L’argent des Talibans


PAR MICHEL SANTI

Pendant 20 ans, l’immense fortune des Talibans a semé la mort, la destruction et a fait des ravages en Afghanistan. Elles sont complexes, les finances des Talibans, pas du tout monolithiques et structurellement articulées autour du vaste réseau criminel et mafieux opéré par le réseau Haqqani. Leurs revenus se déclinent en taxes prélevées sur leurs sujets, en trafic de narcotiques, en donations internationales, en investissements immobiliers hors des frontières du pays et en extorsions de compagnies étrangères installées dans les zones situées sous leur contrôle. Une certitude, les Talibans sont aujourd’hui bien plus riches et puissants que lors de l’invasion américaine de 2001.

Il faut savoir que l’Afghanistan (selon un rapport des Nations Unies) produit actuellement 84% de l’opium mondial dont les revenus – 416 millions de $ par an – vont dans leur écrasante majorité aux Talibans qui pratiquent une gestion en bonne et due forme de ce qui est désormais une «industrie» taxée à hauteur de 10 à 20% de son chiffre d’affaires. Les minerais représentent par ailleurs une source de profits substantielle car les Talibans se font en moyenne 500 millions de $ l’an en autorisant les exploitants à poursuivre leur extraction de cuivre, d’or, de zinc, de marbre et d’autres métaux dont certains très rares. Ce business est véritablement mafieux puisque les patrons de mines refusant ce type d’extorsions reçoivent dans un premier temps des menaces de mort avant d’être liquidés. Cet «impôt», qui est également prélevé sur la population et sur l’ensemble du milieu des affaires et du commerce évoluant dans les zones dominées par les Talibans, leur a jusque-là rapporté 160 millions de $ par an, chiffre qui inclut une taxe de 10% sur les récoltes et l’impôt islamique sur la fortune – “Zakat”-  de 2.5% sur les richesses détenues par les familles. Les exportations de matériaux volés par les Talibans (dont des armes Made in USA) et du minerai subtilisé aux exploitants leur procurent en outre 240 millions de $, auxquels doivent s’ajouter 80 millions de revenus immobiliers émanant entre autres du Pakistan. Les donations aux Talibans, enfin, représentent 250 millions de $ l’an, provenant d’institutions «charitables» et de trusts privés à travers le monde, principalement bien-sûr du Golfe Persique dont bien des pays et des citoyens éprouvent une grande sympathie pour la cause talibane. Le contre-terrorisme américain estime que 60 millions de $ sont offerts annuellement aux Talibans par des citoyens saoudiens, pakistanais, qataris et iraniens. Il faut également être conscient du fait que les Etats de ces pays abreuvent les Talibans à hauteur de 500 millions l’an, selon les mêmes sources qui reconnaissent toutefois que ces chiffres sont compliqués à vérifier car les pays donateurs usent évidemment de moyens de paiement échappant à tout contrôle.

Un chiffre (calculé par l’OTAN) démontre l’ampleur du pouvoir des Talibans : c’est 1 milliard 600 millions de dollars qui ont été générés par eux en 2020, montant qui achève de prouver la débilité de la politique et de l’approche américaines en Afghanistan et ce dès le départ. Il faut savoir (selon un tout récent rapport du “ US Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction”), que les Etats-Unis ont «investi» 1’000 milliards de dollars en Afghanistan en 20 ans… qui ne leur ont pas pour autant permis d’emporter l’adhésion populaire. Et pour cause puisque (selon ce même rapport) 86% de cette somme astronomique fut injectée en faveur de l’armée. (Souvenons-nous du discours du Président Eisenhower de 1961 mettant en garde contre le «complexe militaro-industriel» de son propre pays, toujours d’une actualité brûlante).

Toujours est-il que le peuple afghan n’aura reçu en 20 ans que 130 milliards de $ dont 83 se logèrent dans des forces de sécurité nationales … dont on a bien constaté l’efficacité ces jours derniers. 10 autres milliards furent destinés à la lutte contre le trafic de drogue et 15 autres à des agences US opérant en territoire afghan. Bref, ce rapport officiel américain indique que 2% (!) de ce trillion de dollars dépensés par l’Amérique en 20 ans le furent réellement au bénéfice du peuple de ce pays, de ses infrastructures, de l’éradication de la pauvreté. Pas un sou ne fut consacré à construire des écoles et des hôpitaux, en équipements agricoles, en programmes de nutrition, à l’édification d’un réseau de distribution de l’eau digne de ce nom, etc. Après 20 ans, l’Oncle Sam quitte un pays où il a brûlé 1’000 milliards de dollars et laisse derrière lui une espérance de vie de 63 ans et un taux de mortalité enfantine de 38% !

L’aventure afghane fut qualifiée de «guerre oubliée» -“forgotten war”- dès lors que les Etats-Unis tournèrent leurs obsessions en direction de l’Iraq. M’est avis que ce débat ne fait que démarrer.

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