Servitude et “grandeur” de la statuaire communiste


PAR SANTO CAPPON

Loin de la torpeur caribéenne, on a ressuscité Fidel Castro en plein centre de Moscou! Le maître d’œuvre de cette “érection postcommuniste” n’est autre que Vladimir Poutine, *homo-sovieticus* pour celles et ceux qui savent lire entre les lignes. Érection ? Oui, mais d’une statue. Destinée à sceller non pas un mariage de raison entre Cuba et la Fédération de Russie, mais “une union libre” dictée par les circonstances. Alors que paradoxalement, une oligarchie de type mafieux a supplanté en Russie un collectivisme historique à bout de souffle. Ce qui, au plan idéologique, aurait dû alerter un pouvoir cubain qui figure parmi les derniers gardiens du temple. Mais il n’en est rien dès lors qu’un ennemi commun, toujours le même, justifie un tel rapprochement : les USA. Par ailleurs, incarner de part et d’autre une gouvernance autoritaire inspire forcément une connivence et crée des liens. Et pourquoi pas, un échange de bons procédés. Le terme « lider maximo » résonnant favorablement aux oreilles de tous les autocrates patentés et autres dictateurs postulants. 

Le Président cubain Miguel Diaz-Canel a fait le déplacement afin d’offrir au chef du Kremlin une main à serrer urbi et orbi, alors que de telles civilités vis-à-vis de Poutine se font de plus en plus rares sur le terreau international. Au mieux, c’est un poing dans la poche que dissimulent un certain nombre de dirigeants du monde non occidental, n’ayant d’autre choix que de composer en silence en préservant les arrières. Pour des intérêts aussi croisés que complexes, illustrant une dépendance au sujet de laquelle je ne m’étalerai pas. 

Et pourquoi une telle statue ? Alors qu’ailleurs on aurait plutôt tendance à les déboulonner rageusement. Aux toutes dernières nouvelles, l’Estonie poursuit à grands pas le démantèlement de maintes excroissances mémorielles contestées, qui trônaient jusqu’ici à l’air libre. Un air bientôt libéré, revivifié, affranchi des relents qui parasitaient l’espace public : 322 monuments à éloigner des regards, dans une profonde volonté d’effacement. Les autres pays baltes ainsi que la Pologne, notamment, assumant la même démarche.

Or qu’advient-il aujourd’hui de toutes ces excroissances ayant prétendu marquer les esprits dont la soumission avait été programmée en haut lieu ? 

Il est amusant de constater que parfois, ces témoignages d’une grandiloquence patriotique surannée trouvent aujourd’hui encore des voies de garage qui perpétuent la dimension grotesque et démesurée de ce qu’ils représentaient. On offre au badaud le loisir dégoupillé de prendre individuellement et en pleine figure, les éclaboussures inoffensives d’une terreur jadis partagée. 

A Budapest. Par exemple. Au Mémento Park, musée en plein air un peu en dehors de la ville. Qui fut inauguré en 1993 et regroupe une quarantaine de statues plus impressionnantes les unes que les autres, datant de l’ère communiste. Façonnées dans une matière dure qui les immobilise plus que jamais. Marx et Engels supervisant à l’entrée ces éructations spectaculaires, figées dans une relégation bien méritée et bien organisée. 

Quant à Staline, il a bien souffert de l’insurrection à Budapest en 1956 : une population très en colère s’en était prise à sa statue monumentale au point de l’annihiler complètement… ou presque. Ne subsistent ici que ses hautes bottes encore attachées à leur socle. Gageons que les spectateurs désabusés qui défilent en ce lieu « mettent les pieds dans le plat » ainsi présenté, en approuvant ouvertement la juste « évaporation » de celui auquel on attribue quantitativement un épouvantable massacre : plusieurs dizaines de millions d’êtres humains, à la faveur d’un interminable règne. 

Sauf que dans l’actuelle Russie et via la propagande en place, ce terrifiant personnage est aujourd’hui réhabilité aux yeux d’une majorité de citoyens !                

