Colportage interdit, film de Daniel Duqué, un culot magnifique à frapper aux portes des gens pour leur vendre du cinéma


Colportage interdit – Daniel Duqué, Suisse 2021 – 78’

Film brut dont le montage brut vertèbre un récit brut fait de disgressions et de préoccupations échevelées. Le légitime narcissisme de Daniel Duqué comme la générosité de son énergie fait le lit de son culot magnifique à frapper aux portes de gens pour leur vendre du cinéma.

Parfois le plan tient dans une durée qui confère au film une temporalité de méditation, mais plus souvent, le rythme mis en œuvre relève d’une urgence politique pour ce qui concerne la culture, l’information, la circulation des images ; urgence aussi de proposer la geste poétique d’un colporteur de film dans une pratique de l’élargissement du poème, selon ce titre séminal du livre de Jean-Christophe Bailly.

Cet homme, le réalisateur lui-même, caméra au poing la plupart du temps, est le personnage magnifiquement solitaire et forcément mû par une opiniâtreté folle, figure de cinéma burlesque parfois, espèce de Jacques Tati quand il enjambe une haie, arpente des champs, fonce avec sa trottinette le long des rues. Un flâneur échappé du temps social qui corsète corps et âme.

Vendre des films au porte-à-porte, ses films et ceux de quelques autres. Pensez ! À l’heure de la dématérialisation des supports, un homme au visage émacié et au verbe souriant, teinté d’une naïveté qu’il sait décliner avec malice, vous sonne, frappe à votre porte, un colporteur dont la large sacoche est bourré de DVD. Il sait l’art de la rencontre improvisée avec une empathie touchante, jusqu’à celle avec cette femme dont la peinture n’a jamais retenu l’attention de personne sinon celle de Daniel Duqué. Sa façon de filmer alors ses toiles est émouvante.

Colportage interdit s’essaye à raconter cette économie de survie, ces déambulations erratiques, cette opiniâtreté à résonner dans l’air du temps tout en le raisonnant. Il s’échine à donner présence à de simples gens, qui savent être attachants, drôles, inspirés, sûrs de quelques convictions. C’est là tout l’engagement de Daniel Duqué que d’inventer un mouvement virevoltant, avec cadres et plans bougés à l’envi, pour un récit qui a pour terrain de jeu tous ces seuils – en Suisse Romande – dont les portes témoignent de ce chacun chez soi feutré, chacun pour soi calfeutré, satisfait en un mode de vie dans lequel la pensée, le rêve, l’imaginaire paraissent parfois encalminés.

Le montage du film auquel Jean Reusser sait instiller des rythmes jazzés, ses coupes brusques, abruptes, sans sacrifier pour autant le sens des plans jubilatoires, échafaude une histoire faite de mille histoires salutairement tenues hors des sentiers battus de la linéarité des narrations assoupies. On pense à Jonas Mekas, à Alan Berliner, à Guy Maddin (ses courts métrages), … point de comparaison directe ici, sinon simplement l’envie de saluer des cinéastes amis.

Colportage interdit est un essai à la riche partition sonore, qui pense en aménageant sur un mode intimiste des citations de poètes, de penseurs, d’écrivains, de cinéastes, ces compagnons des routes le long desquelles il s’agit ainsi d’acquérir de la main à la main des films à fréquenter.

Jean Perret

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