1955-2022, de la dissuasion nucléaire au chantage nucléaire, comme jadis, « l’esprit de Genève » viendra-t-il à la rescousse?

PAR SANTO CAPPON

En 1955, la guerre froide s’est invitée à Genève pour tenter de s’y réchauffer quelque peu aux rayons d’un été prometteur: en juillet tout d’abord, les « 4 Grands » de ce monde, réunis au Palais des Nations, ont exposé leurs divergences afin de les aplanir. Schéma répétitif voire lassant dans une Histoire qui au final et jusqu’à preuve du contraire, renvoie dos à dos ceux qui en coin se seront regardés en face: 

Pour les Etats-Unis, le Président Dwight Eisenhower. Le Royaume-Uni étant quant à lui représenté par son Premier ministre Antony Eden. La France n’étant pas en reste, avec son Président du Conseil Edgar Faure. L’URSS ayant délégué Nikolaï Boulganine (flanqué de Khrouchtchev, Molotov et Joukov). Au menu : sécurité, santé, armement, relation Est-Ouest etc. 

« Conférence des Quatre »  Genève, juillet 1955. Carte postale de l’époque, document en possession de Santo Cappon.

Pour faire le pont avec cette réunion au sommet et un moins plus tard, voici la « Première conférence des Nations-Unies sur l’énergie nucléaire », civile et militaire. Des échanges entre scientifiques (plus de 1000 délégués) ont fait naître beaucoup d’espoir. L’espoir étant le plus bel ornement dont la peur collective peut se parer afin de donner le change et se bricoler une contenance.

A la clé, deux grandes expositions. L’objectif étant d’apprivoiser dans un bel élan pédagogique, ce qu’une boîte de Pandore pourrait libérer.  » L’Atome pour la Paix ! ». La formule était rassurante. Elle laissait supposer que le génie humain serait toujours à même de canaliser le potentiel redoutable de ses propres inventions. Mais l’usage sécurisé de l’énergie atomique serait-il à long terme, un leurre ? On n’a pas fini d’en débattre, car la suspicion sera toujours double. Au plan purement énergétique, de même qu’aux plans stratégique et politique.

L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sera créée dans la foulée, en 1957. Puis on assistera, en septembre 1958, à la « seconde Conférence atomique ». A Genève, encore et toujours. Question : son jet d’eau sera-t-il devenu, métaphoriquement et dans l’intervalle, cette source d’énergie impérieuse dont le jaillissement liquide inspirerait celui des solutions miraculeuses ? Lourdes pourraient être les conséquences, en cas d’échec. 

Or ce débat est avant tout l’affaire des superpuissances nucléaires. Rappelons à ce propos qu’à Yalta (février 1945), Churchill tint à préciser : « Tous les pays n’ont pas les moyens de cotiser au même club ! ». Vision prophétique concernant les rapports de forces qu’entretiendraient un jour ceux qui parviendront à cumuler les plus gros stocks d’armement atomique. Voici donc l’URSS ayant engendré la ci-devant URSS, avec sur le ring et pour partenaire égal en puissance, les USA.

Sauf que jusqu’ici la crainte réciproque était tacite, sous-entendue, tenant l’un et l’autre en respect. Une sorte de gentlemen disagreement. Dans un pas de deux à peine disgracieux, où l’on se frôlait dangereusement sans jamais se toucher. Le risque notoire de destruction mutuelle suffisant à immobiliser les chiens de faïence, scotchés à leurs seuls regards échangés. 

Or pour la première fois et brisant tous les tabous, une Russie décomplexée par son invasion terrestre massive, qu’elle a mise en œuvre « au bénéfice » d’un pays voisin et indépendant, a fini par adopter une rhétorique dangereuse. Menaçant du châtiment atomique et à mots semi-couverts, un Occident qu’elle « satanise ». Dans ce qu’elle considère désormais comme une guerre de civilisation. Brandissant l’Atome fût-il « tactique » dans un premier temps, plutôt que « stratégique ». Dans une possible action préventive plutôt qu’en réponse à une attaque du même ordre. Autrement dit, « la dissuasion nucléaire » change ici de visage. Rendant indispensable, à mon avis, la convocation d’une nouvelle « conférence atomique », longtemps après celles 1955 et 1958. À Genève et « post tenebras ». Afin de redessiner autant que faire se peut, les contours d’une dissuasion nucléaire dévoyée. 

« Première Conférence atomique » l’Atome pour la Paix.  Genève, août 1955.
Carte postale de l’époque, document en possession de Santo Cappon.

 

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