Tous les coups sont bons au Pérou pour nuire au candidat de la gauche radicale


PAR PIERRE ROTTET

L’homme d’affaires d’extrême droite Rafael Lopez Aliaga a appelé au meurtre du candidat de « Peru Libre », Pedro Castillo, arrivé largement en tête au premier tour de la présidentielle péruvienne du 11 avril dernier.

A moins de 4 semaines du second tour, le candidat d’une gauche radicale, mais surtout d’une révolte populaire par les urnes, devance pour l’heure dans les sondages sa rivale Keiko Fujimori, la leader de « Fuerza Popular », une nébuleuse de la droite la plus conservatrice et populiste péruvienne, impliquée durant ces dernières décennies dans la plupart des scandales de corruption politico-financiers, de trafics d’influences. Pour le moins !

Au cours d’un meeting de soutien à la fille de l’ex-dictateur Fujimori, tenu le week-end dernier à Lima, Aliaga a terminé sa diatribe politique par un appel à la mort de Pedro Castillo et à celle du fondateur du mouvement « Peru Libre », Vladimir Cerrón. “Viva el Perú, viva la democracia, muerte al comunismo, muerte a Cerrón y a Castillo » a lancé l’homme politique cité par le quotidien « La Republica ». Aliaga était accompagné de plusieurs autres politiciens, dont certains figuraient parmi les 18 prétendants à la présidence.

Le plus surprenant est la timide réaction voire le silence assourdissant et surtout pas embarrassé des milieux politiques péruviens, face à ce qui pourrait passer pour un inacceptable appel aux meurtres de Cerrón et de Castillo. La présidente du Conseil des ministres, Violeta Bermúdez, se contente de timidement déclarer qu’un tel discours doit rester en marge d’un système démocratique, tout en se réfugiant derrière « un principe de neutralité » auquel est tenu le pouvoir exécutif. Seule voix parmi les autres aspirants présidentiels et des partis traditionnels, Véronika Mendoza, leader de « Juntos por el Peru », un parti socialiste modéré, a crié son exaspération pour condamner cet appel à la haine et au meurtre, en exhortant et en invitant « les forces démocratiques à hausser la voix ».

En vain pour l’heure, hormis l’archevêque de Lima. Carlos Gustavo Castillo Mattasoglio, réputé proche de la moribonde théologie de la libération pratiquement éradiquée en Amérique latine par les papes Jean Paul II et Benoît XVI, a sévèrement condamné les menaces de mort proférées par Aliaga.

Arrivé en quatrième position avec un peu plus de 1% des voix derrière la candidate Fujimori, Aliaga ne cache pas son appartenance active à l’Opus Dei. L’homme d’affaires et représentant du parti « Rénovation Popular » a fait une partie de sa fortune grâce à la privatisation des lignes ferroviaires dans les régions les plus touristiques du pays, imposées au Pérou par l’ex-dictateur Fujimori dans le cadre d’une des nombreuses magouilles du clan Fujimori entre 1990 et 2000. Sur le dos de la société péruvienne. En 2016, il apparaît dans le fameux scandale des « Panama Papers » et des activités de blanchiment d’argent. Lui et plusieurs de ses entreprises furent en outre impliqués dans des affaires d’évasion fiscale.

Crédité d’une vingtaine de points d’avance sur sa rivale, il y a moins de 10 jours, Castillo voit sa marge fondre depuis lors sous les coups de boutoirs d’une presse largement en main des milieux financiers du pays. Guère plus de 2 à 5 points séparent désormais les deux candidats, selon les différents sondages, à prendre avec une extrême prudence.

La leader du clan Fujimori avait connu de justesse la défaite lors des présidentielles de 2011 et 2016. Cela grâce à une mobilisation pour faire barrage à cette élection. Une mobilisation alors emmenée par les milieux économiques et la plupart des partis politiques, y compris et surtout la gauche.

Aujourd’hui, la gauche mise à part, les mêmes milieux se mobilisent pour son élection, vent debout pour empêcher à tout prix l’élection de Castillo. La candidate Fujimori suscitait pourtant le plus fort taux de rejets durant la présente campagne en raison de sa perte d’influence largement érodée. Sans compter son année passée dernière les barreaux d’une prison quittée en 2020 après sa demande d’une libération sous caution.

A la peur au ventre liée au Covid 19 se sont ajoutées aujourd’hui l’angoisse et la répulsion que la classe moyenne et aisée de Lima éprouve face à Castillo. Tous les coups sont bons – et apparemment permis avec l’appel de Aliaga – pour empêcher l’élection du candidat Castillo, le cholo, le maître d’école de la Sierra, le syndicaliste, que la société nantie de Lima qualifie « d’ignorant » (sic). Histoire de se donner bonne conscience sans doute. D’où l’affolement de ces mêmes milieux qui tentent ainsi de justifier leur appui à celle qui traîne pourtant derrière elle plus de casseroles que l’ensemble des présidents péruviens durant ces quarante dernières années, tous impliqués dans de grosses affaires de corruption.

Reste que le Pérou pourrait bien vivre des heures difficiles au lendemain du 6 juin, quelle que puisse être l’issue du scrutin. Un graphique publié ces jours par certains médias montre un Pérou rouge des partisans de Castillo, du sud au nord, à l’intérieur d’une large bande qui s’étend des Andes à la côte Pacifique en passant par la Sierra, face à un îlot isolé nommé Lima et une Amazonie ignorée. Clivage impressionnant, jamais aussi présent, électoralement parlant, et criant entre deux mondes: une société limeña élitiste, blanche et très souvent raciste ; une ruralité, âme et coeur historique et culturel du Pérou, composée de « cholos ignorants », de Serranos laissés pour compte, aussi éloignés du communisme que de la tourte que se partagent depuis des siècles les plus privilégiés de ce pays. Les cholos? Ceux-là même qui ont opté en masse le 11 avril pour un changement de système. Par le bais des urnes!

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