Chronique de la Macronie – Zemmour a déjà réussi la prouesse d’accélérer la recomposition d’un échiquier politique promis à devenir un cimetière d’envergue


PAR YANN LE HOUELLEUR

Evoquer la France, c’est invoquer la raison. La décapitation d’un roi autant que les Lumières. Mais force est de constater que jamais une élection présidentielle n’aura été aussi teintée d’obscurité, voire de désespoir.

Deux mois avant le 1er tour de la présidentielle, des pans de mystère(s) restent entiers. Accaparé par des négociations internationales d’une gravité sans précédent (l’Ukraine, le Mali), Emmanuel Macron ne s’est toujours pas déclaré candidat. Aucun doute : cet homme aussi ambitieux que méprisant a envie d’en remettre une couche pour cinq ans. Et plus les jours passent, plus les ténors de sa majorité tartinent leurs interventions de constats flatteurs sur sa gestion non seulement sanitaire mais avant tout économique. Selon le grand Argentier Bruno Lemaire, la France n’a jamais autant attiré les investissements étrangers et le chômage serait au plus bas : 7 %. La « Macronie », c’est avant tout l’art de tronquer les réalités. Ce chiffre ne prend en compte que les salariés mais absolument pas les auto-entrepreneurs souvent en grande difficulté sans oublier tant d’emplois précaires. Et n’oublions pas que la France souffre, depuis longtemps, d’un déficit commercial abyssal : il s’est accru d’une vingtaine de milliards de dollars en 2021 par rapport à 2020.

Le moral des ménages aux ras des pâquerettes

Ce qu’on entend dire, si souvent, c’est qu’à partir du 10 du mois, une grande partie des foyers n’a plus de quoi terminer le mois, recourant à toutes sortes de privations ou de combines. Une municipalité tenue pas des communistes, en l’occurrence Gennevilliers, constatant l’appauvrissement de pans entiers de ses cités a même organisé à plusieurs reprises des distributions de « paniers alimentaires » dans… la salle des Fêtes, avec l’appui d’innombrables bénévoles sensibles à cette cause.

La « France de Macron » n’aura jamais autant éprouvé l’angoisse du lendemain. La tragédie de la Covid, au départ si mal gérée, aura favorisé une prise de conscience des injustices sociales et salariales autant que l’énorme nostalgie d’une « belle époque ». Nostalgie dont ce qu’on appelle abusivement « l’extrême droite » aura su faire ses choux gras. Mais avant de poursuivre sur cette voie, précisons qu’à bien des égards la 5ème république moribonde est un tissu d’obsolescences : pour qu’un candidat puisse effectivement se présenter, encore faut-il que lui soient accordés 500 parrainages, des formulaires signés par des maires, des parlementaires, des conseillers territoriaux, des députés européens, etc.
Pendant la mandature si vaseuse de François Hollande, décision a été prise de rendre public le nom des maires. Conséquence : quand un candidat souffre d’une réputation quelque peu sulfureuse, il se voit opposé un refus de nombreux édiles effrayés que des subsides en provenance, par exemple, de collectivités à un échelon supérieur ne soient, rétorsions obligent, purement supprimés.

Or, il se murmure que trois candidats, bien positionnés dans les sondages, ne puissent obtenir leur quota de parrainages: Eric Zemmour, dont certains propos ont fait l’objet de recours auprès de Justice de la part d’organisme sourcilleux ; Marine Le Pen ainsi que Jean-Luc Mélenchon dont plusieurs dérives idéologiques ont fortement déplu. Jadis un pilier du socialisme à la française reconverti dans un certain ultra-gauchisme, cet ex-ministre, ex-sénateur et actuellement député a déchaîné les passions après avoir humilié, férocement, un policier lors d’une émission de télévision. En l’occurrence C8, l’une des chaînes du pôle médias de l’Empire Bolloré, dont le fleuron télévisuel est… CNews, une chaîne d’info en continu dont l’audience dépasse désormais la légendaire chaîne BFM très acquise à la cause des macronistes.

Eric Zemmour a traîné sa bosse pendant quarante dans le journalisme, fréquentant tout le gratin de la politique, Il a peaufiné sa réputation d’analyste hors pair – non seulement la situation française mais également l’actualité internationale. Il y a deux ans, alors désireux de tonifier CNews, l’industriel et magnat des médias Vincent Bolloré l’a recruté dans le cadre d’une émission vespérale qui a fait un tabac, « Face à l’Info ». Ce fut un branle bas au sein de la société des rédacteurs de la maison, effrayée à l’idée qu’un confrère très enclin à la polémique à maints égards puisse devenir « la référence idéologique » d’une chaîne désireuse de faire contre-poids à l’ensemble des médias français. En effet, si 90 % des médias français (dixit Mélenchon) sont détenus par des milliardaires, la “faune journalistique” penche globalement à gauche. Un compromis fut trouvé : l’émission Face à l’Info ne serait pas diffusée tout à fait en direct mais visionnée scrupuleusement auparavant pour éviter certaIns procès dont rêvait toute une frange de cette ultra-gauche qui, attachée notamment à la cancel culture, gangrène entre autres le monde universitaire.

