Tribune libre – La Suisse ne doit se faire aucune illusion, la politique de l’UE n’a rien de social


Ce jour-là, à la surprise générale, le Conseil fédéral a annoncé l’interruption des négociations entamées six ans plus tôt avec Bruxelles sur la conclusion d’un accord-cadre institutionnel avec l’UE. Autant dire un coup de tonnerre dans un ciel que d’aucuns voyaient serein.

Aussitôt, tout ce que le pays compte de partis politiques (à l’exception de l’UDC) et d’instances officielles tant patronales que médiatiques, s’est mis à crier au loup et à exprimer sa plus totale incompréhension. Dans les rangs du PS, certaines personnes, et pas des moindres, n’ont pas hésité à fustiger la position inflexible de l’USS qui, sur la question de la libre circulation des travailleurs et des mesures d’accompagnement a affiché sa détermination à ne pas céder aux assouplissements exigés par Bruxelles. Pire, rangée au rang des «Neinsager», l’USS a été tenue pour co-responsable de la décision prise par le Conseil fédéral. Du moins par certains.

Réagissant à ce séisme politico-diplomatique et médiatique, la Présidence du PSS a mandaté un groupe de travail chargé de produire un papier de position destiné à tracer les grandes lignes de sa «nouvelle» politique d’intégration européenne. N’oublions pas que le PS est le seul parti institutionnel de Suisse qui, même si elle a été un peu mise en sourdine, conserve l’adhésion de la Suisse à l’UE dans son programme.

Le PS se dote d’un papier de position en matière d’intégration européenne

Le 9 mai 2022, le PSS publie un document adopté à l’unanimité de sa présidence intitulé : «Vers une Europe sociale et démocratique». Problème : la politique de l’UE n’a rien ni n’a jamais rien eu de social. Quant à ses institutions, elles ne sont pas, loin s’en faut, une référence en matière de démocratie. Bien au contraire, serait-on tenté d’ajouter. Souvenons-nous, pour ne citer que les exemples les plus fréquemment évoqués, du référendum de 2005 sur le traité Constitutionnel rejeté tant par les Français que par les Néerlandais, en vain puisque pour être tout de même appliqué il a été intégré au traité de Lisbonne, ou de la mise sous tutelle de la Grèce par L’UE, la BCE et le FMI, laquelle est brièvement évoquée par les auteurs du papier de position. Ils y voient comme un accident conjoncturel lié, selon le narratif du développement de l’UE qu’ils proposent, à l’avènement de «la période de régression sociale (2005-2015)». Par opposition et selon le même narratif, les années 1997-2005 sont qualifiées de «période sociale» de l’UE. Le paragraphe qui leur est consacré relève notamment que cette «période sociale» est aussi celle au cours de laquelle «…des décisions centrales ont été prises pour libéraliser le service public dans les domaines de l’électricité, des transports publics et des services postaux, même s’il a fallu du temps pour les mettre en œuvre ». Sans autre commentaire, sauf à considérer que la cession de prestations de service public à des opérateurs privés constituerait une avancée sociale, le rappel de ces libéralisations, privatisations voire liquidations de grands services publics pour illustrer la «période sociale» de l’UE a de quoi laisser pantois.

Adhérer d’une manière ou d’une autre…

Tel est le pré-requis de l’ensemble de ce papier de position sous-titré «Stratégie du PS pour la politique européenne de la Suisse» qui se conclut par «Le PS veut ainsi entrer dans l’ère de l’«association», du «partenariat» et de l’«intégration»… et bientôt, espérons-le, de la «participation» et de l’«appartenance» ». Soit. Mais comment peut-on, dans un même document, affirmer sa volonté d’adhérer aux institutions de Bruxelles et prétendre que, ce faisant, «le PS Suisse s’engage à faire reculer le pouvoir du capital et à établir la primauté de la politique démocratique»? Comme si l’UE n’était pas cette instance régalienne et supranationale du démantèlement de tous les acquis sociaux nationaux en faveur des intérêts du capital pudiquement nommé «marché». Comme si elle n’était pas la tête de pont, sur le continent européen, de l’impérialisme américain. Comme si la politique de la Commission européenne n’était pas conditionnée par les marchés financiers, les multinationales et les lobbys du capitalisme «triomphant». Comme si la doxa «européiste» des institutions de Bruxelles n’était pas concentrée dans la formule phare de «concurrence libre – et non faussée» à l’origine de toutes les directives de libéralisation et de privatisation des services publics édictées par la Commission européenne. Enfin, comme si l’Union européenne allait changer de paradigmes avec l’adhésion de la Suisse et la représentation de quelques élus du PSS au parlement de Strasbourg.

