«Vargas Llosa est  indigne de l’Académie française»


PAR PIERRE ROTTET, Lima

A l’incompréhension du choix de l’Académie française de faire entrer l’écrivain péruvien et prix Nobel 2010 de littérature, en novembre 2021, s’ajoute désormais l’indignation. En début de semaine, Mario Vargas Llosa a en effet fait part de l’invitation, immédiatement acceptée, lancée à l’ex-roi d’Espagne à se déplacer à Paris et à se joindre à lui pour la cérémonie qui aura lieu le 9 février prochain dans la capitale française.

En exil à Abu Dhabi, l’ex-monarque espagnol est persona non grata un peu partout en raison des casseroles qu’il traîne, impliqué qu’il est dans de multiples affaires, dont celles de corruption et blanchiment d’argent. Llosa n’en a cure, son ami intime Juan Carlos Ier, le roi déchu, sera présent.

L’info ne fait malheureusement pas le buzz. La faute à la guerre. Et encore à la guerre en Ukraine… Il n’en demeure pas moins que l’écrivain entrera officiellement le 9 février prochain à l’Académie française. En grande pompe!

Un fauteuil pour le moins contesté, et contestable, pour cet hispano-péruvien, chantre du libéralisme à outrance, pour ne pas dire pur et dur. Ses nombreux détracteurs ajouteront: réactionnaire. Un collectif d’universitaires français le faisait savoir dans une tribune parue dans “Libération”, peu après le choix scandaleux des futurs pairs de Llosa. 18 voix au premier tour de scrutin pour occuper le fauteuil… 18, laissé vacant après le décès de Michel Serres, en 2019. La nationalité française n’étant pas une condition sine qua non pour entrer à l’Académie française.

Le collectif donnait d’emblée le ton pour manifester son incompréhension: « Mario Vargas Llosa est  indigne de l’Académie française ». Surtout, ce collectif s’insurgeait, sitôt après cette élection controversée, contre l’«anticommunisme fervent» et les «prises de position extrémistes» du prix Nobel de littérature. Lui reprochant notamment son soutien à José Antonio Kast, candidat d’une droite radicale dans la ligne de Pinochet lors de la dernière présidentielle chilienne, en 2021.

Pour les signataires, « l’entrée de Vargas Llosa à l’Académie française constitue ni plus ni moins qu’une erreur, voire une faute desdits Immortels. Tous s’indignent « avec stupéfaction» de l’indifférence apparente de l’Académie pour le sujet.

Chantre du libéralisme pur et dur ? Réactionnaire? Vargas Llosa s’est certes engagé en politique tout au long de sa vie. Mais comme tant d’autres intellectuels abandonnés par leur jeunesse à mesure que grossit leur compte en banque, ses convictions politiques se sont déplacées peu à peu, passant du communisme au libéralisme. Et pas n’importe lequel! Son soutien à Fidel Castro sera bien vite oublié. Renié. D’où son zèle à prouver son appartenance à une droite radicale pour faire oublier son passé de militant de gauche ? Une droite radicale qu’il représentera d’ailleurs à la présidentielle de 1990 au Pérou.

Le Pérou ne connaissait pas la rébellion des indigènes telle qu’elle se manifeste aujourd’hui mais le marasme économique pointait déjà plus que le bout de son nez. Les deux candidats à la présidentielle, Vargas Llosa et Alberto Fujimori ne trouvèrent rien de mieux que de promettre un choc économique brutal pour le pays. Et donc plus de pauvreté dans la pauvreté extrême !

Défait par le futur dictateur Fujimori, Vargas Llosa quittera le Pérou pour ne plus jamais y revenir, avait-il promis. Il partit alors en Espagne, la « madre patria », comme aiment la nommer les oligarchies blanches péruviennes avec leur arrogance coutumière, dont Vargas Llosa est un représentant. L’Espagne d’alors, aux mains du Parti populaire (PP) regroupant les nostalgiques du franquisme l’accueillera en faisant de lui un Espagnol de plus. Malheureusement, il ne tiendra pas sa parole et reviendra en sa terre natale après avoir insulté et craché au visage des Péruviens qui votèrent contre lui en 1990, en les traitant, pour reprendre des titres de presse à l’époque, d’ignorants, de « cacasenos » (sic). Autrement dit des gens stupides, des citoyens idiots.

En Espagne, Llosa ne tardera pas non plus à s’illustrer en signant en 2003, avec quelques personnalités de la droite conservatrice espagnole et plusieurs intellectuels tels que Bernard-Henri Lévy – considéré comme l’un des responsables de l’intervention militaire en Libye et du chaos chronique qui suivit – une lettre qui s’en prenait violemment à l’Eglise catholique basque. Une missive téléguidée par la Conférence épiscopale d’Espagne, proche du PP, dans laquelle les signataires accusaient les évêques de la région basque de « favoriser l’impunité morale prônée par le Parti nationaliste et l’Eglise catholique basques ».

En 2014, Vargas Llosa scandalisait le monde littéraire sud-américain en s’en prenant honteusement à l’écrivain colombien Gabriel Garcia Marquez, Nobel de littérature en 1982 et auteur de « Cent ans de solitude ». C’était au lendemain de la mort de l’écrivain colombien, décédé à Mexico en 2014. En guise d’oraison funèbre, Llosa qualifiera Gabriel Garcia Marquez de « courtisan instrumentalisé par le régime de Castro ». Estimant en outre que son talent d’écrivain était plus que « douteux ». Comme est aujourd’hui douteuse, mais alors réellement, son entrée à l’Académie… française!

Mario Vargas Llosa.
Photo wikipedia.

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3 commmentaires à “«Vargas Llosa est  indigne de l’Académie française»”

  1. Avatar photo
    Christian Lecerf 28 janvier 2023 at 20:06 #

    Si un jour un écrivain sud-américain soutien de Chávez, de Castro ou du Sentier Lumineux a les qualités littéraires suffisantes pour obtenir et le prix Nobel et un siège à l’académie française, ce jour-là je me réjouirai de ce choix… même si je suis loin de partager ses convictions politiques. Il en est de même pour Vargas Llosa dont seul le talent d’écrivain doit être mis en avant. Il est d’ailleurs intéressant de noter que cet auteur parle la langue de Molière mais qu’il n’écrit que dans celle de Cervantès. Ce qui prouve que nos académiciens sont à la fois brillants… et déroutants.

    • Pierre Rottet 30 janvier 2023 at 00:37 #

      Le talent ne suffit pas à exonérer l’homme, son arrogance de représentant d’une élite blanche péruvienne, méprisant et raciste à l’égard des indigènes péruviens. Une élite, disais-je, comme le sont ces Académiciens, plus éloignés de la rue qu’un banquier d’un SDF. PR

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    Christian Lecerf 1 février 2023 at 10:22 #

    L’échafaud pour les élites… J’ai déjà entendu ça quelque part, mais où ? 🤔

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