Silence des mots


PAR DOMINIQUE OLGIATI

Quand l’histoire rejoue le présent, la porte de mes mots se ferme. Un silence s’installe devant le pourquoi et l’incompréhension sur les recommencements diaboliques, les copiés collés sclérosés sur: la guerre, les conflits, les sanctions, les récidives d’erreurs humaines.

Le proverbe chinois dit vrai: «L’expérience est une lanterne qui n’éclaire que celui qui la porte».

Réflexion et sagesse sont-elles en congé maladie indéterminé? Je tournerai donc la tête aux manchettes journalistiques mensongères et, dès lors, je regarderai en silence le jour se lever envers et contre tout.

Merci pour ce miracle de lumière, fidèle et naissant de notre nuit.

Du coup, mes mots enfermés dans ce silence libèrent mes pensées débarrassées du présent et vont fouiller dans le passé la trace de pacificateurs.

Car c’est là notre tâche à tous de pacifier, notre responsabilité première. Et pour ce faire, filtrer les regards jugeurs, éviter d’huiler le feu des diabolisateurs.

Alors, je déroule les siècles passés, et trouve au XVème, Nicolas de Flüe, (1417-1487), ce paysan d’Obwald, au profil éthéré, père de 10 enfants, qui ne sait ni lire ni écrire, animé par l’esprit de paix, la non-intervention dans les affaires étrangères et la conciliation.

Cet esprit, aujourd’hui n’inspire plus nos dirigeants suisses.

Nicolas va défendre son pays pendant la guerre de 100 ans; il devient capitaine mais sera renvoyé de l’armée suite à son refus de tuer les ennemis réfugiés dans une église. On le nommera ensuite, conseiller puis juge de son canton et proposé gouverneur, il refusera.

L’ascension professionnelle n’est pas sa vocation. Non, il retourne dans sa famille et à l’appel d’une vision divine, quitte les siens, après accord, pour vivre au Ranft en ermite, un ascète mystique.

Une mésentente divisera bientôt huit cantons: d’un côté, les riches cantons des villes, et de l’autre, les cantons pauvres des campagnes. L’ermite sera consulté et descendra par deux fois de sa montagne pour offrir des conseils qui permettront de sortir miraculeusement du conflit.

Nicolas reçoit aussi les messagers de l’empereur d’Autriche, du duc de Milan et d’autres puissants des régions alpines. Dans un monde en profond conflit, Frère Nicolas (Klaus) apparait comme le dernier recours possible.

Il est à mi-chemin entre la terre et le ciel, entre le Moyen Age et la modernité.

Là-haut dans le silence du Ranft, aucune réception ni réponse de mobile, car les ondes viennent d’ailleurs pour qui sait s’imprégner des lieux.

Nicolas de Flüe est important non seulement par ce qu’il dit mais par ce qu’il est; il va au bout de sa vocation, au bout de son humanité.

Il réunissait deux choses: consoler et ramener la paix.

Après sa mort, en 1529, la 1ère guerre de Kappel divise catholiques et protestants ; l’esprit de Nicolas souffle encore. On rapporte que tandis que les généraux essayent de négocier une solution pacifique, ce sont les soldats des deux armées ennemies qui, sur la ligne neutre de séparation, placent un chaudron rempli du lait apporté par les catholiques de Zoug qui demandent aux protestants de Zurich d’y jeter du pain.

On commence à manger, chacun est assis sur son territoire de part et d’autre du chaudron. Si l’un des convives dépasse le milieu du chaudron, un adversaire lui tape sur les doigts en disant:

«Broute sur ton territoire». Les deux armées trempent les morceaux de pain dans le lait et protestants et catholiques fraternisent en mangeant. Le conflit se termine sans combat par ce repas de réconciliation nommé: la soupe de Kappel ou Kappeller Milchsuppe, situé près du village de Kappel am Albis, à la frontière entre les deux cantons belligérants.

Albert Anker peindra ce partage en 1869 (ci-dessous).

Cet épisode précédera le traité de la Diète de Stans.

Actuellement, la soupe de Kappel a encore une grande valeur symbolique pour l’histoire ultérieure de la Suisse et son identification pacifique. Par exemple, en 2006 le conseiller fédéral Pascal Couchepin s’en est inspiré pour conclure le différend sur les biens culturels de Saint-Gall.

Mais dans notre actualité, ce symbole est resté dénué d’application stratégique ou décisionnelle ; ce qui met à mal et discrédite la neutralité suisse, source potentielle de réconciliation.

L’union autour d’une nourriture joue un grand rôle au cours des siècles. A commencer par la Cène, du dernier repas de Jésus qui a bouleversé l’histoire. Puis par l’engagement œcuménique actuel qui reconnait Bruder Klaus comme le saint œcuménique.

Les guerres de religion ont maintenant fait place aux guerres entre puissances, balayant l’esprit de l’ermite et réduisant mes mots au silence dans l’attente du souffle pacificateur de Nicolas sur notre terre.

Tags: , , , , , , , ,

Laisser un commentaire

Les commentaires sous pseudonyme ne seront pas acceptés sur la Méduse, veuillez utiliser votre vrai nom.

Mentions légales - Autorenrechte

Les droits d'utilisation des textes sur www.lameduse.ch restent propriété des auteurs, à moins qu'il n'en soit fait mention autrement. Les textes ne peuvent pas être copiés ou utilisés à des fins commerciales sans l'assentiment des auteurs.

Die Autorenrechte an den Texten auf www.lameduse.ch liegen bei den Autoren, falls dies nicht anders vermerkt ist. Die Texte dûrfen ohne die ausdrûckliche Zustimmung der Autoren nicht kopiert oder fûr kommerzielle Zwecke gebraucht werden.