La France en pleine souffrance (2) – Les Français accusés par le gouvernement d’être des paresseux


PAR YANN LE HOUELLEUR, dans la banlieue de Paris, texte et photos

La semaine qui vient de s’écouler a vu s’enflammer l’hémicycle de l’Assemblée. Plusieurs députés ont offert à leurs électeurs un spectacle lamentable, croisant le fer avec une grossièreté affligeante. Jamais, depuis longtemps, de élus ne s’étaient entredéchirés à ce point autour d’un projet de loi, en l’occurrence la réforme des retraites. Le président Macron a fait de cette remise à plat du système de retraite par répartition la grande cause de ses deux quinquennats successifs. (Une explication s’impose : depuis 1945, le système de retraite en France est basé sur la répartition. Ceux qui travaillent se voient prélever des cotisations destinées à financer les pensions des personnes à la retraite.)

Officiellement, il s’agit d’éviter le naufrage d’un système si complexe que seuls ses démolisseurs y comprennent quelque chose. Du fait d’un déséquilibre dû au l’inversion de la pyramide des âges (de nos jours, quasiment plus qu’un cotisant pour un retraité au lieu d’un cotisant pour trois retraités il y a quelques décades) qui tend à s’aggraver dangereusement, c’est au Trésor public qu’il appartiendra d’intervenir.

Mais plusieurs intervenants, lors des tumultueux débats à l’Assemblée nationale, ont tenté de démontrer que les économies promises par le gouvernement n’étaient qu’un mirage. Vendredi, avant que le projet de réforme ne soit examiné par les sénateurs, la foire d’empoigne à l’Assemblée nationale a atteint son paroxysme. Les insultes n’ont fait que monter de plusieurs crans. Débat avorté puisque les députés de la Nupes (Nouvelle union populaire écologique et sociale) ont déposé un si grand nombre d’amendements que seule une partie de la réforme a pu être débattue. Hallucinant : la gauche et les écologistes ont voulu prouver que ce charcutage d’un patrimoine national (le système des retraites) vaudrait à l’Etat de perdre davantage d’argent qu’il ne prétendait en économiser. Les commentateurs invités sur les plateaux des chaînes d’info en continu ont souligné, avant tout, l’état de délabrement physique affectant le ministre du Travail, Olivier Dussopt. Visage poupin et cependant fripé, yeux hagards, cordes vocales brisées par l’épuisement : quand Emmanuel Macron envoie un soldat sur le front, peu lui importe qu’il en revienne brisé. Une fois de plus, le peuple, dans sa grande majorité, se sent méprisé par un gouvernement prêt à toutes les roueries, artifices et malices pour continuer à détricoter la France.

CHOMAGE, LE MAQUILLAGE – S’ils n’ont pas envie d’être obligés de travailler jusqu’à 64 ans, l’une des conséquences de la réforme, au lieu de 62 ans actuellement, les Français ont également la trouille de voir le chômage repartir à la hausse. Ces derniers jours, de nombreuses entreprises ont annoncé des licenciements, en particulier la marque de chaussures San Marina dont les 600 employés répartis dans 163 magasins ont travaillé pour la dernière fois samedi dernier.

Pendant les débats sur la réforme des retraites, le malchanceux ministre du Travail n’a pas manqué de relever que le chômage est à son niveau le plus bas. Officiellement : 7 % de la population active. Mais ces chiffres sont bien sûr maquillés car il suffit d’avoir travaillé une heure par mois pour ne plus être considéré comme « un chômeur de longue durée ». En réalité, le chômage de masse se maintiendrait au-dessus de 15 % et dans certains quartiers appelés défavorisés cela peut grimper jusqu’à 30 %.
La France continue à enterrer des industries si peu concurrentielles et pendant ce temps-là s’accélère la numérisation de l’économie. Impossible, désormais, de prendre rendez-vous avec un fonctionnaire ou un représentant de l’administration. Plus personne n’est responsable de rien. La moindre démarche exige qu’on se rende à son espace personnel et il faut parfois beaucoup de patience pour obtenir une hypothétique réponse.

EN MANQUE D’INGENIEURS –Rappelons que plus une usine en France n’est en mesure de concevoir des cachets de Doliprane et qu’un tsunami de délocalisations, bénéficiant au pays asiatiques principalement, a rendu l’Hexagone exsangue en termes de savoir-faire et de compétences. Même la filière nucléaire a du mal à reprendre pied, démantelée au gré d’ineffables magouilles pour le plus grand plaisir de puissances étrangères (les Etats-Unis en premier lieu). Des milliers d’ingénieurs et de professionnels français hyper-spécialisés ont donc tenté leur chance à l’étranger. Comment relancer le nucléaire alors que le vivier des techniciens est à sec ?

