Bernadette Elöd, égérie hongroise des concerts J. S. Bach de Lutry, “quand je suis arrivée en Suisse, j’étais en grand manque de musique, aujourd’hui la vie musicale y est foisonnante!”


PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTIAN CAMPICHE

Bernadette Elöd, violoniste établie à Lausanne, vous animez en tant que directrice artistique depuis des temps immémoriaux, serions-nous tentés de dire, les Concerts J. S. Bach de Lutry où vous perpétuez le rayonnement du chef d’orchestre Arpàd Gérecz qui fut votre mentor. Vous retournez chaque année à Budapest où vous êtes née d’un père hongrois, décédé prématurément, et d’une mère suissesse, née à Lausanne,  restée toute sa vie très attachée à la Hongrie. Comment vivez-vous cette double appartenance?

C’était lors de mes années d’étude au Conservatoire de Lausanne, dans la classe d’Árpád Gérecz, musicien d’exception, que j’ai découvert les Concerts J.S. Bach de Lutry, au Temple de Lutry, où nous entendions des artistes merveilleux, tels que Karl Richter, Arthur Grumiaux, János Starker, Maurice André – et tant d’autres ! – tous amis d’Edgar Shann, fondateur des Concerts Bach, et d’Árpád Gérecz. Nous étions tout un groupe d’étudiants du Conservatoire, qui tenions à collaborer dans l’organisation de ces concerts, tout en entourant  Árpád Gérecz, qui avait repris d’Edgar la direction artistique. Puis, Árpád Gérecz m’avait donné de plus en plus de responsabilités au sein de cette organisation, si bien qu’à sa mort, je fus appelée à lui succéder en tant que directrice artistique et ceci depuis bientôt 3 décennies… !

C’est aussi depuis 30 ans que j’enseigne en Hongrie dans le cadre d’un Festival de Musique dans le sud du pays, à Békés-Tarhos, lieu légendaire: Zoltán Kodály y avait créé une école de chant, lieu qui avait même accueilli le célèbre chef d’orchestre hongrois János Ferencsik et tant d’autres grands artistes.

Ma « double appartenance », comment je la vis ? 

Je dois avouer qu’au fond de moi, je suis restée profondément hongroise, mais je pense aussi qu’une grande harmonie entre « mes » deux pays s’est installée dans mon cœur. Ils sont en quelque sorte devenus indissociables en moi. En Hongrie, mes élèves – mes collègues professeurs aussi – attendent chaque année « la soirée suisse traditionnelle au camp» avec lampions, petites spécialités, musique folklorique – suisse !! – , etc.

Dimanche 19 décembre 2021, l’Ensemble Corund de Lucerne, sous la direction de Stephen Smith, interprétera au Temple de Lutry une Cantate et le Magnificat de J.S.Bach. D’autres musiciens d’exception, tels que Friedrich Reinhold, Peter Bruns avec le Mendelssohn Kammerorchester Leipzig, Sofja Gülbadamova et Gary Hoffman, Nuria Rial avec la Freitagsakademie figurent aussi au programme de la 63e saison, 2021-2022. C’est encore à Lutry que sera fêté le 100e anniversaire de la naissance du grand pianiste hongrois György Cziffra, avec les solistes de Budapest et János Balázs, en tournée européenne. Comment se prépare un tel événement?

La programmation en général se fait environ deux ans à l’avance… ! La réputation internationale de ces concerts me favorise en ce qui concerne le contact avec les artistes, qui sont très souvent des amis, mais aussi avec les organisateurs de concerts, les managers ; des offres exceptionnelles me parviennent et tant de fois c’est si difficile de choisir… ! Bien sûr, ce sont souvent les finances qui freinent et qui m’obligent à reconsidérer la décision et mes rêves… !

En ce qui concerne la commémoration du 100ème anniversaire de la naissance du grand pianiste légendaire György Cziffra, cela fait aussi plus de deux ans que j’avais reçu la proposition et que les pourparlers ont commencé. Depuis de nombreuses années je suis en étroite collaboration avec les ambassades de Suisse en Hongrie et hongroise en Suisse : en quelque sorte comme chargée d’échanges culturels entre les deux pays. J’ai organisé de nombreuses tournées de concerts pour des musiciens suisses en Hongrie: Christian Favre, le Collegium Academicum de Genève, Cédric Pescia, Camerata Berne avec Heinz Holliger, Örs Kisfaludy, etc, de même que des musiciens hongrois en Suisse, l’Orchestre de chambre Franz Liszt, l’Orchestre de chambre de Budapest, le fameux Chœur Cantemus de Nyiregyháza, Dénes Várjon, István Várdai, Miklós Perényi, András Schiff, parmi bien d’autres.

Lors de cette commémoration du 100ème, c’est dans le cadre d’une tournée internationale européenne que nous aurons la chance d’avoir le Budapest Strings avec en soliste János Balázs, au Temple de Lutry le 20 mars 2022!

Quel regard une violoniste originaire, comme vous, d’un pays, la Hongrie, où en chaque habitant sommeille un musicien, porte sur LA tradition musicale suisse? Ou bien faut-il utiliser le pluriel en pensant aux particularités cantonales et parler DES traditions musicales suisses?

Je dois avouer que la musique en Suisse s’est énormément développée depuis des années, ce qui est très réjouissant. Lorsque nous sommes arrivés en Suisse, nous étions très étonnés et « en grand manque » de musique ici… Il m’avait alors semblé que faire de la musique, apprendre un instrument, appartenait à une certaine classe sociale… Il n’y avait pas une « tradition musicale suisse », en tout cas, ce n’était pas mon impression. 

Alors que chez nous, en Hongrie, le chant, avant tout, était la « respiration » même de chacun, et l’apprentissage d’un instrument allait de soi. 

Mais depuis bien des années, la vie musicale en Suisse, et notamment en Romandie, est foisonnante ! magnifique ! 

La Suisse allemande a-t-elle développé la « tradition musicale » plus tôt que la Suisse romande? C’est possible.

Photo de tête: Bernadette Elöd avec Yehudi Menuhin, 1998.

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