Par le petit bout de la lorgnette – Le printemps, en ordre de marche


PAR SANTO CAPPON

Aux premières lueurs d’un printemps qui frappe à la porte, une guerre ensemencée par les fabricants de canons et un cynique pourvoyeur d’énergies fossiles prend pour de bon racine au sein de la fertile Ukraine. Dans la sphère occidentale, personne n’aura anticipé le surgissement possible et aussi brutal d’une telle déferlante. Puis d’un enlisement tout aussi massacrant. Aurait-on pu éviter un tel cauchemar ? Sauf qu’à l’origine, un business global et à grande échelle commandait de ne pas contrarier la belle saison des contrats débridés fertilisant un mondialisme à courte vue et si peu perspicace.  

Or il se trouve que de leur côté, les petites fleurs cultivent en parallèle une jolie métaphore : elles aussi sont à leur manière en ordre de confrontation. A la toute fin de l’hiver. Les unes face aux autres. En rangs serrés. Sous nos yeux. Observons-les sur la présente photo, affublées de blanc et de bleu. Se retrouvant au jardin, spontanément mobilisées. Resurgies des couches intermédiaires où elles auront assimilé l’art de germer. Patiemment, juste après que la saison précédente eut perdu la guerre froide. Un armistice a bien été signé le 21 mars. 

Mais comme l’Histoire humaine nous le rappelle et soit dit entre parenthèses, les guerriers encasernés et ceux que l’on peut assigner aux frontières attendent les ordres dans leurs starting blocks. S’inspirant de nos fleurs sauvages et de nos plantons en attente d’une convocation. « Prévisible » dans les deux cas. Car les saisons humaines sont également cycliques, potentiellement belliqueuses, inscrites dans le génome des politiciens, des stratèges et des tacticiens. Comme si la progression de l’humain se devait d’être aussi impitoyable, à terme, que le règne animal dans son ensemble. Afin d’honorer Darwin et cette foutue sélection naturelle qui veut ignorer les destins individuels pour voir au bout du compte survivre une espèce adaptée, autrement dit « améliorée ». La Nature serait-elle complice d’une forme, inévitable pour l’humanité, d’eugénisme civilisationnel ?

Revenons vite à nos petites fleurs. A distance elles paraissent encore plus minuscules. Nos regards balaient le champ de leur éclosion massive à la manière de drones ou mieux encore, de satellites en phase d’observation.

Suite à l’armistice hivernal, les crocus avaient sonné précédemment le rappel des troupes, celles à qui incombe aujourd’hui d’annoncer la couleur. Cette couleur diverse qui va tapisser nos jardins, exprimant des nuances qui rivalisent et se toisent mutuellement. Des commandos de mauvaises herbes vont bien vouloir s’interposer. La question alors se pose : auront-elles le champ libre au bonheur de la friche ? Ou alors va-t-on les éliminer par des frappes chirurgicales ?

On observe par ailleurs des nuées de fantassins qui seront les premiers sacrifiés : les pâquerettes, que personne ne peut prétendre avoir systématiquement épargnées. Qui n’a jamais foulé du pied, volontairement ou non, ces expressions aussi tendres que spontanées, de l’anarchie végétale !

Mais la jonquille jaune, appelée aussi “jonquille trompette”, est là pour sonner le rappel des troupes. Les narcisses, de leur côté, ne cessent de se mirer dans le bassin au fond duquel quelques feuilles mortes au champ d’honneur ne seront jamais déposées là où leur destinée pourrait dignement fermenter. Pour le bénéfice de tous. A savoir dans les allées recueillies du compost municipal. Offertes à la fertilisation du souvenir à venir, au bonheur silencieux d’une dévotion collective.

Quant au grand magnolia, il ne va pas tarder à s’épanouir. Ses grandes fleurs serviront d’aires d’atterrissage pour des commandos de coléoptères aux prouesses aéronautiques incertaines.

Au final, il est temps que je reprenne mes esprits. Mes élucubrations ne doivent en aucun cas faire oublier une chose : le printemps est inéluctable, alors que les guerres pourraient, à la grande rigueur, être évitées.  

Photo©2022 Santo Cappon: Au parc Floraire de Chêne-Bourg

Tags: , , , ,

Un commentaire à “Par le petit bout de la lorgnette – Le printemps, en ordre de marche”

  1. Yannick Le Houelleur 28 mars 2022 at 13:29 #

    Cher Monsieur, vous faites bien de nous rappeler que tout dans la nature s’apparente à un combat, à une perpétuelle lutte pour la survie. Mais le règne végétal et animal a ceci de particulier qu’il ne différencie pas le bien et le mal. Pourtant, dans ce royaume où les souffrances sont étouffées par l’éclat des couleurs et le foisonnement des bruits les plus divers se déploient des comportements, des « traditions » qui rendent, par exemple, les arbres plus proches encore de nous. Dans une forêt, certaines espèces ont pour vocation de protéger les autres alors que de plus jeunes arbres, quand ils croissent, vont adopter une stratégie qui conduira leurs voisins les plus âgés à s’affaiblir peu à peu, car se trame dans les sous-bois une lutte féroce pour le droit à la lumière. Cette nature que nous devons aimer et dont nous devons nous montrer solidaire est pourtant, répétons-le, bien différente de l’espèce humaine qui détient ce privilège : chaque jour, nous sommes amenés à faire des choix, en fonction de nos valeurs intimes et de nos convictions ou manque de conviction(s). Dans la mesure du possible, nous aurions intérêt à opter pour le bien alors qu’en vérité le mal triomphe si souvent. Nos vies sont limitées à tout point de vue, et nous croyons défier l’éternité en oubliant qu’être juste, honnête, loyal, c’est renoncer à ce qu’il y a de plus sordide en nous. En Occident, plus particulièrement, le sens du bien commun semble se perdre toujours davantage ; les tricheurs et les escrocs sont à l’œuvre pour dominer leurs pairs.
    Vous avez le don d’exprimer des « choses » assez cruelles avec lucidité tout en ne renonçant pas à la part d’émerveillement enfantin, à la naïveté qui vous évitent d’être un adulte consentant et formaté par les exigences de la société de con-somation où le matérialisme impose sa loi. D’où l’impression de fraîcheur qui émane de vos écrits.
    C’est un plaisir que de vous lire. Bien évidemment, c’est le privilège des écrivains que de traduire en « simples mots » des choses et des sentiments si complexes.

Laisser un commentaire

Les commentaires sous pseudonyme ne seront pas acceptés sur la Méduse, veuillez utiliser votre vrai nom.

Mentions légales - Autorenrechte

Les droits d'utilisation des textes sur www.lameduse.ch restent propriété des auteurs, à moins qu'il n'en soit fait mention autrement. Les textes ne peuvent pas être copiés ou utilisés à des fins commerciales sans l'assentiment des auteurs.

Die Autorenrechte an den Texten auf www.lameduse.ch liegen bei den Autoren, falls dies nicht anders vermerkt ist. Die Texte dûrfen ohne die ausdrûckliche Zustimmung der Autoren nicht kopiert oder fûr kommerzielle Zwecke gebraucht werden.