Festival International de Films de Fribourg post-apocalyptique, humoristique et ludique


PAR ANDREA DUFFOUR

Lunch Break, Brésil, 1er prix du court métrage international. Photo FIFF

Il ne fallait pas plus d’une séance pour que la grande famille du FIFF retrouve ses habitudes du 18 au 27 mars 2022: se retrouver comme avant cette période bizarre. Les quelques toux occasionnelles n’ont pas réussi à nous distraire.

Durant ces 10 jours, des milliers de cinéphiles comptabilisant plus de 43 000 entrées ont partagé leurs émotions et leurs microbes – les quelques masques isolés ont probablement été portés à bon escient, appelons ça une immunisation saine aux différentes cultures de notre monde – et il nous faudra de toute façon prendre du recul pour digérer la richesse du menu proposé lors de cette 36ème édition avec ses 126 films (dont 90 long-métrages) provenant de 58 pays, 5 premières mondiales et une cinquantaine de premières suisses ou européennes, dont 96% de films sous-titrés en allemand. Ajoutez à cela les projections scolaires (11 000 élèves), les rencontres, les petits-déjeuners, les tables rondes, les concerts, les expositions, et vous aurez une vision d’ensemble de cette riche édition 2022.

De la bonne trentaine de séances qu’une cinéphile bien organisée peut suivre, je tâcherai de brosser un petit résumé personnel et non exhaustif.

Une cérémonie d’ouverture avec les orateurs habituels, dont une seule oratrice, la tout fraîchement élue au Conseil d’Etat du canton de Fribourg, Sylvie Bonvin-Sansonnens – elle dit avoir l’habitude d’être la seule femme et a épicé son discours de pointes d’humour et d’une auto-dérision rafraichissante – et le film d’ouverture Escape from Mogadishu un peu trop genre comédie à mon gout.

«   Il se peut que le rire ne soit ni convenable, ni même acceptable »

dixit Marc Boivin, juge cantonal, lors du Grand Procès de la Comédie – une Justice de parodie dans la

Section Décryptage : Context Culture

Le Grand Procès de la Comédie (photo AD)

Le FIFF avait proposé à 90 comiques suisses de citer des comédies du siècle passé qu’on ne pourrait plus produire en 2022.

39 n’ont pas répondu, 21 ont explicitement refusé de participer, probablement en adhérant au mouvement de la cancel culture ( – mais comment la cancel culture peut-elle dénoncer des comportements discriminatoires sans ne pas virer elle-même au discriminatoire ?). 30 invité-e-s ont joué le jeu et ont choisi 10 comédies classiques des années 60-90 du siècle passé.

Le juge cantonal et humoriste Marc Boivin a présidé ce tribunal. Très bien préparé, il a introduit les chefs d’accusation avec brio.

Des avocats et autres comédiens ont jugé les 10 comédies incriminés selon les critères suivants : Certains passages de ces films cultes qui reflétaient le contexte de l’époque, seraient-ils encore politiquement corrects ou devrions-nous aujourd’hui les condamner comme racistes, sexistes, ou encore blasphématoires (les Monty Python ?), pour appropriation culturelle (The party ?), pornographie, homophobie ? Est-ce que La grande bouffe sera-elle jugée obscène, décadente ou immorale ?

« Il se peut que (le rire) ne soit ni convenable, ni même acceptable. Mais en regard de quoi ? Du droit ? De la morale ? De valeurs religieuses ou politiques ? », prévient le Juge Boivin.

Vous l’aurez remarqué, je me permets de jouer le rôle de la greffière, car le greffier (comédien Nicolas Haut) était occupé à jouer les scènes cultes incriminées comme pièces à conviction…

L’humoriste et rédacteur en chef de “Vigousse, Stéphane Babey, dans le rôle du procureur sévère a assumé avec bravoure sa plaidoirie finale: « On a pas le droit de se moquer des malades, et l’alcoolisme est une maladie (The party), ou encore :

La grande bouffe, Photo FIFF

« Manger autant de viande, c’est totalement irresponsable, ils auraient pu se remplir la panse de boulgour, de quinoa ou de lentilles vertes » (La grande bouffe) ».

