Pâques arrive, sous un ciel plus opaque que jamais


PAR YANN LE HOUELLEUR

Décidément, la Covid aura bouleversé le cours de nos vies jusqu’à nous gaver de souvenirs aussi savoureux que mélancoliques. Car cette pandémie n’aura pas été une suspension de nos existences mais un coup de serpe dans nos habitudes, une déchirure dans le ciel de nos projets. Que d’illusions ne se font-ils pas, les participants de ce discours tant de fois remis sur le tapis : « les beaux jours reviendront ! » Pour certains, peut-être, y aura-t-il quelques jours de liesse. Mais plus le temps passe, plus les confinements se succèdent et nous inoculent une dose d’anxiété supplémentaire, plus nous voyons s’éloigner des espérances auxquelles nous nous raccrochions.

En mars, en avril, très personnellement, jusqu’en 2019, je reprenais mes errances artistiques dans un Paris éblouissant où les touristes affluaient à nouveau après une certaine désertion hivernale. Au pied de la cathédrale, dont la flèche se dressait encore fièrement, des dessinateurs, des peintres et des portraitistes, bien que souvent traqués par les agents municipaux, participaient à la célébration des beaux jours ressuscités. Tant de talents anonymes mêlés et d’inspiration émancipée… Aujourd’hui, la couleur la plus répandue est le gris, quand ce n’est pas le noir du deuil face aux millions de morts causé par un virus insaisissable et indomptable. Même la Joconde au sourire énigmatique s’ennuie dans le silence glacial d’un Louvre où plus un touriste ne saurait s’aventurer. Dans les ateliers de tant d’artistes s’accumulent des chefs d’œuvre qui n’ont plus droit de cité où que ce soit…

Les seuls rescapés de cette crise sanitaire, en réalité une rupture dans l’histoire du monde, ce sont les animateurs, les présentateurs, les «guignols» qui toute la journée inondent les plateaux (des chaînes de télévision) de leurs commentaires parfois si peu sincères. Ces gens-là rêvaient de prendre le pouvoir. Leurs egos surdimensionnés sont plus que jamais démultipliés entre d’interminables séquences de publicité. Et ils ont tout pour être heureux : des décors multicolores au prix fort, des auditeurs qui les considèrent comme des messies… et surtout un salaire à la fin du mois. Et très curieusement, les stars de la médecine et de la politique qui sont leurs invités, ne remettent jamais en question cette dictature médiatique devenue infernale, se nourrissant des publicités contribuant à nous formater… Verriez-vous un candidat à quelque mandat que ce soit remettre en cause, lors de ces interminables débats, cette démence médiatique sans clémence aucune pour les cerveaux dont elles broient les neurones jour après jour? Bien sûr que non ! Le courage de dire la vérité, c’est ce qui manque le plus à nos politiciens, à tel point que des conseillers généreusement rémunérés leur servent d’arcs boutants, faute de quoi la cathédrale s’effondrerait pour de bon.

Aujourd’hui, « nous célébrons » le premier anniversaire de l’instauration du confinement initial. D’autres confinements se profilent.

Depuis ce jour maudit, il en a coulé, de l’aquarelle et de l’encre de Chine sous les arches des ponts de Paris.

Paris, rue Saint-Martin
©Yann Le Houelleur, 2021

Ces questions, ces remises en cause, je n’imaginais pas les brasser un jour   – ce triste jour –  quand au pied de Notre Dame je dessinais « furieusement », en ma qualité de dessinateur de rue. Ma seule terreur se résumait aux quelques aigrefins lorgnant sur mes trousses à crayons pour m’en subtiliser quelques-uns. Or, aujourd’hui, ma plus envahissante terreur, c’est de voir les miens, ceux que j’aime, mes parents et voisins, mes ex-confrères et les contributeurs de « mon » journal Franc-Parler, sombrer dans cette dépression gigantesque dont je me demande si nous nous relèverons. Heureusement, j’ai eu tellement de vies à la fois qu’il me reste l’envie, encore, d’avoir un filet de vie coulant entre mes doigts.

Peut-être la plus sombre des violences parmi celles qui nous ont été infligées est-elle, précisément, la vague tentative suivante: avoir voulu nous ôter la capacité à nourrir de l’espérance davantage qu’à nous empiffrer d’anxiété. Car il ne faudrait pas oublier que le Pouvoir n’a désormais plus qu’une option : effleurer nos tempes avec la menace subtilement suggérée de nous envoyer tous, non pas au bagne, mais dans un hôpital psychiatrique. Les politiciens peuvent nous dire tout et son contraire : leur vocation n’est pas de nous préparer au bonheur mais avant tout de sauver du naufrage leur ego sans cesse plus dévorant. Ce ne sont pas des artistes susceptibles d’admirer pendant des heures une cathédrale. Ils sont incapables, pour la plupart, de se montrer sensibles à la poésie. Le seul art qu’on puisse leur attribuer, c’est bien celui de l’esbroufe, de l’opportunisme, du conformisme masqué par des bouffées souvent feintes d’indignation. Une indignation vraiment si peu sincère.

L’auteur est journaliste à Paris, fondateur du journal numérique Franc-Parler.

Illustration Paris rue de Caumartin ©2021 Yann Le Houelleur

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