La France face au fléau de la drogue (1/2) – Un marché de prédilection pour les mafias du narcotrafic


PAR YANN LE HOUELLEUR, dans la banlieue de Paris, texte et photos

A l’instar de son voisin la Belgique (où il a été estimé que le business de la drogue représenterait déjà 10% de la population) la France serait-elle déjà devenue un narco-Etat ? Beaucoup d’experts se posent la question tant les affaires, les crimes, les délits dus au commerce des substances pudiquement appelées illicites se multiplient. Dernière affaire en date, qui passionne – non sans un voyeurisme assez répugnant – les foules: le terrible accident survenu sur une route du 77 (département de Seine-et-Marne) qui s’est soldé par un bilan terrifiant: le conducteur d’une voiture, qui n’avait pas souscrit d’assurance auto, n’était autre que Pierre Palmade, un humoriste et comédien dans le vent, qui n’avait pas fait mystère de ses addictions.

Deux familles d’origine turque ont vu leur vie broyée. Ce fut le télescopage, fatidique, invraisemblable, entre deux univers si contradictoires et que rien ne prédestinait à faire «la une» des journaux: un clown (pas si drôle que ça) et des gens simples qui étaient loin d’imaginer les écuries d’Augias auxquelles s’apparentent (à certains égards) ces milieux du spectacle, du show business, où tant d’idoles ont laissé leur vie à cause d’excès qu’elles n’avaient aucune difficulté à s’offrir. Des célébrités qui, de surcroît, se croient autorisées à influencer les électeurs au moment de glisser un bulletin dans l’urne, toujours promptes à nous faire la morale d’un point de vue politique tant elles aiment, en réalité, à courtiser les pouvoirs publics dans un pays où les artistes bénéficient de privilèges plus importants qu’ailleurs. (Le statut des intermittents du spectacle est unique au monde.)

Manque de décence –
Sur une route de campagne, Pierre Palmade, en compagnie de deux escort-boys tenait le volant, de retour d’une boulangerie où il avait voulu se ravitailler après plusieurs nuits de réjouissances non stop. Soudain, le comédien, qui s’était injecté un «produit» une demi-heure auparavant, a dérapé, s’embrayant dans une automobile qui roulait en sens inverse. Ce fut une boucherie. Les analyses effectuées par la police ont révélé des taux d’alcool et des traces de stupéfiants vertigineux. A maintes reprises, Palmade avait décrit lors d’interviews télévisées, les facettes sombres de sa personnalité, à savoir ses addictions et l’impossibilité de s’envoyer en l’air sans que cela se fasse de pair avec le recours à des produits euphorisants accompagnés de bonnes bouteilles d’alcool. On le disait «fragile», «écorché vif», mais dans un monde où les entreprises mettent toujours davantage la pression sur leurs cadres, dans un monde où la précarisation avance à grand pas, les grands artistes ne manquent-ils pas de décence quand ils étalent leurs déconvenues sur la place publique? Par contre, l’écorché vif qu’est Pierre Palmade a bousillé à tout jamais deux familles d’immigrés turcs qui travaillaient durement au profit de la société française. Mila, une femme enceinte, a perdu son bébé ; Yuksel, un honorable maçon, a subi de multiples fractures et il ne pourra plus jamais travailler; Devrin, fils de Yulsel âgé de six ans, sorti du coma mais toujours dans un état grave, ne remarchera peut-être plus jamais. Mis en examen pour “homicide et blessures involontaires aggravés par usage de stupéfiants”, Pierre Palmade a aussitôt bénéficié d’un traitement judiciaire considéré comme un régime de faveur par de nombreux juristes et avocats: Il a été assigné à résidence à l’Hôpital Paul Brousse, dont le service addictologie fonctionne à plein régime. Vingt lits en permanence pris d’assaut, où la demande est très forte.


La nébuleuse politique – C’est dire si la drogue, dans toutes les classes sociales provoque des ravages puisque, partout en France, les spécialistes dans le traitement de ce fléau sont débordés. Dernier dénouement en date: Palmade a fait un AVC juste avant d’être entendu par les juges. Des experts ont expliqué que la prise excessive de cocaïne mais aussi de drogues de synthèses exposent les consommateurs à des AVC car «elles provoquent une dilatation excessive des vaisseaux».

Ce qui a le plus choqué les journalistes et animateurs d’émission de télé qui prennent la liberté de s’exprimer ouvertement sur d’aussi graves questions, c’est le silence dans lequel se sont emmurés les célébrités du monde du show business, dont on sait que certaines ont le nez enfariné. Plusieurs vedettes en sont carrément mortes. Parmi les journalistes les plus courageux qui ont relevé ce mutisme assourdissant: Pascal Praud, qui présente – rien que ça! – trois émissions quotidiennes, dont deux sur la chaîne d’info en continu «CNews», laquelle a pris l’habitude de soulever des sujets que tant de médias mettent sous le tapis.