« L’ignoble C est arrivé près de chez vous, c’est horriblement anti-belge, jamais ils auraient osé faire ça à des Français ou des Anglais – est-ce que je suis rigolo parce que j’ai l’accent jurassien ? »

En parlant de La vie de Brian : « Il faudrait mettre dans le générique de chaque film : « Aucun homo n’a été maltraité et obligé de jouer un hétéro, en plus ils se moquent des Romains, c’est malin, car la civilisation des Romains a disparu il y a plus de 1500 ans. Mais il y a encore les Romains de Rome. Autant prendre les Etrusques alors. Ainsi personne ne s’offusque. Il faut prendre les devants pour prévenir tout contenu choquant. On pourrait se demander s’il ne faudrait pas tout simplement arrêter de se moquer des humains (…) En attendant je vous demande de condamner sans appel ces dix films hautement problématiques. »

L’avocate, interprétée par une porte-parole de l’Eglise Catholique, a réussi à remettre l’église au milieu du village et ce fut finalement le grand Jury – notamment le public du Fiff – qui a tranché : Les 10 comédies ont été presque unanimement acquittées, et bénéficieront du label « humour bio ».

A retenir de cette expérience humoristique au sujet de l’humour : L’humour est à mettre dans son contexte culturel et temporel ( – très censuré par exemple dans les années 60 versus une liberté totale dans les années 70 – ) d’où la dénomination context culture en réponse à la cancel culture. L’humour est à redéfinir pour chaque époque, chaque âge, chaque contexte culturel.

Une autre leçon difficile à comprendre: Un témoigne poignant d’une humoriste contemporaine qui nous a appris qu’elle a perdu son travail de comédienne dans un média parce qu’une partie de son audience a confondu son personnage avec sa personne…

Face à cette culture de l’ « annulation », qui vise la mort médiatique d’une œuvre ou d’un acteur qui ne se comporterait pas politiquement correct, le FIFF a proposé la context culture : un pléonasme selon Thierry Jobin, directeur artistique du FIFF. Juger les œuvres par rapport à leur temps et leur contexte sociétal est un must.

« Vive le second degré, vive la différence entre la réalité et la fiction » conclura plus tard Thierry Jobin lors de la cérémonie de clôture.

Cinéma de genre et désirs du public : Le thème de l’Après l’Apocalypse

Une atmosphère apocalyptique a traversé tout le festival, non seulement dans la bande officielle avant chaque film, mais aussi à cause de sa proximité avec nos préoccupations actuelles, on aurait dit que c’est eXtinction rébellion ou la Grève du climat qui ont concocté le programme avec ces scénarios post-apocalyptiques, traitant de catastrophes, de guerres et de migrations climatiques. Le Fiff se voulant futuriste, il a été rattrapé par la réalité.

Section Nouveaux territoires : ANGOLA

Avec 10 longs- et 4 court-métrages, le cinéma est « jeune, riche, diversifié, irrévérencieux et très imparfait mais plein de dynamisme» comme nous confie Jorge Cohen, jeune producteur et co-fondateur du collectif Geração 80 et curateur de cette section. « En Angola, nous avons une école de cinéma, les difficultés ne sont pas politiques mais plutôt au niveau des infrastructures et les grands multiplexes ne montrent que des blockbusters nord-américains. »

Jorge Cohen, PhotoAD

« Nous voyons rarement des films de notre pays ou de l’Afrique tout court. »

Le FIFF est probablement le seul festival au monde, au moins au cours des 20 dernières années, qui consacre une section spécialement à l’Angola. « Nous avons pu montrer que nous avons une voix »

Et assurément, vous avez aussi le kuduro ! (Le « cul dur », nom de la danse nationale de l’Angola).

Dans cette section je retiendrai avant tout le documentaire Independência de Mario Bastos, aka Fradique, Angola 2015 , d’une durée de presque deux heures dont une grande partie en noir et blanc, qui trace en détail les années et les acteurs de lutte pour l’indépendance, avec le rôle important joué par le MPLA, pour finalement atteindre « l’indépendance » le 11 novembre 1974.