Dès sa première élection, en 2017, « Le Mozart de la Finance » (ainsi surnomme-t-on Macron) avait appelé de ses vœux la naissance d’une « start-up nation » sur les ruines d’une industrie devenue trop polluante et obsolète pour tant de soi-disant progressistes.) Plus maline et décomplexée, l’Allemagne a été le laboratoire de l’actuelle paupérisation de la France avec la promulgation en 2005 des aides sociales Harz IV. Emmanuel Macron (qui fut auparavant ministre des Finance de François Hollande) s’en est largement inspiré ou, plus exactement, rappellent ses adversaires, il se plie aux consignes de la Communauté européenne qui elle-même est toujours davantage à la botte des Américains. (L’actuel conflit en Ukraine en apporte la preuve.)

VIVE L’AUTO ENTREPRENARIAT ! Dans le but peu avouable de culpabiliser les chômeurs et les personnes en marge du monde du travail, le langage suivant est tenu par le gouvernement : « Si la France s’est appauvrie, c’est parce que son peuple est fainéant et que les assistés sociaux pullulent. » Alors, rien de mieux que de créer sa propre entreprise en adhérant au statut d’auto-entrepreneur qui fait de vous un héros dans un environnement où les sacrifices sont un gage de réussite certaine. Pas de congés payés, pas de tickets restaurant, très peu d’avantages en définitive… c’est ainsi qu’on entend de plus en plus de gens, en particulier les artisans et les petits commerçants, faire le constat suivant : « De nos jours, il faut payer pour travailler et travailler pour ne pas être payé ».


Face à un marché du travail qui prend une tournure inquiétante, face à une explosion des prix (alimentation, carburant) mais aussi face à une délinquance qui entraîne de lourdes pénalités pour tant de professionnels agressés sur leur lieu de travail, toute une partie du peuple français exprime à nouveau ses frustrations et même sa colère. Cette fois-ci, ce sont les syndicats qui pour la première fois depuis longtemps ont surmonté leurs rivalités afin de mieux canaliser une telle exaspération. Une première : les secrétaires généraux de la CFDT (premier syndicat par le nombre d’adhérents prônant la culture du compromis) et de la CGT (en perte de vitesse) ont défilé main dans la main entourés d’autres syndicalistes. A leurs côtés: Jean-Luc Mélenchon, le grand architecte de la Nupes qui à deux reprises (2017 puis 2022) s’est classé troisième au premier tour de la présidentielle, devancé de peu par Marine Le Pen. Orateur hors pair, doué d’une culture prodigieuse, l’ancien sénateur et député Mélenchon rêve du « grand soir » et il est accusé par la Macronie (nom désignant les ministres, élus, supporters de l’actuel président de la République) comme par le Rassemblement national de convoquer le peuple à l’insurrection.

EN MODE «  GILETS JAUNES » Résultat : des manifestations monstres comme on n’en avait jamais vu depuis longtemps à plusieurs reprises en février. Les petits et moyennes villes ont créé la surprise : c’est dans leurs rues que les défilés contre le charcutage du système des retraites ont été les plus étoffés. Le 7 mars sont programmés d’autres rassemblements à l’air libre dans toute la France. Une grève générale sensée paralysée le pays sera ensuite décrétée par les syndicats. Ces défilés reflètent la colère et les frustrations que les syndicats aspirent à canaliser. Beaucoup y voient une résurgence, sous une autre forme, du mouvement des Gilets jaunes, lesquels avaient agi de manière spontanée et dont les manifestations avaient été pourries par les black-blocs, ou si vous préférez « les casseurs », au nombre desquels figurent (personne ne l’ignore) de supposés mercenaires encouragés par le pouvoir.

Mélanchon est accusé par la Macronie de convoquer le peuple à l’insurrection.

Toutefois, les syndicats auraient pu mobiliser davantage de monde encore s’ils n’avaient pas, de mèche avec les partis réunis au sein de la Nupes (Nouvelle union populaire écologique et sociale), ostracisé ceux qu’ils appellent outrancièrement « les fachos », à savoir le Rassemblement national. Marine Le Pen, aujourd’hui présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, s’est prononcée contre la réforme des retraites et elle a dénoncé « un saccage social ». Or, n’oublions tout de même pas que la Nupes et la plupart des confédérations syndicales ont incité les Français à mettre un bulletin dans l’urne en faveur du candidat Macron. Qui sème le vent récolte… la tempête ou à défaut l’indifférence.



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