Le milieu du show business et des artistes de renom, tout comme celui de la publicité et de la télévision, ont longtemps eu la réputation d’être les bastions de ce qu’on appelle les «substances illicites». Quant à la sphère politique, on peut se poser bien des questions, mais les secrets sont bien gardés. Il suffit d’observer quelques détails, parmi certains hauts dirigeants, pour deviner que la drogue a investi à large échelle la nébuleuse politique. Regardez les yeux tout à la fois globuleux et striés de lueurs tranchantes de certains élus investis de responsabilités écrasantes. Observez certains d’entre eux frôler à maintes reprises, de leurs doigts, leurs narines. Ecoutez-les s’adresser à leurs interlocuteurs en montant sur leurs grands chevaux dès que la moindre contradiction leur est opposée. S’estimant blessés, ils s’embarquent dans des déclarations peu cohérentes où perce un brin de paranoïa. Un addict à la cocaïne, souvent, se croit tout permis, désinhibé et des plus égocentriques.

Un médecin interlope – L’auteur de cet article a connu un médecin généraliste, qui recevait ses patients, plutôt haut de gamme – mais aussi ses amants – à deux pas du Louvre. Des livreurs d’un genre très particulier lui apportaient des petits sachets d’un gramme… Il était si gourmand en « chems » (produits chimiques) qu’il lui arrivait même de s’injecter de la drogue entre deux consultations. Un après-midi, le très « respectable » médecin est sorti de son cabinet pour constater qu’un de ses patients ne s’était pas présenté à l’heure dite. Il était saisi de tremblements incessants, un filet de bave s’échappait de ses lèvres, il s’exprimait de manière hachée, la voie rauque. Et pris d’une rage incontrôlable, il s’est mis à donner des coups de pied dans une table et il a fait la morale à ses patients assis dans de confortables fauteuils, en train de lire Paris Match ou Marie-Claire. «J’en ai marre de vous tous qui me prenez pour un pitre en arrivant à l’heure que vous voulez». Certains « visiteurs », éberlués et choqués, ont aussitôt pris la poudre ( !) d’escampette.


Ce médecin était vraiment interlope. Lors d’une consultation pris d’un accès de folie, il a injecté une dose de 3mmc (une drogue de synthèse) à un patient et lui a dit : « Vous allez voir le bien que ça va vous faire…). Par la suite, j’ai appris les plus abominables «choses» à son sujet. Il était tombé amoureux d’un jeune homme, à la frimousse avantageuse, très fragile psychiquement, qui ruiné par ses addictions avaient pris l’habitude de souper dans les locaux d’une association spécialisée dans l’assistance aux personnes fragilisées par le HIV. Le médecin si pervers passait de longues heures en sa compagnie, lui offrant de la coke à gogo pour mieux partager des fantasmes communs. Mais ce généraliste n’était pas si magnanime que ça; son partenaire le dédommageait en lui tendant sa carte Vitale à chaque «session». Ainsi ces hallucinantes sauteries étaient-elles financées, un comble, par la Sécurité sociale. (La carte Vitale est une carte à puce au format carte de crédit permettant de justifier les droits du titulaire de sécurité sociale des dépenses de santé en France.)

Le plus triste, dans toute cette affaire : le beau jeune homme dont le médecin psychopathe vieillissant était tombé amoureux et qui lui avait mis le fil de la coke à la patte pour mieux se prémunir contre une éventuelle échappée belle a fini par mourir d’une … overdose, chez lui, un soir de blues, en s’injectant une trop forte quantité de cette redoutable substance.

Mais revenons sur les liens troubles et pourtant bien réel qu’entretiennent des politiciens avec le business de la drogue. Parmi les témoignages que j’ai recueillis tout à fait par hasard, sans intention aucune d’élaborer un reportage ou d’écrire un bouquin, il y a celui-ci: un(e) candidat(e) à une élection quelconque avec laquelle j’avais noué des relations de confiance éphémères m’avait fait cette confidence: «j’ai travaillé pendant plusieurs années comme haut cadre dans un ministère. Mes supérieurs me demandaient d’aller porter, ici et là, des enveloppes dont je me suis aperçu qu’elles étaient pleines de billets de banque et de… cocaïne.»

Acheter la paix sociale – Je ne puis révéler le nom de cette politicienne, tombée en disgrâce, sans me risquer à un procès.

Il ne fait aucun mystère que quarante ans auparavant, un certain ministre de l’Intérieur (qu’elle connaissait bien), face aux troubles sociaux qui s’intensifiait dans les banlieues, avait trouvé la parade: réduire des taux de chômage qui dans certaines cités atteignaient 30 à 40 %. Le narcotrafic a été une variable d’ajustement pour apaiser une situation sociale devenue explosive. Acheter la paix sociale: telle a toujours été l’obsession des politiciens, en France.

Or, ces dernières semaines, bien avant l’affaire Palmade, des «faits divers» ont alerté le petit monde journalistique par ailleurs bien ligoté par l’hydre des politiques qui régulièrement flirtent avec la prétendue crème du journalisme lors de dîners fastueux organisés par Le Siècle, un club élitiste fondé en 1944.

