PAR PIERRE ROTTET, Lima
Il fallait s’y attendre, les parlementaires péruviens ont largement refusé, vendredi 16 décembre 2022, d’avancer les élections générales, réclamées par une immense majorité du peuple péruvien, y compris par les insurgés qui manifestent un peu partout dans le pays. Le parlement est pourtant largement discrédité dans l’opinion publique, avec nombre de congressistes sous le coup d’enquêtes pour corruption ou autres méfaits.
Reste que si le gouvernement et les forces armées pensaient venir à bout de la rébellion au Pérou en imposant le couvre-feu, c’est raté. Les manifestations ne faiblissent pas. Au contraire, elles prennent une ampleur qui pourrait bien gagner le Pérou dans son ensemble. Même si la nouvelle présidente non élue, Dina Boluarte, a promis d’avancer les élections de trois ans, en les organisant en 2023.
Les manifestants réclament la libération immédiate de l’ex-président Pedro Castillo, emprisonné sur décision de la Cour suprême à 18 mois de prison préventive, mais aussi et surtout la dissolution du Parlement ainsi que de nouvelles élections.
Pedro Castillo est incarcéré depuis sa destitution le 7 décembre 2022, à la suite d’une tentative ratée pour dissoudre le Parlement, qualifiée de putsch manqué par ses adversaires. Il avait ensuite tenté de se réfugier à l’ambassade du Mexique. Ironie de l’histoire : Castillo le gauchiste est « embastillé » dans la même prison où croupit l’ex-dictateur populiste Fujimori.
De nombreuses personnes campent aujourd’hui devant cette prison, située à l’est de Lima, pour réclamer sa libération.
Castillo est poursuivi pour « rébellion » et « conspiration ». Il encourt dix ans de prison, selon le procureur Alcides Diaz. La décision jette de l’huile sur le feu et alimente le vent de la contestation et de la révolte. Celle d’hommes et de femmes qui contribuèrent à l’élection de Pedro Castillo le 19 juillet 2021. Habitants des régions de la Sierra, de villes importantes comme Andahuaylas, Arequipa, Puno, Cuzco et Ayacucho. Le mouvement gagne, dans une certaine mesure, le nord du Pérou, principalement la ville historique de Cajamarca, dans le département de La Libertad,
Entre dimanche et vendredi 16 décembre, selon le ministère de la Santé et de la « Defensoría del Pueblo », le nombre de personnes tuées s’élève à 20, dont plusieurs adolescents, celui des blessés à plus de 350. Et l’on ne compte pas les blessés parmi les forces dites de l’ordre. Le nombre des victimes augmente à mesure que les heures passent.
Jeudi, rapportent plusieurs sources, a été la journée la plus sanglante. En particulier dans le département d’Ayacucho, région meurtrie s’il en est dans les années 80, durant la sale guerre entre les militaires et le mouvement terroriste du Sentier lumineux. Elle avait fait des milliers de morts. On estime cependant que plus de 70% des civils innocents tués durant ces années de répression, dont de nombreux enfants et bébés, ont été massacrés par les militaires de la marine de guerre du Pérou. Aujourd’hui de nombreuses fosses communes sont encore et toujours découvertes.
La région d’Ayacucho, au coeur du Pérou, est une terre où vit un peuple pris entre deux feux, l’armée et la rébellion. Jeudi, indiquent les témoignages, les abords de l’aéroport Alfredo Mendivil Duarte, à Ayacucho, ont été le théâtre d’un véritable massacre. Des vidéos terriblement accusatrices montrent que les membres des forces armées n’ont pas tous tiré en l’air. Des impacts de balles réelles ont en effet été relevés sur les corps de sept personnes tuées et sur 52 autres blessées, selon la Direction de la Santé.
« Nous réclamons la justice. Nous ne sommes pas des terroristes criait la foule aux abords de la Place d’Armes de Huamanga, à Ayacucho. Le gouvernement local ne s’y est du reste pas trompé en désignant l’actuelle présidente Boluarte ainsi que le ministre de l’Intérieur et de la Défense comme étant les responsables de ces violences. « Ils doivent renoncer. Nous exigeons l’arrêt immédiat de l’utilisation des armes à feu de la part des membres de la police nationale et des forces armées contre nos populations ».
Comme par le passé en effet, les accusations de terrorisme retombent sur les manifestants afin de délégitimer leurs protestations. Comme par le passé du reste, les forces armées ont la certitude de pouvoir jouir de l’impunité la plus totale. Le Pérou est d’ailleurs le seul pays d’Amérique latine à ne pas avoir fait mémoire de son passé. De son passé sanglant !
Depuis l’élection de Castillo, ses adversaires n’ont eu de cesse d’affirmer qu’une partie de son soutien provient du Movadef, l’aile politique du Sentier Lumineux. Des allégations reprises sur la chaîne de TV Willax, en mains du clan fujimoriste, lequel qualifie les manifestants « d’ennemis du Pérou ». L’amalgame particulièrement répandu dans la « bonne société limeña » est d’affirmer que le communisme, soit tout ce qui est un peu plus à gauche que le centre, et le terrorisme sont indissociables.
Des milieux qui n’ont sans doute jamais mis les pieds dans la Sierra péruvienne. Là où vit cette manifestante d’une cinquantaine d’années, son dernier né dans les bras, interrogée par l’AFP : « Nous devons nous battre. Pour que nos enfants ne souffrent pas comme nous souffrons. Ce qui se passe aujourd’hui au Pérou montre « que notre histoire est faite de racisme contre les peuples indigènes et le pays profond ».
Lors de son élection en 2021, Castillo a été largement soutenu par les populations de la province, du nord au sud du pays. Un événement qui a démontré pour la première fois une cassure électorale culturelle et sociale entre Lima et la Sierra.
A noter qu’une dénonciation pénale a été déposée par des autorités de Huamanga contre la présidente Dina Boluarte, le premier ministre Pedro Angulo Arana et autres ministres du cabinet ministériel, mais aussi contre de hauts dignitaires de la police et militaire de la région d’Ayacucho, pour « génocide et crime de lèse humanité». Dénonciation qui, vu le climat de corruption, n’a aucune chance d’aboutir auprès d’autorités judiciaires, bien loin de l’impartialité attendue de la part de ces instances.
Ce qu’on aimerait comprendre dans ce sac de noeuds, c’est pourquoi le président déchu a été remplacé par sa vice-présidente qui appartient au même parti que lui. En général, un coup d’état provoque une rupture institutionnelle, ce qui ne semble pas être le cas. Merci d’éclairer ma lanterne SVP.