Par le petit bout de la lorgnette – Gstaad Palace, mars 2001, les confidences d’un guerrier auréolé de prestige


PAR SANTO CAPPON

C’est dans les salons feutrés du Palace-Hôtel de Gstaad que j’ai fait la connaissance de Monsieur X, début mars 2001. Luxe calme et volupté, sur ces hauteurs privilégiées de l’Oberland bernois. Rencontre inopinée, rendue possible à l’issue de la première édition publique, pour un festival de musique classique intitulé « Les Sommets Musicaux de Gstaad ». Que j’avais cofondé cette année-là avec trois autres personnalités dont M. Thierry Scherz, à l’initiative première de la pianiste Caroline Haffner (connue aussi sous le nom de Princesse Caroline Murat). L’occasion pour moi de faire adopter cette « raison sociale » à double sens, associant les sommets montagneux à ceux que la musique peut atteindre en qualité.

Lors du gala de clôture de ce nouveau rendez-vous culturel, le père de Thierry Scherz, le regretté Ernst Andrea Scherz (1939-2021), véritable légende vivante de l’hôtellerie suisse, nous honora de sa présence. 

 Ernst Andrea Scherz (1939-2021), propriétaire du Gstaad Palace. Photo©2001 Santo Cappon, prise lors du gala de clôture des Sommets musicaux de Gstaad, mars 2001.

Dans un tel contexte Monsieur X avait envie de parler. Je dirai même qu’il était en verve. Le spectacle rétrospectif de sa vie avait épousé les contours de l’Histoire. De fait se plaisait-il à le rappeler, chaque fois que l’occasion se présentait.

Serbe d’origine, il avait servi en tout bien tout honneur durant la Seconde Guerre mondiale contre les nazis et les « oustachis » de Croatie, puis par la suite dans différentes armées et sous différents uniformes. Tous rehaussés de prestigieuses décorations, avec au finish un grade de colonel de réserve et de conseiller militaire dans l’armée américaine. Cela implique, en haut lieu, d’avoir toujours été « du bon côté »…

Tant et si bien que la reconnaissance civile ne pouvait que couronner une telle carrière militaire, avec tous les honneurs que cela suppose et la respectabilité qui en découle.

Tant et si bien que sa science des armes en serait devenue, selon ses dires, consultable au plus haut niveau. Afin de voir triompher le bon droit des peuples, là où il est sensé renaître, bon an mal an, urbi et orbi.

Installons-nous dans sa logique interne et tentons de la décrypter. Le temps d’une réflexion furtive mais pas au-delà. Risquons-nous, en tant qu’avocat du Bien et du Mal, à poser LES DEUX QUESTIONS qui sous-tendent le destin de Monsieur X. 

La première débouche sur un état des lieux, la seconde illustre les prétentions de ceux qui sont concernés. La première réponse renferme un piège dans lequel vont tomber ceux qui justifient la seconde :

1) Une stratégie et un comportement militaires glorieusement menés, une vie durant, ont-ils rendu capable celui qui a cru agir au mieux, d’être l’initiateur incontournable d’une paix retrouvée au bénéfice des peuples méritants ? 

2) “L’art de la guerre” pourrait-il par conséquent déboucher sur une « philosophie militaire » porteuse d’épanouissement personnel, d’humanisme régénéré et fondatrice de paix durable ?

Ne nous emballons pas. Peut-être qu’un jour pourrions-nous assister à ce schéma-là, mais j’en doute ; encore faudrait-il qu’une telle logique renonce à fonctionner en circuit fermé. Toute paix se délectant malheureusement de la guerre qui précède et vice-versa, par effet de balancier et de justification réciproque. L’une étant le faire-valoir de l’autre. Action et réaction. Car jusqu’ici la blanche colombe n’a jamais eu de vie propre. Elle n’a jamais pu se suffire à elle-même. On ne l’a jamais vue émerger ailleurs que d’un champ de ruines. Avec au bec le fameux rameau d’olivier. Conclusion : nos deux lobes cérébraux nous condamnent-ils à bipolariser une fois pour toutes le destin collectif des peuples ? Avec, pour « Kinder-surprise » une catharsis aussi fugace que dérisoire ? Excusez la pirouette, un tant soit peu désespérée. 

Notons au passage qu’une certaine forme de « virilité active », de plus en plus décriée dans nos sociétés modernes n’en finit pas, même en ce 21e siècle, de regagner en visibilité. Ici et là au détour des nouveaux champs de bataille, qui fleurent si bon la funeste ardeur des siècles écoulés.   

Quoi qu’il en soit, au soir de son existence et de son engagement personnel, Monsieur X était fier autant que satisfait. Avec une voix de violoncelle bien arrimée, il finit par me dire :

– Voyez-vous, cher Monsieur, si dans la vie j’ai pu me réaliser pleinement en tant qu’homme, c’est grâce à la guerre !

Brrr…  

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