Le sac de Haïti par la France


PAR MICHEL SANTI

On en parle peu mais l’Océan Atlantique fut au cœur de mouvements dramatiques de populations. En effet, environ 13 millions d’africains furent transportés aux Amériques entre le XVIème et le XIXème siècles pour y être réduits en esclavage dans ce qui restera probablement comme le plus important et plus grave transfert de population de l’Histoire universelle. Près de la moitié de ces africains furent destinés aux Caraïbes et ce ne sont pas moins de 40’000 nouveaux esclaves qui parvinrent chaque année à Haïti durant la période ayant immédiatement précédé la Révolution. Selon des recherches récentes, 20% des esclaves haïtiens étaient des nouveaux venus vers les années 1790, chiffre significatif qui permet de revisiter la Révolution Haïtienne à la lueur de l’influence profonde du contexte central-africain (avec ses traditions et ses fonctionnements politiques) sur l’histoire de cette nation. Plus encore que les Révolutions Américaine et Française, la Révolution Haïtienne et ses Jacobins Noirs ont placé au centre du débat des questionnements absolument cruciaux comme de savoir si l’être humain avait des droits. Comme c’était en Haïti que des humains étaient considérés – et traités – comme du bétail, c’est en Haïti que la défense des droits de ces humains et des valeurs universelles revêtait une importance vitale et une acuité d’une tout autre dimension qu’aux Etats-Unis et en France.

Quoiqu’il en soit, l’histoire de la Révolution Haïtienne – qui fait partie intégrante de l’ère des Révolutions – fut un moment politique majeur dans l’Histoire du monde. Elle donna à l’universalisme ses lettres de noblesse, mais permit également de transformer ce qui était la colonie la plus profitable du monde en une nation récusant l’esclavage à une époque où celui-ci écrasait le continent américain. Dans ce contexte, l’attitude française fut odieuse à l’encontre du peuple d’Haïti, contraint d’indemniser le pays colonisateur et les anciens propriétaires d’esclaves pour leurs «pertes» subies. Ayant déclaré son indépendance en 1804, Haïti subit dès la Restauration d’intenses pressions et menaces d’expéditions militaires émanant de Louis XVIII puis de Charles X visant à le contraindre, si nécessaire par la force, de payer à la France des réparations dont le montant fut arbitrairement fixé à 150 millions de francs de l’époque, soit 10 fois la somme représentant la vente par Napoléon de la Louisiane en 1803 ! Le Président haïtien Boyer n’eut d’autre choix que de se plier à ce pillage en règle et dut signer un traité en 1825, ayant sous les fenêtres de son Palais une escadrille française riche de 400 canons prête à ouvrir le feu sur la ville en cas de refus. Cette somme de 150 millions de francs n’était rien moins que de l’extorsion car elle représentait 10 fois le budget annuel haïtien de l’époque. Du reste, les 30 premiers millions payés sous Boyer furent empruntés, avant que le pays ne déclare banqueroute sous le poids d’une telle dette colossale.

Celle-ci fut renégociée à 90 millions en 1838 en vertu du «Traité d’Amitié», amitié dont la meilleure preuve était les 12 vaisseaux de guerre dépêchés par la France pour forcer la main des haïtiens. Ce n’est qu’en 1947 que le règlement de cette dette illégitime, assortie des intérêts, fut consommé avec une somme globale en définitive deux fois plus importante que celle qui avait été convenue. Du haut de son attitude indigne vis-à-vis de Haïti, la France peut se targuer d’être une des puissances coloniales les plus voraces, et aussi les plus arrogantes pour avoir exigé des indemnités de son ancienne colonie réduite en esclavage alors que le bon sens et la morale auraient supposé l’inverse. En finalité, cette taxe fut un boulet permanent tirant vers le bas l’économie et le développement haïtien, au fil des décennies et des siècles. Elle eut des effets dévastateurs sur le système éducatif, de santé et sur les infrastructures du pays, au lieu de bénéficier à la population.

La narration triomphaliste de l’Histoire de cette période ne fait que commencer à être nuancée et la mise en perspective des implications économiques de l’esclavage dévoile de multiples et aberrants abus. Haïti doit être au cœur des débats, et prioritaire sur la question des réparations des dommages perpétrés aux colonies asservies.

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