Mais aussi le magnifique film de fiction O grande Kilapy, Angola, Portugal, Brazil 2012 de Zézé Gamboa qui joue au milieu des années 1970, l’histoire d’un dandy qui jongle entre Lisbonne, Luanda et la police secrète de Salazar.

Sur ma question si les 20 ans de lutte pour l’indépendance de l’Angola sont encore un sujet pour des jeunes d’aujourd’hui, Cohen nous rassure que « chez nous, c’est un thème omniprésent. »

Section Hommage au cinéma AFGHAN

5 documentaires et une fiction, sans compter le touchant When Pomegranates howl de Granaz Moussavi qui figurait dans la compétition internationale.

The Land of the Enlightened, Photo Visions du réel

Mon coup de cœur va sans hésitation pour: The Land of the Enlightened de Pieter–Jan De Pue, Belgique 2015 : dans le genre du documentaire « rejoué », à l’instar de Lakposhthâ ham parvaz mikonand) « les Tortues volent aussi » (2004) de Bahman Ghobadi qui, lui, était tourné dans un camp de réfugiés kurdes à la frontière entre l’Irak et la Turquie et avait gagné le jury des jeunes au FIFF en 2004, non sans enthousiasmer durant des années mes élèves de cinéma. The Land of the enlightened: des images prises sur sept ans et des scènes rejouées par ces enfants armés qui parlent comme des adultes, trafiquent de l’opium, des lapis lazuli avec les soldats américains dans le désert de l’Afghanistan. Des images et des visages inoubliables !

Land of Enlightened, printscreen AD
The Land of the Enlightened, printscreen AD

Section Carte blanche, Pierre Richard

Retenu en France, pour avoir contracté le Covid, le charmant acteur français nous a laissés seuls avec la liste de ses 5 films proposés. Entre autres, le public fribourgeois a pu revoir le touchant Et si on vivait tous ensemble ? de Stéphane Robelin (France-Allemagne, 2001) avec Géraldine Chaplin qui est spontanément venue rejoindre le FIFF et commenter le film dans lequel elle a aussi joué. Pour l’anecdote : Pierre Richard a lui-même réalisé quelques films, comme par exemple Parlez-moi du CHE en 1987, ce qui lui avait valu une invitation par Fidel Castro en personne.

Section Diaspora : Gjon’s Tears : L’Albanie et le Kosovo Le jeune chanteur suisse avec des origines albanaises était très enthousiaste à l’idée de présenter personnellement les 5 films qu’il avait envie de partager avec nous:

Fin de Partie, Fisnik Maxville (Suisse, 2020)
Hive (Zgjoi), Blerta Basholli (Kosovo, Suisse, Albanie, Macédoine du Nord, 2021)
The Marriage (Martesa), Blerta Zeqiri (Albanie, Kosovo, 2017)
Sisterhood (Sestri), Dina Duma (Macédoine du Nord, Kosovo, Monténégro, 2021)
Skanderbeg (The Great Albanian Warrior Skanderbeg), Sergei Yutkevich, Albanie, URSS, 1953)
L’auteure prise en flagrant délit (photo Fiff)

Gjon’s Tears. Copyright: SRF/Oscar Alessio

A noter : Skanderbeg est pour les Albanais à peu près ce qu’est Guillaume Tell pour les Suisses. Chaque enfant connaît ce héros national, personnage du XVe siècle qui a combattu l’Empire ottoman à de multiples reprises. Voir cette épopée, coproduite en 1953 entre l’Albanie et l’USSR, était une occasion unique de nous approcher un petit peu de la culture de nos frères et sœurs albanophones, une des plus grandes minorités en  Suisse.

Hors compétition, à mentionner aussi le splendide long métrage lent et poétique Maria Chapdelaine, première européenne d’un drame qui se joue en 1910 dans les rudes paysages d’une forêt autour du lac de Saint-Jean au Canada.

Section Cutscene – jeux vidéos :

Cette toute nouvelle section pour les créatrices et les amateurs de jeux vidéos : Il suffisait de réserver sa planche horaire pour aller jouer toute seule sur grand écran, encadrée par de jeunes conceptrices de jeux vidéos qui se sont pris la peine d’expliquer à une novice comme moi cinq nouvelles créations suisses, dont une créée spécialement pour le Fiff (Un dernier film, 400 heures de travail, comme l’a expliqué une de ses créatrices). Pourquoi pas ?

