La candidate Keiko Fujimori provoque une passe d’armes corsée au Pérou entre un prix Nobel de littérature et un journaliste de haut vol


PAR PIERRE ROTTET

Passe d’armes au Pérou à moins de 6 semaines du second tour de la présidentielle, entre le prix Nobel de littérature péruvien Vargas Llosa et le journaliste de haut vol César Hildebrandt, après le soutien sans réserve et surprenant de Llosa à Keiko Fujimori. La représentante du clan fujimoriste affrontera Pedro Castillo lors du second tour de la présidentielle, le 6 juin prochain.

Sans pour autant appuyer Pedro Castillo le leader de « Peru Libre », un mouvement qui se situe à gauche de la gauche sur l’échiquier politique, Hildebrandt questionne l’appel de Vargas Llosa à voter en faveur de la patronne de Fuerza popular, une nébuleuse de la droite la plus conservatrice et populiste péruvienne, impliquée durant ces dernières décennies dans la plupart des scandales de corruption politico-financiers, de trafic d’influence. Pour le moins ! 

L’attaque frontale du journaliste contre le Nobel de littérature 2010 vient rappeler aux Péruviens le rôle de Keiko Fujimori en sa qualité de « Première dame » aux côtés de son père dans les sombres années du fujimorisme, entre 1990 et 2000. Une fonction qu’elle assumera à la place de sa mère, alors séparée de son époux.

Hildebrandt condamne sévèrement l’appel de Llosa a voter en faveur de Keiko Fujimori. Une manière, écrit le journaliste, de la considérer comme l’héritière légitime du misérable régime de son père ! « Vargas Llosa croit-il vraiment que Keiko Fujimori respectera ses promesses et les institutions ? Croit-il véritablement que la ‘Première dame  de la dictature’ sera respectueuse de la démocratie et des autres pouvoirs, la presse qui la critique, la juge ou la magistrature qui a enquêté sur elle pour parvenir à établir la vérité sur sa personne? »

Accusée de corruption, placée en détention provisoire pendant plus d’un an, Keiko Fujimori a été relâchée le 5 mai 2020, la justice ayant accédé à sa demande d’une libération sous caution, dans le cadre de la pandémie Covid 19, après le paiement d’une garantie financière d’environ 20’000 dollars.

Dans sa revue, « Hildebrandt en sus trece », je journaliste tape sur le clou en rappelant à Vargas LLosa que celle qui prétend aujourd’hui à la présidence avait volontairement fomenté un coup d’Etat au congrès en 2016. « Si la candidate a fait fi de l’autorité présidentielle à cette occasion, que peut-on attendre d’elle si elle accède au palais ? » Et de questionner : Serait-ce que Vargas Llosa pense que le pays se dirige en droite ligne vers le quatrième « reich » du fujmorisme ? Serait-ce que l’écrivain a oublié les millions de dollars que Madame Fujimori a reçu de prébendes de la part des sociétés multinationales Romero et Odebrecht ?

Pour la petite histoire de l’Histoire, Vargas Llosa, avec un programme électoral ultra-libéral, pur et dur, qui excluait pratiquement les plus vulnérables, la grande majorité des Péruviens, s’était ramassé en 1990 une veste électorale mémorable et mortifiante pour sa personne. Une élection à la présidentielle alors perdue contre… Alberto Fujimori. Parfaitement inconnu du public !

L’écrivain s’était par la suite auto-exilé en Espagne, attribuant son échec « à un peuple d’ignorants ». Ce dont ne se prive pas de rappeler aujourd’hui Hildebrandt, en ajoutant une touche accusatrice contre le Nobel en raison de ses liens étroits avec le Parti populaire espagnol, « mouvement politique rance et corrompu ».

Pas certain que l’appui à Keiko Fujimori apporte à cette dernière de quoi remplir sa besace de voix. Vargas Llosa symbolise le prototype d’une société péruvienne bourgeoise et des milieux économiques de plus en plus fébriles à l’approche du second tour. 

Une société vue par un autre Pérou comme élitiste, blanche et très souvent raciste, au mépris prononcé pour le monde des « cholos » de la Sierra, andin, qui a voté en masse en faveur de Pedro Castillo, le 12 avril dernier. 

Dans un sondage paru en début de semaine dans « La Republica », Castillo est crédité de plus de 41% d’intentions de votes en sa faveur, contre 21% à sa contradictrice, Keiko Fujimori. Avec un renforcement significatif pour le candidat de « Peru Libre », dans les zones rurales et, plus encore, partout là où se sont développés les conflits et combats sociaux, parfois violents, dans les nombreuses régions minières du Pérou.

Sondages ? Manipulations ? A Lima, des panneaux géants fleurissent, démesurés, à la mesure de la peur que tentent d’instiller les milieux conservateurs et financiers.

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