«Petit événement local»: l’an dernier, le maire d’une petite ville de Normandie a été inquiété par la Justice, soupçonné d’avoir accordé des faveurs à des barons de la drogue locale. Certains vont jusqu’à s’étonner qu’un ancien premier ministre soit devenu le maire, adulé par ses administrés, d’une ville portuaire où des bateaux géants débarquent des containers en provenance du monde entier, à commencer par l’Amérique latine. Avant de s’installer à Paris. Un ami qui a travaillé pour les Pompes funèbres habitait une ville taille moyenne située aux confins de l’Ile-de-France. «Le maire en avait assez des voyous qui, venus des HLM (habitations à loyers modérés) semaient la zizanie dans le centre de ville en contrebas. Alors, il a convoqué les leaders du trafic sur les hauteurs de la ville et il leur a dit: « ok, je vous fiche la paix et vous pouvez faire ce que vous voulez dans vos quartier si vous renoncez à mettre le bazar dans le centre ville car mes électeurs, à commencer par les commerçants, commencent à en avoir assez».

CHIFFRE D’AFFAIRES EN PLEIN BOOM – Il ne fait aucun doute que ces témoignages et « anecdotes » sont à peine la face immergée d’un iceberg qu’aucune vocifération ou récrimination du ministre de l’Intérieur ne suffira à faire fondre. Plus important pays d’Europe, après l’Allemagne, la France est un marché de prédilection pour les mafias du narcotrafic qui disposent d’un potentiel de croissance vertigineux. En réalité, a relevé le quotidien “Les Echos”, le chiffre d’affaires réalisé par «l’industrie» de la drogue en France en 2020 (l’année du confinement) a dépassé, de très loin, celui de l’édition de livres: 4,2 milliards d’euros. Pêle-mêle: cannabis, cocaïne, héroïne, crack et autres produits stupéfiants. C’est en tout cas 7% de plus que l’année précédente et surtout deux fois davantage qu’en 2009 (2,08 milliards. Malgré l’intensification des contrôles routiers le long des routes et autoroutes, malgré l’intention affichée par le ministre de l’Intérieur Darmanin de combattre sans relâche le narcotrafic, malgré des prises (dans les ports, notamment) record de produits stupéfiants, d’armements et même d’articles de contrefaçon, les hommes d’affaires dans la filière de la drogue ont encore de très beaux jours devant eux.

(à suivre)

Tags: , , , , ,

Un commentaire à “La France face au fléau de la drogue (1/2) – Un marché de prédilection pour les mafias du narcotrafic”

  1. Laurette Heim 27 février 2023 at 21:07 #

    Merci Yann Le Houelleur pour cet article éclairant notamment le cynisme des calculs politiciens.

    Pour compléter cette réflexion, je propose mon analyse du dernier essai (édition BFMTV, Paris 2023) d’une sociologue fraaannnçaise…Roselyne Bachelot.

    L’interview de cette chercheuse https://twitter.com/i/status/1629899411600932867 que je pourrais intituler “Martine analyse le traitement médiatique de l’affaire Palmade”, démontre tout d’abord une recherche scientifique extrêmement complexe et pointue.

    Succinctement, et pour donner l’eau à la bouche aux lecteurs, la sociologue dissèque l’affaire adroitement en 4 points distincts.
    Il y est question de la haine des riches et des milliardaires, du sous-texte du racisme et de la haine de l’autre (dont « on » se délecte…détaille-t-elle finement), d’un problème de justice qui n’est pas la même pour tous et qui favoriserait les riches et enfin, d’une crainte, ou d’un sentiment, que tout augmente dans les supermarchés, sauf la cocaïne…

    Ce passionnant, et sourcé, travail professionnel, irréfutable en l’état actuel de la science, est couronné d’une synthèse que j’ose dire magistrale. Martine … Roselyne conclut en effet “Tout cela dit des choses très fortes sur la société d’aujourd’hui…”

    Je formulerais toutefois une critique à cet essai. Elle semble en effet épargner dans sa recherche actuelle, de manière tout à fait incompréhensible pour l’instant, deux aspects fondamentaux, à savoir l’antisémitisme et le complotisme. Nonobstant, je gage qu’elle les analysera très prochainement dans son tome II. Affaire à suivre.

Laisser un commentaire

Les commentaires sous pseudonyme ne seront pas acceptés sur la Méduse, veuillez utiliser votre vrai nom.

Mentions légales - Autorenrechte

Les droits d'utilisation des textes sur www.lameduse.ch restent propriété des auteurs, à moins qu'il n'en soit fait mention autrement. Les textes ne peuvent pas être copiés ou utilisés à des fins commerciales sans l'assentiment des auteurs.

Die Autorenrechte an den Texten auf www.lameduse.ch liegen bei den Autoren, falls dies nicht anders vermerkt ist. Die Texte dûrfen ohne die ausdrûckliche Zustimmung der Autoren nicht kopiert oder fûr kommerzielle Zwecke gebraucht werden.