Zoug entre Washington et Moscou…


PAR CHRISTIAN CAMPICHE

Siège de plusieurs sociétés actives dans le commerce du gaz russe, la Suisse figure au cœur d’un enjeu majeur de la nouvelle guerre froide, la formidable partie d’échecs que se livrent Etats-Unis et Russie sur le damier ukrainien.. Apprécie-t-elle la situation à sa juste mesure? Rien n’est moins sûr.

Les commentateurs zooment sur l’ampleur des sanctions financières que serait amené à prendre le gendarme américain en cas d’invasion de l’Ukraine par la Russie. Celle-ci pourrait être déconnectée du système de paiement interbancaire SWIFT, anticipent ces observateurs, lesquels semblent minimiser le pouvoir de nuisance des Russes qui ne sont pas des nazes en matière informatique. Autrement plus délicat, par contre, est l’achoppement des stratégies dans le domaine énergétique, dans la mesure où le commerce des hydrocarbures constitue la principale source de devises pour Moscou.

Or les médias passent comme chat sur braise sur la pièce maîtresse de l’échiquier, le serpent de mer du gazoduc Nord Stream, censé approvisionner l’Allemagne en gaz naturel russe via la Baltique en évitant la Pologne. Le dossier est explosif car Washington ne pardonne pas à Moscou d’avoir torpillé le projet européen Nabucco, un pipeline de 4000 kilomètres de long, s’étirant du fin fond de la Turquie à l’Autriche, et dont le but était de contourner la Russie et l’Ukraine afin de réduire la dépendance du vieux continent face à sa seule source d’approvisionnement en provenance de l’Est. Le projet Nabucco avait contraint Moscou à lancer parallèlement un projet de gazoduc concurrent, South Stream. Bénéficiant de l’appui logistique de ses alliés serbe et grec, Moscou avait gagné ce combat de titans avant de renoncer à son tour à South Stream, jugeant vraisemblablement que le jeu n’en valait plus la chandelle.

La valse des sanctions a succédé à ce revers humiliant pour l’Occident. Discrètement mais sûrement, elle touche aussi la Suisse. Le 25 janvier dernier, “La Liberté” consacre bien un article à l’armateur Allseas, mais elle ne focalise que sur la transition énergétique amorcée par cette société sise à Châtel-Saint-Denis, sans s’étendre sur son activité traditionnelle qui est la pose de gazoducs. De fait, fin 2019, Allseas a cédé à la pression américaine et renoncé à sa participation à Nord Stream 2. Le désir de vengeance du colosse éconduit ne s’arrête pas là. Son œil inquisiteur se rabat dans la foulée sur le groupe Zurich, le forçant à biffer d’un trait tous ses contrats d’assurance avec Gazprom, chef de file russe du consortium de promoteurs actifs dans le projet Nord Stream. Ce nonobstant, la construction du gazoduc parvenait a être achevée à la fin de l’année dernière, bénéficiant d’une volte-face subite de Joe Biden.

Le prochain pas de danse macabre s’esquissera-t-il à Zoug? Ce paradis fiscal de Suisse centrale abrite depuis des lustres le siège de la holding à partir de laquelle Gazprom déploie ses tentacules. Autant dire que Washington compte sur sa mission à Berne pour œuvrer activement en coulisses au démantèlement de la place-forte zougoise. Avec quelles chances de succès? La clé réside probablement en Allemagne, principal client de Gazprom, où le nouveau chancelier doit se demander ce qu’il a fait au bon Dieu pour parvenir au pouvoir au moment d’un tel maelström. Pour le convaincre, Washington a promis qu’il compenserait, le cas échéant, le mazout manquant. On aimerait bien savoir où il irait le chercher pour empêcher l’Europe de grelotter.

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Un commentaire à “Zoug entre Washington et Moscou…”

  1. Bernard Voélin 30 janvier 2022 at 17:48 #

    Lire l’excellent article paru dans le Monde Diplomatique du mois de février 2022. Où l’on voit que n’est pas l’agresseur celui que l’on croit. Et pour ma part étant féru d’histoire contemporaine, je comprends parfaitement Poutine, et me sent désabusé par l’obstination de suivi des états européens vis à vis des états-unis, fauteurs de trouble s’ils en est. L’O.T.A.N devait, selon ses statuts, disparaître lorsque l’u.r.s.s s’est effondré et que le pacte de Varsovie fût, lui, dissout. Ne pas se plaindre ensuite si les promesses faites à l’époque à Gorbatchev et Eltsine, n’ont pas été tenues.

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