Section longs métrages en compétition

Les 12 longs métrages doivent provenir d’Afrique, d’Amérique latine, d’Asie ou d’Europe de l’Est. Malheureusement, cette année, aucun n’a trouvé de distributeur en Suisse et ça sera donc très difficile de pouvoir les revoir. Les absent.e.s ont une fois de plus eu tort.

AMIRA de Mohamed Diab, Prix du Jury des Jeunes (photo FIFF)

Cérémonie et film de clôture, remise de prix :

Le bouleversant Amira de  Mohamed Diab, une chronique de la dure réalité des geôles israéliennes et des fécondations in vitro clandestines (une centaine seulement ?) qui permettent aux prisonniers palestiniens d’avoir des enfants. Ce film exceptionnel et universel traite d’amour et d’identité et a malheureusement été assez mal compris par certains critiques. Il a entièrement mérité le précieux prix du Jury des jeunes.

Quant au prix du public, il a été attribué à Broken Keys du Libanais Jimmy Keyrouz, tourné dans les décombres en Syrie, où un pianiste cherche au risque de sa vie les pièces de rechanges pour son piano, cassé par les mercenaires ou par l’État islamique.

Le drôle et tragique Brighton 4th du Géorgien Levan Koguashvili avec ses portraits touchants a, à juste titre, remporté le Prix spécial du Jury international Longs métrages, tandis que le film la Civil de Teodora Ana Mihai basé sur une histoire vraie a été récompensé par le Jury œcuménique.

LA CIVIL, Arcelia Ramirez lors de la cérémonie de clôture, Photo FIFF

Il s’agit d’une mère à la recherche de sa fille kidnappée au Mexique. Le film était accompagné à Fribourg par sa protagoniste Arcelia Ramirez.

Petit bémol,  selon mon expérience et modeste avis personnel: dans chaque festival, il y a des intrus qui sont soigneusement propulsés par la machine de propagande. Le film ukrainien Klondike, un quasi huis clos, affiche des vues splendides, certes, mais il présente une opinion très individuelle et biaisée, sans mise en contexte. Le film rafle Le grand prix, le couple de  producteurs profitant de sa présence pour tenter une récupération politique à tous les niveaux. 

Le magnifique The Gravedigger’s Wife, premier long métrage du somalien Khadar Ayederus Ahmed n’a malheureusement obtenu aucune mention. 

Dans la section des courts métrages, leurs auteur·es doivent venir de pays figurant sur la liste des pays éligibles à l’aide publique au développement de l’OCDE :

C’est la Brésilienne Nina Kopko  qui a remporté à juste titre le Prix du meilleur court métrage international pour son Lunch Break, la pause midi des ouvrières dans les toilettes de leur usine, « un film politique et qui donne de l’espoir » selon son message vidéo.

Comme film de clôture a été choisi le documentaire Marcher sur l’eau de Aïssa Maïga. Dans une petite école au milieu de nulle part un professeur explique à ses élèves comment prononcer le mot français « changement climatique », « un processus déclenché par la pollution produite dans les pays riches et qui nous retombe dessus ici »

Marcher sur l’eau, printscreen AD

Le message du film est simple : ces gens, dans leur petit village de Tatiste dans le nord du Niger, victimes du réchauffement climatique, modestes, calmes, respectueux et qui doivent polluer ensemble en un mois moins que chacun d’entre nous en un jour, sont malgré tout heureux et souhaitent uniquement que les autorités leur creusent enfin un puits pour avoir accès à l’eau qui se trouve à 180 mètres sous leurs pieds.

Ce film qui nous laisse partir songeurs face à nous-mêmes, à nos désirs et à notre irresponsable société de consommation.

Prochaine édition :

FIFF 17-26 mars 2023

L’auteure participe au Fiff depuis sa toute première édition en 1982 (sauf pour les éditions 92 et 93 où elle avait travaillé dans un projet de développement au Brésil). Elle a été professeure de cinéma de 2008 à 2019.

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