PAR ERAN SHAMGAR
Moïse sur le mont Sinaï, a reçu les dix commandements. De retour parmi les hommes, il vit que son peuple a érigé une sculpture, le veau d’or. Dans sa colère, le prophète brisa les Tables de la loi.
Qu’est-ce qui mérite l’admiration, la vénération: une sculpture qui, par son éclat, sa beauté, son équilibre, le sens qu’on lui donne est le résultat du travail d’un artiste ou une œuvre préexistante qui ne peut être, selon Platon, qu’appréhendée par le génie puis interprétée avec plus ou moins d’habileté par ces mêmes artistes ? L’esprit humain est-il le résultat d’une création ou en fait-il partie ?
Avec la progression des sciences et le recul des religions, l’homme s’est placé au centre de l’univers et s’est octroyé des compétences quasi divines. Le créatif, c’est lui ! C’est lui qui de manière empirique a matérialisé l’expression de son âme à travers l’art, la philosophie, les sciences. Il n’a plus besoin ni de Dieu ni du Diable.
Puis vinrent l’ordinateur, les programmes, les algorithmes de plus en plus complexes. Enfin le GPT-3 (Generative Pre-trained Transformer 3), qui vous écrit n’importe quel texte sur n’importe quel sujet à condition de formuler votre demande, pour l’instant, en anglais. Bientôt, c’est-à-dire demain, plus besoin de journalistes, GPT-3 fait mieux et beaucoup plus vite. Plus besoin de Houellebecq, GPT3 produit sur demande des livres dans le style Houellebecq. Plus besoin de Matisse ou de Kandinsky, l’ordinateur compose des tableaux selon vos désirs. Bientôt, le GPT-3 et autres programmes similaires seront capables de générer de nouveaux auteurs et d’artistes fictifs par milliers. Toutes les professions de l’écrit et de l’art basculent par la capacité de ces algorithmes à produire des textes et images à l’infini.
Il suffit de demander pour recevoir, moyennant finance, l’œuvre que vous souhaitez. Une œuvre qui n’aura plus besoin d’artistes, d’écrivains, de mathématiciens, de scientifiques. Tous ces optimistes, ces génies qu’Arthur Koestler a nommés « les somnambules », se trouveront dévorés par la banale complexité des algorithmes.
Les avocats qui défendront les auteurs et les artistes auront fort à faire !
La création est le moteur qui permet à l’homme de s’ouvrir de nouveaux horizons, de nouvelles possibilités, construire un étage supplémentaire à cette tour de Babel qui existe toujours, même si le premier essai a été un fiasco, pour se projeter plus haut, plus loin.
Depuis que « Deep Blue », le super-ordinateur conçu par IBM, a battu Kasparov aux échecs en 1997 (il y a 25 ans), la vitesse des développements technologiques et leur adaptation à la réflexion humaine augmentent de manière exponentielle.
Les programmes qui corrigent d’autres programmes, conceptualisent des concepts, inventent la nouveauté, proposent puis imposent leurs solutions esthétiques, littéraires, scientifiques, philosophiques, technologiques et pourquoi pas religieuses. Le monde sera parfait, sans défauts, mais l’humanité aura cessé de rêver. Le virtuel sera devenu la réalité.
Afin de parfaire l’illusion, il suffira de déconnecter le citoyen lambda de son environnement au moyen de casque-lunette 3D et le projeter dans un monde imaginaire. Meta y travaille… !
Enfin, les programmes généreront automatiquement le paradis virtuel en 3D. Les gens s’y précipiteront, persuadés qu’il existe… et l’algorithme aura créé Dieu.
