Tribune libre – Pour la création locale, la richesse et la variété des films, oui à la loi sur le cinéma!


La révision de la Loi sur le cinéma contraindra les entreprises qui diffusent du contenu (et des publicités ciblées sur la Suisse) sur les réseaux numériques d’investir 4% de leur chiffre d’affaires dans des séries et films suisses ou co-produits en Suisse. Cette obligation est déjà celle des entreprises suisses et en particulier de la SSR. Les opérateurs pour la téléphonie et internet qui diffusent des contenus (films, séries, jeux, etc.) doivent également suivre cette règle.

Depuis des décennies, la droite libérale et l’extrême-droite crient au loup dès qu’il est question d’une aide directe ou indirecte de l’Etat pour la culture. En 1958, elles s’opposaient déjà avec véhémence à l’introduction d’un article historique dans la Constitution donnant à la Confédération « le droit d’encourager la production cinématographique et les activités culturelles déployées dans le cinéma et de « réglementer l’importation ou la distribution de films ».

Aujourd’hui, selon les Jeunes PLR, l’UDC et les Verts libéraux prétendent, à l’appui de leur opposition à la loi, que « les consommateurs devraient être libres de visionner ou de soutenir les films qu’ils souhaitent ». Pourtant restreindre tout le débat au sujet de cette révision à la perspective du consommateur est très réducteur. Durement impactée par la pandémie, la situation du secteur de la création audiovisuelle n’est de loin pas aisée sur un marché national à la fois restreint, divisé linguistiquement et culturellement. En Suisse, les parts de l’activité économique générée par la création audiovisuelle sont réparties inégalement, notamment entre les exploitants de salle, les distributeurs et les ayant droits. Les producteurs et les réalisateurs de films n’ont vraiment pas la tâche facile.

Comme l’ont relevé les partisans de la révision, «il faut comprendre que les plateformes étrangères, qui ne paient pas d’impôts sur notre territoire tout en récoltant les recettes intégrales des abonnements, doivent contribuer elles aussi (comme les chaînes de télévision suisses) à faire vivre l’écosystème local (hôtellerie, restauration, tourisme, etc), dont elles bénéficient car elles puisent dedans». Il s’agit d’un simple échange de bons procédés. «En comparaison aux 26% prélevés par la France, nous sommes même très raisonnables avec 4%, comme on sait l’être en Suisse», souligne aussi le cinéaste genevois Pierre Morath. Les autres pays qui laissent Netflix diffuser sur leur marché lui demandent une contribution. Pourquoi la Suisse ouvrirait-elle grandes ses portes sans conditions? Comme l’a aussi fait observer le cinéaste lausannois Jean-Stéphane Bron, ces plateformes gagnent de l’argent en Suisse sur des services culturels pour lesquels elles ne paient rien. Netflix n’a pas elle-même produit d’auteur-e-s, ils viennent tous d’ailleurs. «Or il serait plus juste que Netflix soutienne les créateurs et créatrices de demain qui lui donneront peut-être des séries. En effet, il n’y a pas d’école de cinéma, de docu, de court-métrage Netflix : ceux qui créent pour la plateforme sont formés aux frais du contribuable. Que Netflix y contribue sa part est donc logique».

Au même titre que les théâtres, les salles de concert ou d’exposition, le secteur de la création audiovisuelle crée des liens sociaux essentiels dans les petites villes, au sein des centres urbains de taille moyenne et dans les communes les moins bien reliées aux agglomérations. Tout comme la musique, le cinéma est un art populaire par excellence. Il permet de renouveler constamment nos formes d’expression, de pensée et de représentation. Il offre des occasions uniques de nous surprendre, nous amuser et nous émouvoir.

Alors qu’ils s’attaquent aujourd’hui aux instruments de soutien à la création audiovisuelle suisse, il y a fort à parier que le PLR, l’UDC et les Verts libéraux s’opposeront dès le lendemain de la votation à d’autres mécanismes de soutien et de redistribution dans le domaine de la culture. Certains appellent déjà au démantèlement de la SSR, pilier vital de système fédéraliste, plurilingue et pluriculturel. Afin de stimuler la richesse de la création locale et suisse, pour contrer l’uniformisation des goûts et des opinions, et face une vision purement comptable et mercantile du monde qui s’emploie à dominer les esprits, soutenons énergiquement la loi sur le cinéma!

Emmanuel Deonna, Journaliste indépendant et Député au Grand Conseil genevois, Parti socialiste

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