Les banquiers font-ils encore leur travail ?


PAR PIERRE ROCHAT

La nouvelle est tombée le 6 janvier. La Banque californienne Silvergate a déposé son bilan après s’être aventurée dans le domaine des cryptomonnaies. Entraînée par la faillite de FTX, un acteur majeur du domaine, cette banque traditionnelle a succombé à sa nouvelle politique supposée « booster » ses profits.

A cette occasion, quelques réflexions me sont venues à l’esprit sur le métier de banquier.

Dans le système capitaliste, une entreprise ne survit que si elle a une utilité quelconque. Elle doit apporter une « valeur ajoutée » à la société, que ce soit un produit ou un service utile. A cette condition, elle trouve sa place et prospère. Sinon elle est éliminée, au contraire d’entreprises d’Etat qui peuvent vivre sans utilité ou efficacité, pour raisons idéologiques, de puissance ou de prestige.

Les banques ont longtemps joué un rôle utile dans la société où elles ont acquis leur légitimité de ce fait. Mais ce système bien rodé a commencé à vaciller sous la volonté d’augmenter les profits. Les banques ont constaté qu’elles pouvaient faire plus d’argent avec de l’argent qu’avec des clients. La culture d’entreprise a ainsi évolué de « travailler pour ses clients » à « travailler pour le profit de la banque ». Ainsi, certains établissements bancaires, d’abord anglo-saxons, se sont mis en congé du principe d’utilité énoncé plus haut et ont commencé à travailler pour elles-mêmes et donc leurs actionnaires.

Pour faire du profit avec de l’argent, il faut spéculer, ce que ces banquiers ont commencé à faire, nonobstant l’inutilité de leurs opérations pour l’économie, voire leur nocivité. Et, adroitement – ou cyniquement -, ils ont fait peser les risques de ces opérations sur leurs clients en en gardant le profit. L’exemple parfait de cette dérive est ce que l’on a appelé les « subprimes » : on déverse une pluie d’argent sur des gens insolvables et on place cet « investissement » dans les comptes des clients après s’être servis de juteuses commissions.

Mais cette dérive a commencé bien avant et subrepticement : les banques se sont bien gardées de se soumettre à une « obligation de résultats » pour leurs clients, comme toute autre industrie le fait : un constructeur automobile vous vend une voiture qui roule et vous rend le service que vous en attendez, sinon la sanction est la faillite à brève échéance. Les banquiers, eux, encaissent leurs commissions, que la valeur de leurs placements monte ou descende. Le sort des clients ne les intéresse pas. Seul compte leur profit. En ce sens, ils se sont affranchis du principe d’utilité.

Le résultat de cette politique ne s’est pas fait attendre. Après avoir été considérés comme des piliers de l’économie et de la société, les banquiers ont provoqué la méfiance générale. Ils ont en conséquence perdu leurs appuis politiques. Maintenant, ils sont tout seuls, avec un modèle d’affaires à revoir urgemment.

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