Memento Park, Budapest. Photo © Santo Cappon

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6 commmentaires à “Servitude et “grandeur” de la statuaire communiste”

  1. Madeleine Joanes 2 décembre 2022 at 13:44 #

    Votre article est excellent et tellement actuel

  2. Michel BUGNON-MORDANT 3 décembre 2022 at 11:45 #

    J’attendais un peu plus de profondeur dans cet article que la reprise de la propagande américaine la plus basique, Bible de la propagande occidentale dans son ensemble, à propos d’ “une oligarchie de type mafieux (ayant) supplanté en Russie un collectivisme historique à bout de souffle”. Comparons les mafias que sont l’Union dite européenne et l’Etat profond américain, de même que l’Ukraine, qui n’est qu’une méga mafia à elle toute seule, avec les Etats qui sont leurs adversaires et nous comprendrons aisément que nous Occidentaux ferions bien de balayer devant nos portes maculées d’excréments. Quant à affirmer que serrer la main du président Poutine se fait de plus en plus rare et que ceux qui s’y résolvent préfèreraient serrer leur poing dans leur poche, elle est contraire à la réalité, comme le montre le succès que rencontrent les BRICS et l’OCS ainsi que Vladimir Poutine lui-même.

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      Santo Cappon 4 décembre 2022 at 09:49 #

      Vous exprimez un syndrome qui révèle la “posture du miroir”, attribuant systématiquement à l’Autre ce qui est commis par ceux que vous défendez …

  3. Michel BUGNON-MORDANT 4 décembre 2022 at 10:56 #

    Quand on n’a pas d’argument sérieux, on botte en touche.

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      Santo Cappon 4 décembre 2022 at 13:48 #

      La continuité historique, ça ne vous dit rien ? Pour faire court et chronologiquement, Staline a affamé l’Ukraine dans les années trente. Hitler et Staline ont dépecé la Pologne. Cruellement, Staline a cloué le bec de la Hongrie et de la Tchécoslovaquie. Regrettant amèrement la chute de l’URSS, Poutine a envahi l’Ukraine. Se vengeant au passage, faute d’une victoire sur le terrain, sur des millions de civils à l’approche de l’hiver.
      Il serait hasardeux, par conséquent, de travestir des envahisseurs en victimes, de justifier les pires crimes de guerre, comme l’ont fait les dictateurs susnommés.
      La philosophie de l’Histoire peut s’accommoder d’une forme de “comparatisme”, dès lors qu’il éclaire la trajectoire politique et la logique interne d’une même nation, sur plusieurs décennies.
      En outre et sans vouloir cultiver le “comparatisme historique” de manière abusive, je veux admettre que l’Ukraine pourrait bien devenir le Vietnam de la Russie …

  4. Michel BUGNON-MORDANT 4 décembre 2022 at 17:43 #

    Vous semblez m’avoir mal compris. Je n’ai aucune sympathie pour la période communiste de la Russie. Mais j’aime la Russie éternelle et je ne travestis pas l’histoire comme le font les médias soumis aux oligarchies mondialistes dont les démiurges malfaisants ont nom Schwab, Gates, Attali et j’en passe. Vous parlez du temps long : précisément. Depuis plus d’un quart de siècle, la Russie s’efforce de se rapprocher de l’Europe, exigeant simplement que sa sécurité soit garantie. En réponse, les Etats-Unis, le plus grand Etat voyou de la planète, entraînant derrière lui des Européens décadents, incapables de réagir à quelque danger, à quelque provocation que ce soit, s’acharne à encercler la Russie, à amener le plus près possible de ses frontières une menace constituée par des bases militaires en pagaille, des armes nucléaires de plus en plus nombreuses, utilisant l’Ukraine, après un coup d’Etat mené de main de maître (2014), comme boutoir pour interdire définitivement la construction d’une Europe forte de l’Atlantique à l’Oural, telle que le général de Gaulle la souhaitait. Il suffit de lire “Le Grand échiquier” de Brzezinsky pour que s’éclaire le sens de la guerre actuelle, que l’OTAN a forcé la Russie à accepter après des années de trahison de parole et d’actes de guerre contre une population qui ne demandait qu’à vivre paisiblement selon ses habitudes, dont celle de parler sa langue, le russe. Je ne relèverai pas vos affirmations à propos des crimes de guerre soi-disant russes – alors que les Ukrainiens, en ce moment encore, ne cessent de bombarder les quartiers résidentiels de Lougansk, tuant des civils par centaines, par pure rage de ne pouvoir gagner. Je ne relèverai pas davantage votre souhait que la guerre d’Ukraine, entretenue par les Occidentaux, agissant en cette matière comme des criminels, se transforme en Vietnam. Tout cela relève des plus pures élucubrations des journalistes officiels et des militaires de plateaux. Pesonnellement, j’en resterai là de nos échanges : j’ai trop l’impression d’un dialogue de sourds.

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