Je suis un jeune acteur, œuvrant avec d’autres artistes pour la production de spectacles: pièces de théâtre, films et autres animations publiques. Dernièrement, j’ai été sollicité pour jouer le rôle d’un écrivain décédé, très connu. Des essais de prises de vue tirées de son roman autobiographique ont été effectués dans sa villa. J’ai reçu le mandat. Au début, tout s’est déroulé à pleine satisfaction du metteur en scène. La suite de la production du film a tourné à la gabegie par une interprétation jugée quelconque, par lui. Le désaccord est devenu à tel point insoutenable que la fermeture de mon mandat devenait probable.
Au bord du terrassement, j’ai cherché à plusieurs reprises, une inspiration dans la pièce où il avait écrit sa biographie. Un soir après avoir beaucoup bu, je me suis affaissé sur le fauteuil à bascule de son bureau. Le sonner de l’horloge à pendule m’a réveillé brusquement, comme un pétard. De ma position couchée j’ai vu pendues au tiroir, devant moi, une paire d’oreillettes avec récepteur.
Quelque peu confus, je les ai posées sur mes oreilles et l’incroyable s’est produit : la voix de l’écrivain pourtant décédé a répondu à toutes mes questions. Je lui ai demandé des conseils pour une interprétation fidèle de sa personne dans sa vie. Ses réponses, dans cet entretien de durée indéfinie, m’ont éclairé en mode lapidaire et unique. Enfin, il m’a indiqué l’emplacement d’un tiroir à double fond dans l’armoire, où il avait placé des notes écrites après la publication du roman, donnant d’autres précisions personnelles. Je les ai présentées au metteur en scène, nous les avons discutées, et convenu, d’une interprétation crédible et solvable.La production du film s’est poursuivie à la satisfaction de l’ensemble des protagonistes. Le film a obtenu beaucoup de succès et ma carrière d’artiste a été lancée définitivement, à ma grande satisfaction. J’ai gardé secret, l’entretien salvateur avec le personnage que j’avais interprété au début de mon parcours artistique, grâce aux oreillettes qui me l’avaient fait entendre, miraculeusement.
Bien après, le producteur du film de mes débuts m’a avoué qu’il s’était fait passer pour l’écrivain et qu’il avait écrit les notes à propos du roman, sur suggestion de ma mère.
Parfois, au réveil, je me demande si ma maman, dentiste, ne s’est pas fait entendre dans mon sommeil, avec des haut-parleurs dissimulés dans ma chambre.
Jean-Charles Rossi
©2022 Jean-Charles Rossi (Café aux Lettres juin)
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Thème: Lettre à l’acousticien (proposé par Emilie)
