Contestation au Pérou, les plaintes contre le régime au pouvoir se multiplient


PAR PIERRE ROTTET

La procureure de la nation, Patricia Benavides, a ouvert mardi 14 février une enquête à Lima pour « collusion aggravée et divers délits», dirigée contre le Premier ministre Alberto Otarola, ainsi que contre le ministre du travail, Alfonso Adrianzen, notamment. Alberto Otarola est considéré comme le stratège et le responsable du blocage de la situation politique au Pérou. De l’impasse !

La présidente péruvienne Dina Boluarte et ses ministres doivent désormais faire face aux menaces judiciaires qui planent sur eux. Avec de hauts responsables de la police nationale péruvienne (PNP), ils ont été dénoncés pénalement le 13 février pour leur responsabilité – avérée – dans les massacres commis depuis le 7 décembre 2022 dans le Département de l’Apurimac, situé dans la région du centre du Pérou, à l’est de Cusco. La dénonciation émane de l’Association péruvienne « Pro Derechos Humanos », (Aprodeh). Une note de presse de cette dernière, publiée mardi 14 février, indique que la dénonciation a été déposée au bureau de la procureure de la nation, Patricia Benavides.

La dénonciation, informe l’Association, contient du matériel audiovisuel, des documents et des témoignages de victimes, suffisamment éloquents pour justifier et diligenter une enquête contre Dina Boluarte, les membres de son cabinet ministériel et de hauts gradés de la PNP. “Tous sont responsables des graves conséquences qui ont coûté la vie à plusieurs personnes dans le Département”, indique la note, sans préciser le nombre de victimes dans ce département, à ce jour.

L’accusation formulée par Aprodeh, ainsi que par El Instituto de Defensa Legal (IDL), notamment, a été présentée par une équipe d’avocats indépendants. Ceux-ci signalent de « graves violations des droits humains », ainsi que d’autres délits et disfonctionnements incluant des homicides, des lésions graves, des tortures et des abus d’autorité. “Il est impossible de commettre de tels actes sans l’appui et l’aval des autorités au plus haut niveau de l’Etat”, signalent les avocats d’Aprodeh.

Les plaintes et accusations contre Boluarte et contre des ministres et des membres de la PNP se multiplient, vidéos accablantes à l’appui. Elles démontrent en boucle sur les réseaux sociaux la brutalité et l’implication des forces de l’ordre dans ces massacres contre des civils. L’accusation de l’Association Aprodeh déposée sur le bureau de la procureure de la nation, Patricia Benavides, s’ajoute à celle de la plainte « pour crimes contre l’humanité » consignée il y a quelques jours devant la Cour pénale internationale par une cohorte d’avocats.

Ces plaintes s’ajoutent à une autre, ignorée pour l’heure des médias péruviens, déposée auprès de différents mécanismes de protection des droits de l’homme de l’ONU, pour dénoncer les violations et la répression contre le peuple péruvien, « dans le contexte de la fracture politique et sociale qui affecte le pays depuis la rupture institutionnelle de décembre 2022 ». Cette plainte émane de la Fédération nationale des Femmes Paysannes, Artisanes, Indigènes, Natives et Salariées du Pérou (FENMUCARINAP) en tant qu’organisation membre de La Via Campesina ; le CETIM et la Red Whipalas, en collaboration avec Quinto Suyo Suiza-Peru et le Collectif Pérou Solidaire – Belgique. Une association qu’infoméduse n’a pas pu joindre à l’heure d’écrire ces lignes.

A l’appui des documents et vidéos qui circulent en ligne, une vidéo de IDL-Reporteros, un journal péruvien en ligne spécialisé dans des enquêtes journalistiques d’investigation, a révélé ces jours comment six des dix victimes de la marche de protestation, le 15 décembre à Arequipa, sont mortes des suites des tirs des militaires qui les poursuivaient.

Des médecins légistes de la direction de la criminalité avancent un chiffre plus brutal. Leurs expertises concluent que les orifices d’entrée et sortie des projectiles, constatés sur 9 des 10 victimes du massacre de ce même 15 décembre à Arequipa, dans le sud du pays, proviennent effectivement de fusils de longue portée utilisés par l’armée.

Pour nombre d’observateurs, la positon intransigeante de la présidente Boluarte face aux manifestants et aux appels à la démission est dictée par la peur de se retrouver à la case prison. Comme pour le Premier ministre et d’autres collaborateurs. Une échéance sans doute repoussée pour l’heure mais pour combien de temps… ? Etant entendu qu’aucun militaire ou policier ne sera inculpé pour les crimes, en raison de l’impunité totale qui est la leur depuis toujours. D’autant qu’il est probable que l’action des forces de l’ordre contre la population, et notamment celle, particulièrement meurtrière du 9 janvier dernier, l’a été grâce au feu vert donné par les autorités, comme le révèle un journaliste de Channel 4 News. Une info du reste relayée par la chaîne internationale CNN.

Pour l’heure, les manifestations et les heurts se poursuivent un peu partout au Pérou. Avec peu ou prou la même intensité et les mêmes violents affrontements. La rue continue son combat ! Ce que refuse d’entendre la présidente Boluarte. Cette dernière, qui a perdu toute crédibilité depuis belle lurette, estimait mensonger de prétendre que la majorité des péruviens la soutenait dans sa charge. Un aveuglément : les sondages, du plus prudent au plus large, lui tournent en effet le dos, dans une fourchette allant de 75 à 90% de la population péruvienne. « Chaque fois que Dina Boluarte parle, c’est comme si on attisait un feu en l’arrosant d’essence, disait l’autre jour Anibal Torres, ex-président du Conseil des ministres du Pérou. Ce qui fait dire à certains analystes, que les risques de voir le Pérou s’embraser et se diriger vers une guerre civile sont réelles.

A défaut, ce qui est en jeu aujourd’hui au pays des Incas et de leurs descendants légitimes est la défense de la liberté d’expression. Des libertés. Des femmes ont été condamnées à 7 jours de prison ferme pour avoir récolté des fonds en faveur des manifestants. Alors que pendant ce même temps, le régime Boluarte mettait en place une ligne pour favoriser la délation, les dénonciations anonymes pour des citoyens à qui l’on prêterait de « faire l’apologie du terrorisme, y compris sur les réseaux sociaux. Un Etat, redoutent de plus en plus nombre de politiciens ou d’analystes sociaux ou politiques, qui glisse dangereusement vers l’autoritarisme.

Ces jours pourtant, un groupe d’artistes péruviens exprime au moyen d’un rap la légitimité du combat. Il restitue au peuple indigène de ce pays la place qui lui revient. Culturellement et historiquement.

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