Petite parenthèse

Vincent Bolloré, qui a fait sa fortune dans le négoce des matières premières avec l’Afrique, est un catholique pratiquant. Selon des témoignages, il aurait rencontré et conseillé Zemmour à plusieurs reprises, et il n’est pas interdit de broder certaines supposition quant à des aides de nature financières, d’autant plus que la législation en la matière en France peut s’avérer être des plus floues.

Or, s’il est un sujet explosif que Zemmour manie de manière obsessionnelle, c’est bien celui de l’immigration allant de pair avec la montée en force de la communauté musulmane, que d’aucuns, hélas, associent à l’islamisme. Le thème du « grand remplacement » (notamment taux de fécondité beaucoup plus élevé dans les familles musulmanes) est l’un des chevaux de bataille de Zemmour. Brillant orateur, devenu par la force des choses un redoutable tribun, réputé libéral en matière économique, celui-ci dénonce la métamorphose de tant de villages et de villes ou se multiplient les boucheries hallal et où certaines écolières se promènent voilées dès leur plus jeune âge. Zemour, dont le père demandait de cacher sa calotte dans la poche de son pantalon, est parti en guerre contre ce qu’on pourrait appeler, « la France en marge de la France », prenant le risque de blesser profondément des centaines de milliers de musulmans quant à eux fort bien assimilés et ne présentant aucun problème.

Dans maints domaines, à commencer par l’insécurité grandissante, le candidat Zemmour, défenseur acharné des racines chrétiennes de la France, reflète une angoisse chevillée au cœur de tant de Français, s’aventurant à dire ce que beaucoup de politiciens, notamment chez les Républicains, dissimulent sous des propos plus sirupeux. En quelques mois, après avoir quitté CNews et déclenché sa campagne avec la publication d’un essai (La France n’a pas dit son dernier mot, qui s’est vendu comme des petits pains), Zemmour a constitué un bataillon de choc. Son nouveau parti Reconquête aurait engrangé près de 100.000 adhésions en deux mois. Et « un détail frappe », d’emblée : de très nombreux jeunes militent en faveur de cet homme assez « rocambolesque » physiquement (de grande oreilles en feuille de choux, et des joues peu rebondies) mais fort charismatique et ayant réponse à tout.

S’il obtient vraiment ses parrainages (et rien n’interdit de penser que la Macronie pourrait lui prêter main forte, se réjouissant de voir cet admirateur de Napoléon en passe d’accélérer la dissolution des Républicains, parti hétérogène fondé par Nicolas Sarkozy), Eric Zemmour serait même en mesure d’arriver en seconde position au premier tour de la présidentielle. Or, un nombre croissant d’observateurs chuchotent qu’Emmanuel Macron rêverait d’un débat de l’entre deux tours avec un homme aussi cultivé, brillant et clivant que Zemmour. En tout cas, celui-ci aura déjà réussi une belle prouesse : accélérer la recomposition d’un échiquier politique promis à devenir un cimetière d’envergue, avec la disparition presque certaine du Parti socialiste, l’éclatement des Insoumis, la formation engendrée par Mélenchon, et l’affaiblissement des écolos dont le candidat, Yannick Jadot, a commis l’irréparable en traitant Zemmour de… « Juif de service ».

Le grand rêve de Zemmour, donc : fondre la plupart des formations et partis à droite dans un immense parti à la fois libéral, autoritaire et souverainistes. Et ce rêve initialement fou commence à devenir réalité : des figures de premier plan ont rejoint Zemmour ces dernières semaines, notamment Guillaume Pelletier, l’un des leaders des Républicains, Philippe de Villiers, jadis secrétaire d’Etat à la Culture et créateur du parc à thème le Puy du Fou, ainsi que plusieurs dirigeants du Rassemblement national, dont l’unique sénateur de ce parti, Stéphane Ravier à Marseille. Dans les sondages, le parti de Marine le Pen est au coude à coude avec Reconquête, ce qui ne doit pas manquer d’enchanter toute une partie de la Macronie. Quant à Valérie Pécresse, la candidate des Républicains, elle a beaucoup de mal à convaincre les Français. Ministre de la Recherche de Nicolas Sarkozy, elle n’a même pas réussi à obtenir le soutien officiel de celui-ci, dont le cœur pourrait fort bien pencher du côté de Macron. N’oublions pas que Nicolas Sarkozy a accumulé toutes sortes de casseroles avec la Justice, ce qui ne peut que l’inciter à se montrer « correct voie compréhensif » à l’égard du pouvoir…

Artiste et journaliste bénévole, l’auteur vit dans une ville de banlieue proche de Paris a fondé un journal numérique, « Franc-Parler ».

Photo ©2020 Liliane H.

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