées à être gavées de soja. On évite aussi la sur-fertilisation ûue à une quantité toujours plus importante de bétail à nourrir. Nous devons renforcer notre souveraineté alimentaire en privilégiant une production locale de qualité, elle même source d’emplois pour notre agriculture et nos artisan-e-s. Le combat contre la concurrence faussée (inégale) sera décisive pour la survie de l’agriculture dans tous les pays. Le commerce équitable, et le respect des normes sociales et environnementales qui le fonde, doit rester le cadre de référence pour les échanges. Car les importations de biens alimentaires sont vouées aussi à perdurer.

Le référendum de l’huile de palme

Le 7 mars, les Suisses voteront sur un accord de libre-échange avec l’Indonésie. Parce qu’il touche à ces différentes problématiques et à de juteux enjeux financiers, cet accord fait couler beaucoup d’encre. Il vise à faciliter les échanges commerciaux avec ce pays d’Asie du Sud-Est – membre du G20, première économie de l’ASEAN et quatrième pays le plus peuplé au monde, – qui a connu une croissance économique élevée et régulière ces vingt dernières années. L’Indonésie est appelée à devenir un partenaire économique de plus en plus incontournable pour la Suisse. Défendu par le Conseil fédéral, le traité est soutenu dans de nombreux secteurs économiques et par la majorité de droite du parlement. Les fromages, les produits pharmaceutiques ou les montres suisses exportés en Indonésie ne seront, par exemple, plus soumis à des droits de douanes. L’accord est contesté par référendum.

Au coeur de la controverse, on trouve l’huile de palme. L’Indonésie est le plus gros producteur de la planète de cette denrée. Bon marché et de goût neutre, elle se retrouve dans la plupart des produits de l’industrie agroalimentaire. Elle a très mauvaise presse chez les nutritionnistes et les cardiologues qui la déconseillent en raison de sa forte concentration en acides gras saturés. En Suisse, elle est crainte par les producteurs d’oléagineux (colza, tournesol) qui subissent sa concurrence. En Indonésie, un déboisement massif a cours ayant abouti notamment à la destruction de l’habitat de l’orang-outan, une espèce emblématique menacée de disparition. L’archipel est aussi le troisième producteur mondial de gaz à effet de serre. Selon les détracteurs de l’accord soumis au vote dimanche 7 mars, ce dernier incitera à l’achat d’huile de palme au détriment des huiles produites en Suisse et en Europe de manière plus durable. Le résultat sera une baisse de la qualité des biens consommés chez nous et une menace sur nos emplois locaux. La baisse prévue du prix de l’huile de palme encouragera sa culture extensive, la déforestation et la perte de biodiversité qui y est associée. Selon les partisans de cet accord de libre-échange avec l’Indonésie au contraire, celui-ci introduirait des règles environnementales et sociales, une première dans les relations commerciales extérieures de la Suisse. Ce serait un pas prometteur ouvrant la porte à un examen critique de la politique commerciale helvétique. En outre, l’Union suisse des paysans et une coalition d’ONG auraient obtenu des garanties non négligeables dans le cadre de cet accord.

L’huile de palme n’obéirait pas aux règles du libre-échange puisque les taxes à l’importation seront maintenues. Elles seront réduites pour la seule production répondant aux critères de durabilité environnementale et de conditions de travail. Enfin, en Suisse, en vertu de l’ordonnance sur les denrées alimentaires, les consommateurs ont la possibilité de détecter les produits contenant de l’huile de palme et d’y renoncer. Des campagnes d’information dans le cadre de la politique de santé publique pourraient y inciter plus largement à l’avenir.

Il semble difficile de donner tort aux détracteurs de l’accord, en particulier sur un point crucial. Ce dernier ne prévoit pas que la certification des critères de durabilité soit menée par une instance indépendante. De plus, les directives sur cette certification sont faibles. Elles autorisent la destruction des tourbières, des forêts secondaires ou l’emploi de pesticides hautement toxiques. Le non-respect des critères de certification n’entraîne pas d’arbitrage, ni de sanctions, comme pour tous les autres types de produits listés dans l’accord.

Un cas d’école ?

Les futurs accords commerciaux avec la Chine, la Malaisie et le Mercosur et la Chine soulèvent des questionnements similaires. Ces accords respecteront ils les standards de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), les normes environnementales et les droits humains ? Les débats parlementaires et le référendum sur l’accord économique avec l’Indonésie ont sensibilisé l’administration fédérale à propos de l’accord commercial en préparation avec les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay). Des études préliminaires sur son impact environnemental commencent à être débattues dans la sphère publique. Les effets économiques et sociaux d’un éventuel accord commercial doivent être examinés de près, tout comme ses conséquences sur la biodiversité et la consommation de viande par la population suisse.  

Enfin, la loi fédérale actuelle sur les mesures économiques extérieures ne possède aucune ligne directrice. Une loi révisée devrait fournir au Conseil fédéral des bases plus claires pour la négociation des accords internationaux. Clairement explicités, les objectifs à atteindre, en matière de droits humains et d’environnement, devraient renforcer la position de l’exécutif face à ses interlocuteurs, imposant des lignes rouges claires à ne pas dépasser. Ils faciliteraient également le débat public nécessaire qui aujourd’hui n’a lieu qu’en fin de processus, au moment de la décision parlementaire ou populaire. Le succès populaire de l’initiative sur des multinationales responsables en 2020 a prouvé l’importance absolument cruciale de cet enjeu.

Emmanuel Deonna, Député au Grand Conseil, Président de la Commission Migration, intégration et Genève internationale du Parti socialiste genevois

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