Ces Suisses(esses) qui ont cherché l’aventure ou la gloire ou la richesse à l’étranger


PAR PIERRE JEANNERET

Alex Capus, journaliste et romancier très connu en Suisse alémanique et bien au-delà, dont plusieurs livres ont été traduits en français, nous conte avec talent le destin de douze de nos compatriotes.

Certains sont célèbres, tel le révolutionnaire Jean-Paul Marat, né en 1743 à Boudry, dont les pamphlets sanguinaires dans L’Ami du Peuple peuvent éventuellement trouver une explication psychosomatique dans son grave eczéma et sa déformation physique. Saviez-vous en revanche que Marie Tussaut, créatrice du fameux musée de personnages en cire à Londres, était née Marie Grosholtz, et qu’après avoir représenté les figures de la famille royale française, elle réalisa le masque funéraire de guillotinés ?… Quant à Regula Engel, qui vit le jour dans un village zurichois, elle connut une vie aventureuse, participa aux batailles napoléoniennes, puis descendit le Mississipi, tout en mettant au monde vingt et un enfants ! Ferdinand Hassler, né lui à Aarau, allait se faire connaître aux États-Unis comme le cartographe de la côte Est et de la frontière avec le Canada britannique, auquel il réussit par une astuce à enlever un bout de territoire. Le Bernois Samuel Johann Pauli poursuivit toute sa vie le rêve de créer un dirigeable mû par un moteur, mais les machines à vapeur étaient trop lourdes pour cela, et il fallut attendre l’invention du moteur diesel pour voir voler des zeppelins. Comme d’autres, il finit dans la solitude et la misère. Le Zurichois Hans Adolf Meyer, aventurier et faux médecin, s’illustra néanmoins aux côtés de Lord Byron à Missolonghi, lors de la lutte héroïque grecque contre l’occupant ottoman, au cours de laquelle il perdit la vie. Passons rapidement sur le destin tragique de Maria Manning (née Marie Roux au bord du lac Léman), dont les rêves de mariage princier et de richesse la conduisirent à un assassinat, puis au gibet à Londres. Adolf Haggenmacher partit pour l’Égypte, puis le Soudan, où il épousa une « demi-négresse » au grand scandale de sa mère, puis pour la Corne de l’Afrique, où il mourut de faim, de soif et d’épuisement. D’autres connurent la célébrité, puis l’oubli, tel Eduard Spelterini, un pseudonyme, car il cachait sa naissance illégitime dans le Toggenburg et son vrai nom.
S’inscrivant dans la mode des aérostiers au 19e siècle, il réalisa 570 ascensions avec des passagers, survola le Vésuve et les Alpes… mais l’avènement de l’avion le relégua dans un anonymat total, à sa mort en 1931.

Plus connue est la destinée courte, passionnante et tragique d’Isabelle Eberhardt qui, habillée en homme, parlant l’arabe et convertie à l’Islam (tout en menant une vie sexuelle très libre et en abusant de l’alcool), parcourut l’Algérie, sur laquelle elle laissa des articles journalistiques et des récits pleins d’empathie pour les nomades, avant de mourir jeune en 1904 lors d’une inondation au Sahara. Une photo du livre montre le Vaudois Pierre Gilliard sciant du bois avec l’empereur déchu Nicolas II lors de sa captivité. Ce précepteur des Romanov a laissé d’intéressantes mémoires sur la fin du tsarisme en Russie. Enfin le lecteur découvrira la personnalité du Glaronnais Fritz Zwicky. Après ses études à l’École polytechnique de Zurich (EPFZ), il devint un scientifique de génie… assez imbu de ses capacités intellectuelles. Il fit ensuite une brillante carrière en Californie, fidèle à « sa promesse de présenter une idée originale tous les deux ans ! Après la capitulation allemande de 1945, il réussit à attirer aux États-Unis le concepteur nazi des fusées V2 Wernher von Braun et ses collaborateurs. On était alors en pleine compétition spatiale entre l’Amérique et l’URSS, qui culmina en 1957 avec le premier tour de la terre par un satellite artificiel soviétique, le Spoutnik.

Alex Capus narre ces destins d’exception, marqués tantôt par le succès tantôt par l’échec, avec tout l’art du romancier. Il réussit notamment à opérer des liens entre certains de ses « héros ». Par exemple, Marie Tussaud cacha Marat pourchassé pour ses écrits incendiaires. Se basant sur une bibliographie historique, et faisant preuve d’esprit critique lorsque les sources lui paraissaient sujettes à caution, l’auteur a réussi un excellent travail de vulgarisation, dans cet ouvrage qui se lit d’une traite !

Alex Capus, Du rêve à l’audace. Douze destins suisses d’exception, Éditions Cabédita, 2022, 165 p.

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Un commentaire à “Ces Suisses(esses) qui ont cherché l’aventure ou la gloire ou la richesse à l’étranger”

  1. Christian Campiche 15 juillet 2022 at 15:01 #

    Il y a aussi tous ces autres Suisses aux destins hors du commun et souvent tragiques: Louis Chevrolet (fondateur du constructeur automobile éponyme), Johann August Sutter (chercheur d’or californien), Bruno Manser (défenseur de la forêt de Bornéo), Alfonsina Storni (grande poétesse argentine d’origine tessinoise), Alfred Ilg (conseiller du Négus). L’histoire des trois derniers été retracée par le cinéaste Christoph Kuhn.

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