Non, ce n’est pas un gag, les auteurs du papier de position envisagent sérieusement, dans le cadre des institutions de Bruxelles, l’avènement d’«une Europe sociale, démocratique et écologique, qui renonce aux illusions du marché tout-puissant (et qui) constitue un rempart décisif contre les développements dangereux de la mondialisation et des impérialismes anciens et nouveaux». Raison pour laquelle, selon eux, «il est de la responsabilité du socialisme de renforcer, partout sur le continent, le projet politique d’intégration européenne en rompant avec le modèle néolibéral et en imposant un agenda de réformes sociales et environnementales à l’ensemble de l’Europe». D’autres «socialistes», à l’instar de Gerhard Schröder qui a occupé la Chancellerie fédérale d’Allemagne de 2002 à 2005 (en pleine «période sociale» de l’UE), s’y sont essayés. Son programme de réformes «socialistes» destiné à se tenir au plus près des normes de compétitivité édictées par la Commission européenne avait précisément été consigné sous le titre générique d’«Agenda». De triste mémoire, ces réformes inspirées par l’UE représentent aujourd’hui encore un désastre pour les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière allemande. Coût de ces «réformes» pour le SPD : la perte de 10,6 millions d’électeurs.

La question institutionnelle

Les commentateurs et spécialistes de tout poil qui se sont questionnés sur les raisons qui auraient conduit le Conseil fédéral à rompre les négociations sur l’accord-cadre pointent en général la directive relative aux droits des citoyens de l’Union, la protection des salaires et la réglementation sur les aides d’État, voire la remise en cause de la politique suisse d’immigration choisie, ce qui aurait pour conséquence de mettre en péril le système d’aide sociale en augmentant le nombre de bénéficiaires. Tout cela a certainement compté dans la décision du CF, cependant, il y a un aspect du problème plus rarement évoqué qui, sur le terrain précisément institutionnel, est celui de la remise en cause radicale des prérogatives et du maintien des instruments de la démocratie directe tels qu’inscrits dans la Constitution. D’ailleurs, tout en cherchant à en minimiser la portée, les auteurs du papier de position du PS le reconnaissent dans leur chapitre consacré aux inconvénients d’une adhésion. Ils notent : «Les instruments de la démocratie directe devraient être réformés (…) Le droit européen étant au-dessus du droit national, les décisions populaires contraires au droit européen ne pourraient pas être pleinement (un euphémisme ! NDR) mises en œuvre». À quoi il convient d’ajouter que si cela est vrai avec l’adhésion pure et simple de la Suisse à l’UE, cela l’aurait également été avec la conclusion de l’accord-cadre institutionnel tel que conçu et voulu par la Commission européenne (reprise automatique du droit européen). D’où certainement une raison, et pas des moindres, de l’interruption unilatérale des négociations décidée par Berne.

