Qatar, sur les pelouses de la honte, aucun but ne saura justifier l’exploitation de l’homme par l’homme


PAR PIERRE ROTTET

Nouveau coup porté à la crédibilité des princes du désert, coupables, aux dires de l’ONG britannique Equidem, d’avoir arrêté et expulsé du Qatar des dizaines et des dizaines de travailleurs étrangers. Au motif d’avoir osé exiger des salaires pourtant de misère. Impayés depuis des mois au pays des princes du désert. Qui font pleuvoir les dollars y compris pour s’acheter une coupe du monde. Ou un club! En payant d’une millionnaire rétribution ses guerriers des stades. Et du mépris ceux qui les construisent chez eux…

A trois mois du coup d’envoi du rendez-vous « planétaire » de la corruption du monde du foot, nos médias ne sont pas sortis du bois. De leur légendaire absence de relief, de prudence, de curiosité, de critiques, hormis sur les sujets qui font apparemment consensus dans l’opinion, comme l’info sur la pandémie du Covid ou encore la guerre en Ukraine. Absence qui permet d’oublier la terrible et meurtrière guerre du Yémen, recalée aux oubliettes.

Les commentaires de journalistes sportifs d’habitude beaucoup plus expansifs et volubiles ressemblent à si méprendre au paysage qui entoure le Qatar: le désert. Le désert, le vide et le silence. Le silence! Que ne méritent pas les travailleurs asiatiques et africains utilisés depuis des années pour la construction des temples du foot. Arrêtés, voire expulsés par les autorités qataries pour avoir osé réclamer des salaires impayés depuis plus de sept mois. Et plus ! 

Pourtant, la vox populi est de plus en plus remontée. Elle exige une vraie remise en question de la coupe du monde de la honte, qui se tiendra dès le 20 novembre prochain au Qatar. Elle s’indigne et exige des mesures pour mettre fin à l’ignoble exploitation des travailleurs du désert, esclaves des temps modernes venus du Bangladesh, des Philippines, de l’Inde, du Népal, d’Egypte où des ailleurs miséreux d’Afrique, attirés par le chant des sirènes. Promesses de glisser quelques deniers dans leurs poches et dans celles de leurs familles demeurées au pays, au prix de leur sang parfois. Une opportunité, pensaient ces abusés, ces sacrifiés sur l’autel du dieu foot, de pouvoir changer un peu de vie. Une opportunité rapidement transformée en cauchemar. Dans des conditions de vie précaires, souvent inhumaines, que dénonceraient du reste toute organisation sensible aux droits des animaux.

Des esclaves des temps modernes, disais-je, dépêchés au Qatar pour y édifier des stades couleur sang, afin de satisfaire la mégalomanie de milliardaires et la cupidité d’autorités sportives passées maîtres dans l’art de botter en touche le scandale lié au traitement indigne des bâtisseurs des temples du foot. Selon Equidem, en plus des personnes expulsées, on compte une soixantaine d’arrestations – ce que ne nie pas le Qatar – à la suite de manifestions des « ouvriers » qui réclamaient leurs salaires impayés. Une source d’une autre ONG, présente dans le centre de détention, affirme quant à elle y être détenue en compagnie de «300 collègues venant du Bangladesh, d’Égypte, d’Inde, du Népal et des Philippines».

Pour rappel, le 23 février 2021, le quotidien britannique “The Guardian”, révélait la mort de 6’500 travailleurs migrants sur les chantiers de construction des stades au Qatar depuis 2010. Un chiffre qui pourrait s’avérer être bien plus important plus d’un an après, d’autant que ni le Kenya ni les Philippines, grands pourvoyeurs de travailleurs au Qatar, n’ont, à l’instar d’autres pays, pas communiqué leurs chiffres.

A l’approche de ce rendez-vous de la Mecque du football, les groupes de défense des droits humains se montrent particulièrement actifs, multipliant les campagnes de sensibilisation, appelant au boycott de l’épisode d’ores et déjà le plus douloureux de l’histoire de la coupe du monde. La FIFA, par la voix de son président, préfère «souligner les quelques avancées en matière de droit du travail dans le pays». Un cynisme de mauvais aloi, qui pourrait bien se retourner contre elle.

Et que dire de l’amnésie de la presse en général, ainsi que de l’assourdissant silence des fédérations nationales de foot, y compris l’Association suisse de football (ASF). Et que dire des joueurs grassement payés qui seront présents au Qatar? Ont-ils la moindre notion de solidarité? Est-il illusoire de compter sur eux pour se rebeller contre l’Institution Foot? Car aucun but au monde ne saura justifier l’exploitation de l’homme par l’homme.

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Un commentaire à “Qatar, sur les pelouses de la honte, aucun but ne saura justifier l’exploitation de l’homme par l’homme”

  1. Pierre-Henri Heizmann 29 août 2022 at 15:25 #

    Je vous remercie pour cette mise au point édifiante, à la mesure du silence une fois encore, de toutes les personnes qui se pâment habituellement sur d’autres affaires humainement moins scandaleuses…

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