Le Musée d’Art et d’Histoire au coeur du débat politico-culturel genevois


PAR PASCAL HOLENWEG

Ça sert à quoi, un musée, au XXIe siècle?

La “Tribune de Genève” faisait, le 5 juillet de l’année dernière, sa “une” et presque deux pleines pages d’une “guerre interne au Musée d’art et d’histoire”. En fait de “guerre interne” on avait affaire à une fronde contre le directeur, Marc-Olivier Wahler, accusé, notamment, par une lettre ouverte de plus d’une centaine de personnalités genevoises de “ne rien comprendre à ce qu’est un musée patrimonial”. Le MAH se retrouvait ainsi, une nouvelle fois, au coeur du débat politico-culturel genevois. D’un débat politique, pas d’un conflit personnel, ni d’un confit de génération, ni d’un confit corporatiste. Hier soir, le Conseil municipal de la Ville a accepté à l’unanimité une motion de la droite enjoignant le Conseil administratif de lui donner toute les informations et explications nécessaire pour que les membres du délibératif “puissent se faire une idée précise de ce qui se passe au sein du MAH”. Le Conseil administratif devra répondre à la motion, sa réponse sera publique, et nourrira donc le débat que nous attendons sur le rôle d’un musée public patrimonial, encyclopédique, sa place dans la Cité, sa fonction dans le réseau culturel genevois. Nous attendons de ce débat une réponse à une question simple : ça sert à quoi, un musée, au XXIe siècle ?

Un musée peut-il être subversif ? Et s’il peut l’être, comment arriver à l’être effectivement ?

Le réseau muséal genevois est considérable : aujourd’hui, ce sont cinq musées municipaux (en gestion directe par la Ville) sur huit sites, ayant reçu plus de 1,750 million de visites en 2019, et auxquels est consacré un tiers du budget culturel de la Ville. Ce réseau est, collectivement, tous musées (privés ou publics) confondus, encyclopédique: il couvre tous les arts, toutes les techniques, tous les savoirs,  beaux-arts.  Dès le milieu du XIXe siècle, Genève a caressé le projet de se doter d’un “grand musée”, qui sera réalisé en 1910 par la réunion au MAH, musée “encyclopédique”, des collections historiques et artistiques dispersées entre le Musée Rath, le Musée archéologique, le Musée épigraphique, le Musée des Arts décoratifs, le Cabinet de numismatique et l’Arsenal. Avant que, faute de place pour les rassembler toutes au même endroit, des “filiales” du MAH sont créées : la Bibliothèque d’art et d’archéologie, le Cabinet des Estampes, l’Ariana, le musée de l’horlogerie, la Maison Tavel.

Si on fait du MAH le “navire amiral” des musées genevois, cela signifie que la flotte muséale est dirigée par lui. Qu’est-ce que cela peut bien signifier ? Et quels liens établir entre ce navire, cette flotte, et l’Université ? Le Magistrat en charge de la culture (et donc des musées…), Sami Kanaan, écrit en préface de la présentation du “concept et stratégie” pour la “Genève des musées” que son ambition est “de voir nos musées s’affirmer comme des lieux incontournables de démocratisation culturelle, comme de véritables acteurs au service de la société et de son développement”…  mais encore ?

La commission d’experts chargée, après le naufrage du “projet Nouvel” en 2016, d’imaginer le nouveau Musée d’Art et d’Histoire de Genève propose dans son rapport publié en juin 2018 d’abandonner l’approche encyclopédique traditionnelle (“un musée encyclopédique donnant à voir ses collections selon un classement par discipline”) pour un “campus muséal au coeur de la cité”, sur le site actuel de Charles-Galland,  construit comme un roman historique qui évoque, en remontant le temps, l’histoire de Genève, en s’appuyant sur “un usage novateur des collections” du musée pour raconter comment en une vingtaine de siècles un bourg allobroge insignifiant est devenu une petite ville de 200’000 habitants occupant une place sans équivalent (pour une ville de cette taille modeste) sur la scène internationale. Elle considère que le statu quo “n’offre aucune perspective d’évolution”, ne permet ni la valorisation de nouvelles collections, ni l’amélioration de l’accueil des publics, ni la création de liens organiques avec la Bibliothèque d’Art et d’Archéologie et avec le Cabiner d’arts graphiques, ni de “conférer une identité forte et claire” au MAH. Elle considère, en même temps, que la construction d’un nouveau musée, entièrement délocalisé ailleurs que sur le site actuel du MAH, offre certes “les perspectives les plus intéressantes en termes d’architecture et de polyvalence”, mais suppose “un geste architectural fort et emblématique”, et doit affronter de si nombreux obstacles qu’il s’inscrit “dans un horizon temporel trop incertain”.

Il n’y a plus de définition exclusive du musée, de définition qui, en nous disant ce qu’est un musée, nous dirait à la fois ce qu’il n’est pas et ce qu’il ne peut pas ne pas être. Le musée”est une forme qui n’a cessé d’évoluer en 200 ans” rappelait Marie-Hélène Joly dans la “Lettre de l’OCIM” en août 2009. Et aujourd’hui, le musée est tendance : il ne s’en est jamais construit autant, en Europe et dans le reste du monde : plus en quinze ans (2000-2014) que pendant deux siècles (les XIXe et XXe). Chaque année, 700 musées d’envergure internationale, dont les collections permanente comportent au moins 4500 oeuvres d’art, ouvrent leurs portes. Dont 300 en Chine… Mais pour montrer quoi ? “On n’apprend pas beaucoup d’un tableau accroché au mur dont tout le monde admet qu’il est beau”, soupire David Walsh, directeur du Mona (Musée de l’ancien et du nouvel art) de Hobbart, en Tasmanie.

La rénovation du MAH (le concours d’architecture sera lancé en 2023) peut difficilement n’être que celle du bâtiment, sans être celui de son contenu, à moins que l’on tienne absolument à répéter les erreurs qui ont conduit le précédent projet (dit “projet Nouvel”) à sombrer dans les urnes d’un vote populaire municipal en février 2016. Et la question qui se pose, si l’on admet qu’il faille au MAH continuer à assumer sa mission originelle, est de savoir s’il doit s’en tenir à cette mission ou la conjuguer à un projet autre, différent, réellement novateur… Un musée peut-il être subversif ? Et s’il peut et veut l’être, comment arriver à l’être effectivement ? Comment inclure des rôles, des fonctions, des visions différentes, voire contradictoires, de son rôle  Réconcilier Vivant Denon et l’Internationale Situationniste? vaste projet…

L’auteur est conseiller municipal à Genève

Causes Toujours

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