Pérou, “un peuple qui oublie son histoire est condamné à ce qu’elle se répète”


PAR PIERRE ROTTET, Lima

Le gouvernement de la présidente Boluarte est plus que jamais sur la sellette. Surtout après l’annonce de la procureure de la nation, Patricia Benavides, d’ouvrir une enquête pour génocide à son encontre et contre le titulaire du Conseil des ministres, Alberto Otàrola. La décision de la procureure Benavides génère un immense malaise au Palais présidentiel et dans ses alentours.

Une enquête menée entre le 7 et le 12 janvier dernier par le quotidien limeño « La Republica », indique que la présidente Dina Boluarte et le Congrès subissent un taux de désapprobation jamais atteint au niveau national, de l’ordre de 95,74%.

L’éditorialiste de ce même quotidien met le nez à la fenêtre de l’Histoire pour dénoncer le nouveau maire de Lima, l’opusien Rafael López Aliaga qui s’en est pris la semaine passée au travail de la Commission de la Vérité créée à l’époque pour enquêter sur les crimes de guerre du Sentier lumineux et des militaires. Le maire Aliaga, réfutait les conclusions de cette commission, en même temps qu’il justifiait l’action démesurément répressive et mortelle des forces militaires dans le conflit actuel.

Les investigations de la Commission de la Vérité permirent à l’époque une révision de nombreux faits de violence à l’époque de la sale guerre, dans les années 70, y compris les crimes de l’armée qui demeurent à ce jour impunis. Des milliers de familles attendent encore de connaître le sort des disparus.

Pour l’éditorialiste du quotidien, la négation du maire Aliaga « relève d’une totale méconnaissance de l’énorme tâche de ladite commission. On dit qu’un peuple qui oublie son histoire est condamné à ce qu’elle se répète ». Comme actuellement dans le pays…

Selon des sources gouvernementales citées par « La Republica », le gouvernement considère qu’une investigation pour génocide donne sens aux thèses du groupe subversif du Sentier lumineux, qui n’a cessé de traiter de génocidaires le régime du dictateur Alberto Fujimori et les opérations des militaires qui combattirent le Sentier lumineux. Régime d’ailleurs coupable de la stérilisation forcées de plus de 320’000 femmes d’obédience quechuanes. Un ethnocide demeuré à ce jours impuni !

Toujours selon ce même gouvernement, déconnecté de la réalité aux yeux de nombre d’observateurs relativement neutres dans le paysage politique du Pérou, « ouvrir une enquête pour génocide équivaudrait à accepter que les affirmations selon lesquelles la répression et les violences contre les protestations et les marches, qui ont déjà provoqué la mort de 45 personnes tuées à balles réelles par l’armée et la police, sont fondées. Cela équivaudrait en outre, assure le gouvernement, à donner sens à ceux qui prétendent que les actions menées contre les manifestants participent d’une répression ayant pour origine le racisme».

Un son de cloche que ne veut pas entendre l’historien José Ragas. Pour lui, les morts et les blessés dont le gouvernement est responsable rendent impossible d’attendre 2024 pour organiser de nouvelles élections. Divers politologues mettent en outre en garde contre une déconnection de la classe politique d’avec le pays. Ce qui est visiblement le cas.

Dans une déclaration faite dimanche, le gouverneur de Puno, Richard Hancco, sévèrement pris à partie vendredi par Dina Boluarte, répond à la présidente l’accusant à son tour d’être une « traître ». « Si vous voulez développer la région, venez discuter avec le peuple ».

Elle ne veut rien, la présidente Boluarte, sinon s’accrocher au pouvoir de gré ou de force. De force dans le cas présent. Hormis peut-être des appels au calme, alors qu’elle mène parallèlement la violente charge de la répression militaire, avec le blanc-seing de l’autorité, pour tirer à balles réelles sur des manifestants qui ne font rien d’autre que recourir à un droit le plus absolu en démocratie. Manifester sans pour autant se faire massacrer… Des campesinos, cholas et cholos, citoyens de cet autre Pérou, celui de la Sierra et des cimes, du monde rural, ignoré et méprisé depuis l’indépendance du pays, qui réclament de nouvelles élections afin que dégagent des congressistes le plus souvent corrompus. Et qui exigent la libération de l’ex-président Castillo, emprisonné préventivement pour 18 mois…

Les jours du régime de la présidente Boluarte pourtant sont comptés. Elle qui ne veut pas non plus d’une enquête pour génocide à son encontre. Une présidente et un gouvernement dépassés par les événements. Qui ne maîtrisent plus rien. Et surtout pas le sens de la mesure, avec l’intention qui pourrait prendre les allures d’une blague s’il elle n’était pas émise sérieusement, annoncée vendredi dernier à Lima, à savoir faire juger quelques amis de l’ex-président Castillo pour « hautre trahison à la patrie… ». Y compris, y compris, disais-je, le Bolivien et ex-président de la bolivie Evo Morales… coupable de « trahison à la patrie ». Serait-ce que la présidente honnie des péruviens aurait l’intention d’annexer la Bolivie ?

Comme si Evo Morales, cet autre leader du monde indigéniste des Andes, voué aux gémonies par la bonne bourgeoisie de Lima, pouvait être poursuivi pour haute trahison dans un pays qui n’est pas le sien. Vous avez dit déconnectée?

Photo Rottet

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