L’hyperglobalisation nous a « tuer »! Elle nous rend irrémédiablement dépendants les uns des autres, et ce à l’échelon universel. Tant et si bien que des sanctions punitives dirigées contre un pays de taille moyenne affectent désormais les chaînes de production à l’autre bout de la planète pour se retourner in fine contre ceux qui les décrètent.
La campagne de Russie se déroule à l’évidence au plus mal pour cette nation. Si ce n’est que la Russie est toujours puissante – non pas tant de son arme nucléaire – que de la dépendance d’elle de la part du reste du monde. Une cinquantaine de pays disséminés à travers le globe consomment ainsi le blé russe et ukrainien, dont certains de manière critique comme l’Egypte ou la Turquie qui importent près de 65% de leurs besoins de ces deux belligérants. On a donc bien compris aujourd’hui que la Russie, que l’Ukraine mais également que la Biélorussie sont essentielles pour notre approvisionnement alimentaire et que des perturbations durables auront à l’évidence des conséquences désastreuses. Une famine mondiale n’est pas exclue car le pire effet des sanctions contre la Russie n’est même encore perçu – sur nous et par nous.
En effet, la pénurie de fertilisants est la menace suprême qui pèse dans un contexte général où ces sanctions commencent à peine à affecter les chaînes d’approvisionnent. Pour la toute première fois dans l’Histoire moderne, c’est la totalité des fermiers et producteurs autour du monde qui commencent à durement ressentir, au niveau de leurs récoltes menacées de dévastation, la pénurie naissante des fertilisants d’origine chimique dont les prix sont déjà en augmentation de 75% sur une année. Les exploitations de café au Costa Rica, de soja au Brésil, de pommes de terre au Pérou sont en passe d’être décimées de l’ordre des 30 à 50% en l’absence de ces fertilisants. C’est l’ensemble du continent africain qui est sur le point de subir des récoltes de riz et de maïs en chute de près de 40% également, et le monde entier des augmentations de prix sans précédent sur toute une série de denrées allant des produits laitiers à la viande. Et ne nous y trompons pas, car cette insécurité et ce stress alimentaires – ainsi que le choc hyper inflationniste qui les accompagne – sont là pour durer, et ce même si la guerre en Ukraine s’arrêtait aujourd’hui comme par enchantement.
C’est en effet pas moins de 3 milliards 300 millions d’individus qui sont dépendants – pour se nourrir – de fertilisants d’origine chimique. C’est donc l’Humanité qui risque fort de sombrer dans ce qui menace d’être la pire famine de l’Histoire du monde. Est-il nécessaire de décrire les effets à court terme d’une telle malnutrition qui se déclineront en mouvements sociaux violents lesquels dégénèreront en émeutes et en morts ? Il faut renvoyer dos à dos ces économistes prétendant que l’implosion de l’économie russe n’aura qu’un impact provisoire sur nos existences sous prétexte que son P.I.B. atteint à peine celui de la Hollande et de la Belgique réunies. Ces calculs et prévisions fallacieux ne tenant compte que de la taille d’une économie en valeur absolue rappellent ceux qui avaient sous-estimé les ravages de la chute de Lehman Brothers qui n’était en soi pas un établissement très important. Ces experts – de ce passé et de ce jour – négligent les effets dominos de la faillite de banques, et à plus forte raison de la chute de nations, dans un environnement de globalisation et d’interdépendance intenses.
Après une pandémie dont certains pays ne sont pas encore sortis et qui aura traumatisé notre génération, il est peut-être temps de nous rendre compte que la solution optimale au problème russo-ukrainien n’est pas de ce monde, qu’une guerre n’est jamais totalement gagnée, que l’émotion au niveau géopolitique est rarement bonne conseillère, qu’il est enfin temps de ramener tout ce monde à la raison.
Votre article est excellent, Monsieur Santi, et « nourri » de solides arguments. Vous nous aidez à prendre conscience d’une réalité plus que palpable. Outre la thématique des engrais chimiques (la moins mauvaise des solutions ?) il faudrait prendre en compte aussi ce dont certains nient la gravité : l’inéluctable réchauffement climatique. Quelle est la superficie de terres qui ne seront plus cultivable et infertiles à cause de toutes les conséquences de bouleversements majeurs résultant d’une guerre excessivement déclarée à l’environnement ? Et puis, dans cet effet domino que si justement vous évoquez, il faudra tenir compte de l’accélération des mouvements migratoires touchant nos pays en voie d’appauvrissement (dont la France !), avec toutes les tensions supplémentaires qui en découleront. Si nous prenons désormais tellement en compte le péril de famines à travers la planète toute entière, sans doute est-ce (également) parce qu’au cœur de nos économies réputées prospères s’exacerbe la double progression de deux problématiques : la malbouffe et la sous-nutrition affectant des parts de la population confrontées à un choix crucial, à savoir payer son loyer où s’alimenter correctement. Très personnellement, en vue d’un « papier » corroboré par des témoignages recueillis dans « ma » ville, Gennevilliers, je suis en train de lire un formidable « livre-reportage » signé Flaminia Paddeu, « Sous les pavés la terre ». Cette géographe et enseignante – décrit la renaissance et la montée en puissance de l’agriculture urbaine. Pour ce faire, elle a entrepris un tour du monde avec des haltes prolongées à Détroit, métropole sinistrée par la désindustrialisation où la multiplication des friches a donné des idées à nombre d’associations et de communautés diverses. Jardins partagés, jardins familiaux et ouvriers, bacs en pleine rue transfigurés en mini jardin potagers… Se dérobant à la nécessité de faire des bénéfices, car régies par des structures le plus souvent associatives, ces cultures alternatives permettent, tout au moins pour certaines, à des gens modestes de mettre dans leur marmite des produits de la terre (obtenus sans engrais chimiques !) qu’ils ont fait pousser eux-mêmes. C’est dire à quel seuil d’étiolement de leurs revenus en sont arrivés des gens censés mener une vie digne dans des pays où l’on gaspille autant d’argent et où l’on verse des retraites misérables, telle des oboles, à des citoyens usés par des années de labeur. Certes, on peut voir dans cette profusion de jardins et potagers urbains un « phénomène de société » limité aux pays développés mais… la faim rôde au coin de la rue. Et vouloir tout voir à travers le prisme des engrais chimiques pourrait relever d’une vision involontairement tronquée des réalités. Ces crises que nous traversons avec toujours plus d’intensité sont sans doute l’ultime chance de résoudre les problèmes en vertu de paradigmes différents de ceux adoptés jusqu’à ce jour et dont on mesure l’absolue faillite.