Tribune libre – Iran! Lève-toi et brille!


Ce récit d’une manifestation à Genève le 1er octobre 2022, l’auteure l’a écrit pour soutenir une jeunesse prête à perdre la vie pour sauver sa patrie.

Ce 1er octobre 2022 restera un jour mémorable dans l’histoire de l’Iran. C’est formidable de voir que depuis trois semaines, un pays entier se lève pour demander justice pour une iranienne kurde de 22 ans, Mahsa Amini. Le 16 septembre 2022, elle a été tuée par la police des mœurs, simplement pour avoir mal porté son voile islamique.

Comme les précédentes révoltes de 2009 et 2019, cette fois encore, les Iraniens du monde entier se sont levés, unis, pour demander la suppression du voile obligatoire, le respect des droits humains et la fin du régime islamique. Et ce, quelle que soit leur ethnie, leur lieu de résidence ou leurs aspirations politiques.

Dans le passé, le laisser-faire des pays occidentaux déterminés à obtenir un accord nucléaire et promouvoir leurs intérêts économiques s’est traduit par le massacre de manifestants, pour la plupart des jeunes. Cette fois-ci, sous la force et la détermination des Iraniens, et les changements géopolitiques dans la région, les pays occidentaux montrent une certaine solidarité bien que timide. En effet, le président français, Emmanuel Macron, continue de discuter avec un régime qui ne représente plus la population. Aux Nations Unies, la parole est donnée à un Président qui depuis longtemps n’est plus la voix du peuple iranien. Les dirigeants de différents pays tendent la main à une personne dont la main est souillée du sang de milliers d’Iraniens.

Aujourd’hui, les Iraniens du monde entier manifestent sans crainte de représailles. Tout en sachant que la répression peut être violente et que face aux mots, le régime répond par des balles. Ils sont déterminés à se défaire d’un régime qui les maintient depuis plus de 40 ans sous l’oppression d’une idéologie fanatique et dans l’obscurantisme, les privant de leurs droits fondamentaux. Pas même le droit de s’habiller comme ils le souhaitent.

Les voix que nous entendons aujourd’hui sont les cris de désespoir d’un peuple à qui on a imposé une culture qui lui était étrangère. Ce sont celles d’un peuple qui a été contraint de se taire pendant des siècles sous le joug de la domination islamique en ses différentes formes. Ce n’est que la première fois, après 1400 ans, que nous voyons le peuple iranien dénoncer ouvertement le pouvoir religieux. Jusqu’à présent, la résistance s’exprimait à travers la poésie persane de poètes comme Hafez, Rumi, Saadi qui ont été la voix du peuple en dénonçant la tromperie, la duplicité et l’hypocrisie des dirigeants religieux. C’est la voix d’un peuple, d’une jeunesse à la recherche de leur véritable identité. Nous assistons, ici, à la “renaissance” de la culture iranienne et de ses aspirations.

Ce jour-là, le 1er octobre, comme des millions d’Iraniens, j’ai rejoint les manifestants. En chemin, je pensais aux événements qui se déroulent jour après jour et qui changent le cours de l’histoire. Les enjeux sont mondiaux. Géopolitiquement, et par sa culture et ses ressources énergétiques, l’Iran joue un rôle central dans la région et pour le monde.

Nous étions un millier ou plus de manifestants de tous âges à nous rassembler à Genève sous une pluie battante. Un chiffre important pour la petite communauté iranienne de Genève. Cet événement s’est déroulé parallèlement à des manifestations massives dans plus de 150 autres villes du monde: Auckland, Dusseldorf, Londres, Los Angeles, Melbourne, New York, Paris, Rome, San Francisco, Séoul, Stockholm, Sydney, Toronto et Zurich, juste pour n’en nommer que quelques-unes. À Toronto, la manifestation a donné lieu à une marée de quelque 50 000 personnes.

En me rendant à l’événement, je pleurais d’un œil et souriais de l’autre. D’une part, je déplorais les centaines de manifestants tués et les milliers d’arrestations. D’autre part, j’étais heureuse que les Iraniens se lèvent et expriment leur colère.

Bien qu’encore loin de mes attentes, ces manifestations m’ont permis de rêver. Une situation que j’avais si souvent imaginée. Tant de fois, j’ai eu envie de crier “Iran ! Lève-toi et brille!“.

Malgré la situation sombre et désolante de l’Iran, l’atmosphère était à la joie, comme si cette fois le renversement du régime islamique était assuré. Une lueur d’espoir brillait sur les visages.

Devant le Palais Wilson, les manifestants ont scandé divers slogans patriotiques, certains même humoristiques. En refrain : Femme, Vie, Liberté !

Dans l’un d’eux, le chef suprême était comparé à «Zahak», un roi maléfique dont l’histoire est racontée dans le Livre des Rois du poète iranien Ferdowsi (940-1025). Selon le mythe, il donnait les cerveaux des jeunes hommes aux serpents qui avaient poussé sur ses épaules, une œuvre du diable pour vider le royaume de ses ressources.

En fait, c’est ce qu’a fait ce régime depuis environ 40 ans. Il a chassé les cerveaux du pays, les a fait taire ou les a exécutés.

Le cortège s’est ensuite dirigé vers le Palais des Nations, les manifestants portant des pancartes avec des paroles inspirées de la chanson “Barayé” (en Persan «pour») de Shervin Haji Aghapour. Une chanson qui depuis est devenue l’hymne des manifestants. Sur chacune des pancartes, les manifestants donnaient la raison de leur révolte, allant de la justice pour les femmes aux droits des animaux.

Devant le Palais des Nations, les politiciens genevois Alfonso Gomez, Conseiller administratif de la ville de Genève et Sylvain Thévoz député socialiste au Grand Conseil ont apporté leur soutien aux manifestants. En alternance, les Iraniens, ont pris la parole et ont fait l’inventaire des crimes du régime.

Malgré ces espoirs, il y a un non-dit. La crainte que certains profitent de ces révoltes pour en tirer un avantage politique. Des drapeaux séparatistes flottaient déjà dans la manifestation, ce qui était inquiétant. Mais l’heure n’est pas encore à de telles réflexions. Le poète persan Shams Tabrizi (1185-1248) a déjà donné la réponse : « Il est inutile d’essayer de savoir où le chemin mène. Ne pensez qu’à votre premier pas, le reste viendra. »

Mon espoir est que le mouvement renforce l’unité nationale, soudant plus que jamais les différentes identités ethniques, dans la paix et le respect. Face à des superpuissances toujours grandissantes, comme la Chine, les États-Unis, la Russie et l’Union européenne, il est dans l’intérêt des peuples iraniens de préserver leur unité nationale et d’avoir un pays fort et uni.

Yasmine Motarjemi, Nyon

Je remercie Monsieur Amir Kashani pour sa contribution à la rédaction de ce texte.

Justice pour Mahsa Amini! La manifestation du 1.10.22 à Genève. Photo © 2022 Demir SÖNMEZ

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Un commentaire à “Tribune libre – Iran! Lève-toi et brille!”

  1. Dr. Edouard Lambelet 10 octobre 2022 at 14:32 #

    Aime ton prochain comme toi même. – A-salamou alaikium = que la Paix soit avec vous. Et que font les représentants des religions? Tout juste le contraire.

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