L’exemple du marché de l’électricité

En 2002, le peuple a refusé par referendum la loi sur l’ouverture totale du marché de l’électricité que le Parlement, aligné sur une Directive européenne (Directive 96/92/CE), avait adoptée. Le 20 août 2022, le socialiste Christian Brunier, directeur général des SIG, s’exprime dans les colonnes de la Tribune de Genève sur la hausse des prix de l’énergie et de l’électricité en particulier. Il dit : «L’Ukraine a bon dos! La hausse du prix du gaz russe (…) n’explique qu’en partie les hausses de l’électricité. Celles-ci sont clairement liées à des opérations spéculatives de traders et de gros producteurs européens. On paye la libéralisation du marché de l’électricité. Depuis quinze ans, certains considèrent que l’énergie est un produit marchand et non un bien stratégique. On voit qu’il serait peut-être temps de reprendre le contrôle». Le peuple suisse avait bien eu raison de rejeter une loi fondée sur les injonctions à caractère ultralibéral imposées aux nations et peuples d’Europe par les institutions antidémocratiques et antisociales de l’UE. 

Les coûts politiques

Partout, dans les nations d’Europe, on observe un rejet des politiques de l’UE. Partout, qu’ils soient de gauche ou de droite, les gouvernements qui en appliquent les règles rencontrent de grandes difficultés, voire sombrent dans des crises institutionnelles. Partout, la perte de souveraineté des nations intégrées dans l’Europe de Maastricht alimente l’abstention. Pour les partis issus de la social-démocratie, comme le PSS, l’alignement mené conjointement avec les forces politiques de la droite libérale sur le dispositif politique et économique des traités et institutions de Bruxelles a un coût. Avec une perte massive de son électorat, le SPD autrefois puissant, gouverne aujourd’hui l’Allemagne dans une coalition avec le FDP (droite libérale) et les Verts. Il a perdu un peu plus de 50% de ses membres entre 1998 et 2017. En France, le PS a littéralement été balayé de la scène politique. En Italie, la gauche et le centre-gauche «européistes» sont laminés et rejetés par le peuple travailleur. Feignant l’incompréhension et l’indignation, dédaigneux, les milieux autorisés du landerneau politico-médiatique jettent l’opprobre sur des populations tenues pour responsables de la montée des populismes taxés indifféremment de droite comme de gauche. Pendant ce temps, la base sociale encore sensible aux mystifications qui sous-tendent l’édification du dispositif des institutions de Bruxelles se restreint comme peau de chagrin. Il n’y a bientôt plus qu’une majorité de la grande bourgeoisie et une partie de la petite bourgeoisie urbaine qui s’y retrouvent et semblent, par pragmatisme, y adhérer.

Vu de Suisse, avec la guerre en Ukraine, avec les politiques de sanctions contre la Russie et leurs lots de répercussions sur les conditions de vie des populations laborieuses d’Europe, l’UE apparaît toujours davantage comme la simple courroie de transmission des intérêts politiques américains.

Que le PSS réaffirme sa volonté de rapprochement avec l’UE n’est pas étonnant et risque bien, ici comme ailleurs, de le couper de ce qui lui reste encore de base sociale ouvrière, représentée notamment par une part importante de la base de l’USS. Et disons-le encore une fois : non, l’adhésion de la Suisse à l’UE ne va pas rendre l’UE plus sociale et démocratique, comme son adhésion à l’ONU n’a en rien modifié la nature et la politique de cette dernière, mais juste soumis un peu plus le capital suisse au capital dominant, à savoir le capital US. Quiconque veut «Une Europe sociale et démocratique» doit donc combattre de toutes ses forces l’UE et sa politique et non s’y soumettre servilement.

Michel Zimmermann, militant ouvrier, Genève

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Un commentaire à “Tribune libre – La Suisse ne doit se faire aucune illusion, la politique de l’UE n’a rien de social”

  1. Christian Campiche 16 décembre 2022 at 21:26 #

    L’UE est une pure création américaine destinée à contrer l’URSS au lendemain de la défaite nazie. Tel est ma thèse argumentée dans l’essai “Le Nègre de la Rose” (Editions de L’Hèbe 2004), en fait une biographie non autorisée du philosophe et écrivain suisse Denis de Rougemont. Le livre montre notamment comment la CIA a noyauté les milieux intellectuels européens. L’Europe sociale est donc l’alibi des idéologues d’un vaste marché aux ordres du consumérisme.

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