Relire Paasilinna


PAR CHRISTIAN CAMPICHE

La bombe – faut-il la mettre en majuscule? – a conditionné les cauchemars de mon enfance. “Jamais plus” Hiroshima, c’était trois ans avant ma naissance. Je vivais alors au Portugal où les églises n’étaient pas encore des temples de la consommation. On exhibait les bergers de Fatima comme des reliques servant à alimenter des rites macabres. «L’humanité sera anéantie et les anges deviendront tous des saints», prédisait Margarida dans ce haut lieu de confidences qu’était la cuisine de l’appartement lisboète. Nous étions certains que nous allions mourir, dévorés par le feu nucléaire. L’avenir n’était pas programmé à l’EPFL en ces temps-là au Portugal. Ni ailleurs, d’ailleurs.

Pendant toute la guerre froide, la peur atomique a fait partie de mon quotidien. Les blocs s’observaient en chiens de faïence mais se gardaient bien de provoquer l’adversaire. En 1956, Washington n’a pas bougé le petit doigt pour venir au secours des Hongrois attaqués par les chars russes. Le président Eisenhower savait pourquoi. Lors de la crise de Cuba en 1962, l’humanité n’a dû qu’au sang froid de quelques gradés très inspirés de ne pas avoir basculé dans l’horreur. L’armée suisse creusait de coûteux abris et s’équipait de masques pour protéger la population d’une attaque nucléaire.

Aujourd’hui l’heure de l’Apocalypse inscrit 23 heures 58 minutes et 30 secondes. En d’autres termes, affirment les scientifiques de Chicago qui orientent ses aiguilles, la chute finale n’a jamais été aussi proche. «Le monde se dirige les yeux ouverts vers une guerre plus large», surenchérit le Secrétaire général de l’ONU Guterres. Pour autant les dirigeants des grandes puissances, celles qui détiennent la bombe, justement, n’ont pas l’air de vouloir l’écouter. Au contraire, les pays occidentaux arment l’Ukraine jusqu’aux dents. Des tanks, des avions… Les avertissements de Moscou ne sont pas pris au sérieux. Le gentil commentateur du téléjournal badine avec la menace nucléaire comme s’il s’agissait de l’aboiement d’un chihuahua.

Pourquoi la prudence a-t-elle cessé de faire partie du quotidien de nos dirigeants? Remarquez, la prise de conscience n’est pas plus forte dans la population où l’on entend beaucoup de « oh, il n’iront jamais jusqu’au conflit nucléaire! ». Puissent ces optimistes avoir raison! En 1991, avant la première guerre du Golfe, les « jamais ils n’attaqueront l’Irak » semaient l’illusion dans les chaumières.

Tout se passe comme si la chute du mur avait endormi tout sens de la mesure dans les états-majors occidentaux. Du jour au lendemain, dès 1989, l’URSS est devenu un immense territoire à dépecer. Les ténors du pétrole lorgnent sur le pétrole de Sibérie. C’était sans compter sur le réveil de l’ours. Les ordinateurs du Pentagone ont-ils programmé leurs robots sur le scénario du pire? Combien coûterait en vies humaines le lancement de missiles sur Moscou? Et la réplique des sous-marins russes au large des côtes britanniques? On n’ose pas y penser.

Il faut relire Paasilinna, « Le Cantique de l’apocalypse joyeuse » et prévoir son repli salutaire dans le grand nord polaire. L’écrivain finlandais anticipait un conflit nucléaire en 2025… Lors de la sortie du livre en 1992, des critiques parlaient de « délire » .

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3 commmentaires à “Relire Paasilinna”

  1. Jean-Philippe Chenaux 14 février 2023 at 18:43 #

    Emouvant et tellement vrai. Encore un édito qui devrait donner a réfléchir dans les chancelleries et leurs annexes rédactionnelles, sed vox clamatis in deserto…

  2. Eran Shamgar 14 février 2023 at 18:45 #

    Tellement vrai!

    • de Pontbriand Lionel 18 février 2023 at 09:58 #

      L’Europe terre de sang n’a retenu aucune leçon des conflits des siècles précédents car nos gouvernants ont abandonné la notion d’indépendance et de souveraineté existentielle. La guerre est la pire des solutions à l’invasion de son territoire. En Ukraine, c’est le résultat de l’incapacité et de l’imprévoyance des démocraties européennes à proposer un traité de paix depuis une décennie et à activer la diplomatie comme arbitre entre l’Ukraine et la Russie.

      L’édito de Mr.Christian CAMPICHE a le mérite de nous montrer une analyse et une vision des risques majeurs du conflit alimenté par une course effrénée aux armements vendus par le Pentagone malgré les menaces nucléaires de la Russie. Aucun pays européen n’est à l’abri des conséquences désastreuses vitales et sociales de leurs politiques suicidaires sans accord de paix. Nous allons droit dans le mur et n’avons pas le choix de rompre avec l’OTAN.

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