Chroniques indiennes – Janvier 2023, Auroville (1)


PAR CAMILLE FOETISCH, Auroville, Reportage texte et photos

Début 2023, l’Inde de Modi, c’est l’Inde du G20, on va l’entendre jusqu’à l’écœurement…

Même Auroville, la « cité de l’aube », la « cité dont le monde a besoin » – selon les termes affirmatifs ronflants de ses autorités – ne sera pas épargnée par la promotion et le marketing tous azimuts de l’Inde par son maître de ce jour, N. Modi. Visites prévue à Pondichery et à Auroville de délégués invités les 29, 30, 31 janvier…

Mais Auroville (pour mémoire : communauté fondée en 1968 par Myrra Alfassa, française et compagne/disciple du philosophe indien Sri Aurobindo), où je séjourne quelques mois chaque année durant la « bonne saison » (janvier-mars), subit aussi les tremblements du monde. Même à l’intérieur de sa bulle, une bulle très perméable !

Si les bruits et la fureur du monde lui parviennent filtrés, « The City of Dawn », qui se voulait – et se veut toujours – une cité modèle, n’a pas entendu assez tôt les tremblements de son pays hôte, l’Inde, qui pourtant, en 1968, lui avait donné un quasi blanc-seing, qui fut toutefois revu et corrigé en 1971, à la suite de conflits d’ordre financier et politique.


Les enfants de Malarchi (internat à Auroville).

En décembre 2021, patatras !« coup d’Etat », les prémisses d’une prise de pouvoir des autorités indiennes sur tous les groupes et organes de gestion d’Auroville, pilotée par la nouvelle secrétaire de la Fondation Auroville, et une poignée d’Auroviliens de son entourage. Hauts cris et scandale chez les résidents occidentaux, les Indiens eux, restant assez flegmatiques (un résidu de leurs anciens maîtres ?…), il n’y a pas là grand-chose pour les étonner !

La ville – ou plutôt la communauté – est aujourd’hui divisée en deux camps, apparemment irréconciliables, accusations de part et d’autres, invectives parfois, menaces, tribunaux… l’atmosphère est un peu lourde… Mais c’est sans compter la résilience des Indiens, en l’occurrence des Tamouls, la population indienne majoritaire, puisqu’ils habitent à côté et sont souvent devenus Auroviliens par opportunisme…Pour eux, tout se passe plutôt bien…


Vaches décorées à l’occasion de Pongal, nouvel-an tamoul

Auroville, pourquoi ? Le projet de Mirra Alfassa, dite la Mère (ici, les gourous féminins sont souvent désignés par Mère), utopique, c’était l’unité humaine, prouver qu’en définitive, quelles que soient notre couleur et notre origine, nous aspirons tous à la conscience divine. C’est pas faux, mais la barre est placée haut. Et la nature humaine étant ce qu’elle est, il y a du boulot ! C’est bien cette impossibilité ontologique et les interprétations des possibles qui représentent le défi majeur du projet – ou aussi de l’expérience – d’Auroville.

Aujourd’hui, les Auroviliens, placés devant le fait accompli, se retrouvent obligés de se définir, de définir leur chemin de vie…. S’ils sont venus pour approfondir leur cheminement intérieur, ils pourront le poursuivre, en s’impliquant le moins possible dans la politique de la ville et en ne se laissant pas affecter par l’extérieur ; s’ils sont venus parce qu’ils ne trouvent pas leur place en Occident et qu’ils trouvent ici le moyen de se la couler douce pour 3 sous, et un terrain favorable à la magouille, ils devront changer de cap.


Petite cérémonie (Pongal) dans une ferme

Mais pour un regard extérieur et innocent, rien ne semble avoir changé, ni à Auroville, ni dans les villages environnants, qui profitent abondamment de la manne indienne versée dans les infrastructures : les flots de touristes indiens, venus des 4 coins du sous-continent pour consommer boutiques, cafés, restaurants, et, très important, de l’alcool en vente libre à Pondichery, la « banlieue d’Auroville » !

La voie d’accès à Auroville depuis la route qui longe la mer, devenue Auroville Road, en 20 ans, s’est remplie des deux côtés de constructions anarchiques, auberges à 4-sous, boutiques, petits restos, petits ateliers en tous genres, officines vendant de tout. Mais inchangée, l’habitude du bétail – vaches, chèvres, chiens de s’installer au milieu de la route… En bordure de la ville (non délimitée), se sont installés de nombreuses petites entreprises, culturelles, commerciales.

La vie s’y déroule selon la formule, très indienne, « same-same, but different », comme si le reste du monde n’existait pas !

La modernité s’y exprime dans un magnifique contraste, voire une incohérence : vu l’autre jour un paysan en dhoti et turban, sur son char tiré par deux bœufs blancs, le téléphone portable à l’oreille. La… tradition se manifestant de son côté par les éternelles et omniprésentes décharges sauvages, qui semblent ne gêner plus personne.


Maison-atelier d’un designer de mode populaire à Auroville, Upasana

Dimanche, 7 h du matin, sur la plage, fraîcheur et pâle soleil levant, de gros rouleaux rendent la baignade dangereuse, des chiens errants en mal d’affection s’approchent des humains…

Dimanche toujours, 19 h, théâtre traditionnel tamoul, un pan du Mahabaratha, dans une langue tamoule littéraire… Certes, on n’y comprend (presque) rien, mais les acteurs sont épatants, dans leurs costumes colorés de carton-pâte, un peu dans une verve burlesque…

Ce week-end, 15, 16, 17 janvier, c’est Pongal, le nouvel-an tamoul, célébration des récoltes et du renouveau. Les villageois ont lavé leurs rues, dessiné à la poudre des « kollams » (mandala) devant les portes, brûlé leurs vieux vêtements, en ont revêtu de nouveaux…. Une belle fête… qui, comme toujours en Inde, comporte ses violences : les vaches, pourtant sacrées, une fois décorées et honorées, sont pourchassées et effrayées comme divertissement traditionnel…

La vie s’écoule paisiblement, avec quelques soubresauts, coups d’éclat, une odeur de pain frais ici, des rencontres et beaucoup de chants d’oiseaux…


Théâtre de verdure, Mahabharata

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