Expositions – La romancière Colette, une femme libre


PAR PIERRE JEANNERET

Si vous passez par le pied du Jura vaudois, aux pentes ensoleillées, ne manquez pas de vous arrêter à la Fondation Jan Michalski pour l’écriture et la littérature, à l’entrée de Montricher en venant de L’Isle. Cette fondation a été créée par Vera Michalski-Hoffmann, une grande mécène, en souvenir de son mari trop tôt disparu. C’est à la fois une résidence d’écrivain-e-s, une impressionnante bibliothèque sur cinq niveaux, un auditorium, une salle d’exposition et une cafétéria sympathique.

D’abord, l’architecture du site, très inventive, vous surprendra ! Achevée en 2017, sa construction est l’œuvre de nombreux architectes, dont les principaux sont Vincent Mangeat et Pierre Zwahlen. On remarquera particulièrement le toit ajouré qui fait penser à une peinture de Joan Miró, et les « cabanes suspendues » où résident les écrivains invités, un peu comme les cellules d’un cloître propice à l’écriture.

Mais concentrons-nous sur l’exposition actuelle, qui commémore le cent cinquantième anniversaire de la naissance de Sidonie-Gabrielle Colette, dite Colette (1873-1954). Livres, photos, manuscrits, lettres, portraits et affiches de théâtre ou de films, relatent la vie de cette femme libre, dont on peut dire qu’elle fut le lien entre George Sand au XIXe et Simone de Beauvoir au XXe siècle. Colette fut à la fois romancière, comédienne de music-hall, journaliste, publiciste et même créatrice de produits de beauté ! Son slogan était « je veux faire ce que je veux ». Ainsi, elle fut la première, ô scandale, à montrer un sein nu sur scène, en 1907 au Moulin-Rouge. Elle affichait ouvertement sa longue liaison homosexuelle avec Mathilde de Morny, dite Missy (la fille du demi-frère et ministre de Napoléon III). Elle eut aussi successivement trois maris. Sa vie « dissolue » fit qu’à sa mort, et malgré des obsèques nationales – les premières accordées à une femme – Mgr Feltin, archevêque de Paris, refusa à sa dépouille funèbre les pompes de l’Église catholique.

Son premier époux exploita outrageusement son talent, en signant de son nom, Willy, Claudine à l’école et la série éponyme écrites par elle. Elle divorcera finalement en 1910 et signera de son seul nom de plume Colette. En 1909 parut L’ingénue libertine, un roman très audacieux pour l’époque. Une femme osait évoquer le désir sexuel féminin, qui était alors un véritable tabou. Puis ce seront d’autres romans célèbres et lus par un très large public, comme Chéri ou Le blé en herbe. Longtemps méprisée ou ostracisée en tant qu’écrivain femme considérée comme scandaleuse, elle ne fut pas élue à l’Académie française. En revanche, elle présida le jury du Prix Goncourt, et ses œuvres, qui furent portées sur scène puis à l’écran, font aujourd’hui partie de la prestigieuse collection de la Pléiade. Mais on les trouve aussi partout en livre de poche.

Colette ne fut pas qu’une pionnière de la liberté féminine… bien qu’elle s’opposât aux suffragettes. Elle avait gardé un beau souvenir de son enfance en Bourgogne (dont elle avait conservé le savoureux accent). Elle fut adorée par sa mère Sido, une féministe et athée convaincue. Elle était habitée par l’amour de la nature, des plantes et des fleurs, des animaux : « Je ne sais faire parler que les bêtes ». En cela, on peut dire qu’elle fut une écologiste avant la lettre.

L’exposition montre donc tous les aspects de cette vie hors du commun, celle d’une femme libre et indépendante, d’une écrivaine de grand talent, en même temps que d’un personnage redoutable en affaires. On en sort avec l’envie de lire ou de relire ses romans !

«Colette. Ecrire, pouvoir écrire», Fondation Jan Michalski, Montricher, jusqu’au 14 avril 2023.

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