Par le petit bout de la lorgnette – Esprit de finesse  vs  réalités binaires


PAR SANTO CAPPON

Aujourd’hui sur la scène mondiale, les assauts du réel ont pris une telle ampleur, qu’un sentiment de peur circule et finit par s’imposer dans un «effet de bascule».  

Car plus que jamais et pour amplifier le phénomène, certaines réalités binaires viennent se nourrir d’idées simples et vice-versa. Confortables lorsqu’il s’agit de garantir aux uns comme aux autres, l’illusion d’une posture stabilisatrice dans notre planète en mutation. Avec l’espoir que tout devienne compréhensible au premier coup d’œil. A l’horizon, des solutions trop simples et le plus souvent univoques. 

Pour ceux qui intuitivement cultivent de telles approches, l’esprit de nuance est à bannir autant qu’à craindre, ou alors serait assimilable à de l’indifférence voire de la « tiédeur ». Paralysant à leurs yeux l’impitoyable et inéluctable marche du monde. En décrétant une fois pour toute qu’au propre comme au figuré le jour et la nuit, le chaud et le froid, le noir et le blanc organisent de façon renforcée la réalité qui nous entoure. 

En marge des données contrastées et pas forcément concurrentes, rien ne saurait exister. Rien d’autre pour favoriser le questionnement ou conférer la moindre portion de vie aux arguments d’autrui. Résultat des courses? Un gouffre. Gouffre qui ne cesse de se creuser entre des approches franchement bipolarisées. Les unes comme les autres accusant des dérives, via notamment les grands groupes de presse. Sans oublier les médias alternatifs qui eux aussi peuvent être téléguidés. Mais d’une manière moins notoire, moins visible. De tels rapports de force parasitent et paralysent une saine réflexion. Quant aux réseaux sociaux, ils enrichissent la cacophonie ambiante. Car asséner de «nouvelles vérités» sans risque immédiat et sans forcément le faire à visage découvert, n’a aucune valeur objective. Sans oublier un complotisme démultiplié par le 220 volts, visant à renforcer une kyrielle de fantasmes premiers ou recyclés, tout en ridiculisant ceux d’en face. Une foire d’empoigne ayant pour but de disqualifier l’Autre à moindre frais et sans quitter la chambre… 

En politique on s’est habitué à voir gauches et droites rythmer l’alternance ou systématiser les impasses. Un théâtre guignol où les coups de bâtons entretiennent les passions, et parfois les rires. En géopolitique certains trouvent normal de voir l’orient toiser l’occident. Alors que certains autres prétendent souligner la pérennité de ce qu’ils nomment le caractère civilisateur et régulateur de l’Occident, face au monde émergeant, renaissant ou victime de néo-colonisation. Le christianisme voudrait-il au passage montrer du doigt l’islam? Alors que celui-ci n’est pas en reste pour lui rendre la pareille? Au point de ne plus savoir qui a commencé. Alors qu’au sein d’une même religion les factions s’affrontent. Quant aux laïques, sont-ils toujours tolérants? Voilà le hic. 

Le capitalisme (de gauche ou de droite, c’est un comble!) enterre quant à lui un collectivisme discrédité jusqu’ici par l’Histoire, afin de favoriser «les affaires». Au bout du compte. Quitte à les voir dérailler. Alors que de son côté l’altermondialisme se bat pour ringardiser la mondialisation. Effet de miroir que Jekyll et Hyde n’auraient pas désavoué.

Des compromis? Un moyen terme visant à capter des parcelles de vérité, de part et d’autre? Une chance donnée à chacun de nos deux lobes cérébraux de ne pas dire m…. à l’autre? Que nenni!

Que dire alors de ceux qui sont au milieu du gué et qui, par la force de leur choix, du hasard ou du destin, s’y trouvent?

Pour illustrer cette problématique qui met en nécessité les vertus du «terme moyen», illustrant la perplexité de ceux qui ne savent l’appréhender, voici une expérience vécue par moi-même en 1965:

Cette année-là je me suis trouvé en ville de Bâle, incorporé à l’école de recrues dans les troupes sanitaires de l’armée suisse. Lors du premier «appel principal» dans la cour de la caserne, le Commandant de compagnie (180 recrues), voulut d’emblée savoir à qui il avait affaire:  

– Les catholiques à gauche, les protestants à droite!

Comme si d’appartenir à un bord ou à l’autre, ne serait-ce qu’en théorie ou par héritage non assumé, allait faire la différence. Comme s’il était possible de réveiller certaines frictions ancestrales en évaluant l’hypothétique permanence des équilibres précaires qu’un passé lointain avait répertoriés: allions-nous assister aux prémices d’une nouvelle guerre du Sonderbund ? Toujours est-il que je me suis retrouvé seul avec un autre, au milieu du terrain central déserté. Cet autre appelé au service de la Patrie étant adventiste.

-Que faites-vous là? nous lança ce premier-lieutenant psychorigide et visiblement contrarié. Ma question rétrospective: est-ce ainsi que l’on payait alors ses galons de futur capitaine?

– Je n’appartiens pour ma part à aucune de ces deux catégories.

Surpris et intrigué, voire méfiant face à mon affirmation ayant toutes les apparences d’une insubordination, cet officier eut le sentiment d’être face à deux fortes têtes. Car nous n’étions visiblement ni d’origine africaine ou asiatique. Il exigea de nous des explications. «La suite serait délectable mais je ne peux la dire et c’est regrettable, ça nous aurait fait rire un peu», comme fredonnait Georges Brassens dans sa chanson «le Gorille». Autrement dit et pour de multiples raisons, je m’abstiendrai ici d’en conter davantage… 

Guerre du Sonderbund, l’État-Major de l’Armée confédérale. Document wikipedia

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