Le climat insurrectionnel se poursuit dans la violence au Pérou


PAR PIERRE ROTTET, Lima

« Justicia, justicia, Boluarte fuera »… Justice, Boluarte dégage ! Devant des citoyens pour la plupart abasourdis du déferlement de haine et de violence des forces dites de l’ordre en ce samedi 4 mars dans le quartier touristique de Miraflores, à Lima, les rambos ont frappé une fois de plus sans discernement femmes, hommes et mêmes vieillards. Tous descendus des cimes et des hautes plateaux pour protester pacifiquement. Exiger justice. Et la reconnaissance des peuples indigènes de ce pays, discriminés depuis l’indépendance du Pérou. Les invisibles d’une société raciste et omnipotente aujourd’hui en rébellion.

Il était près de 17 heures, samedi à Miraflores, lorsque des centaines de personnes venues manifester paisiblement au moyen de leur seule voix contre la présidente Boluarte et réclamer notamment de nouvelles élections, ont dû à une fuite tous azimzuts de ne pas succomber à l’assaut d’une violence inouïe. Echappant de fait, mais pas tous, au massacre des robots déguisés en flics de la police nationale au service du seul pouvoir de Dina Boluarte et du président du Conseil des ministres, Alberto Otarola. Le bras de la droite qui dicte « la ligne pure et dure » d’un gouvernement de moins en moins légitime aux yeux des citoyens.

Quelques centaines de personnes, détachées du gros de la troupe des manifestants, essentiellement groupés dans le vieux Lima depuis près de 3 mois maintenant, sont arrivées dans le quartier cossu de Miraflores. Elles n’iront pas plus loin, sauvagement prises en tenaille par les rambos de service. Si la majorité a réussi à trouver prendre la poudre d’escampette, un autre petit groupe, dont beaucoup de personnes âgées, qui leurs ponchos sur les épaules, qui dans leurs polleras traditionnelles de la région de Puno, n’ont pu éviter les matraques qui s’abattaient sur elles, sans discernement aucun, là où le bras vengeur des flics trouvait corps pour aller buter.

Deux à trois personnes furent embarquées, selon les témoins, dont Infoméduse, malgré la résistance des manifestants.

Une scène de guerre ! Loin de l’Ukraine. Infoméduse les a regardés dans les yeux, ces hommes habillés en roboCop, qui frappaient et frappaient pour obéir aux ordres. Et derrière leurs visières, apparaissaient des visages qui ne devaient guère aller au-delà des 20 ans, pour certains. Des jeunes, entraînés à frapper, blesser voire tuer sans état d’âme. Au milieu de cette désolation, une vieille femme, seule et hagarde dans cette avenue désormais nettoyée des rebelles venus briser la quiétude du lieu, le ronron quotidien, pleurait de toutes ses larmes. Elle pleurait pour contenir la douleur de la matraque qui venait de s’abattre sur sa tête. Peut-être aussi parce que le coup porté contre elle venait de l’un des enfants natif de sa propre terre !

Vers 18 heures, les commerçants, à moitié rassurés, remontaient les stores des boutiques et des magasins. Les restaurants réinstallaient leurs terrasses. Le calme était revenu.

Revenu ? La Calle Berlin, elle, fait tout pour l’éviter le calme, avec ses bars, ses discos et restos dans l’abondance et la déferlante de lumières flamboyantes et de sons de musiques dont la qualité se mesure au nombre de décibels. La jeunesse d’orée de Lima, et celle un peu moins y retrouvait la fièvre du samedi soir. Bien loin, très loin de ce Pérou qui brûle pourtant. Brûle et glisse lentement vers une dictature pour écraser une rébellion que nombre d’observateurs considèrent comme irréversible.

Saisissante et abrupte réalité de deux mondes qui s’ignorent dans ce pays. Irréconciliable sans doute !

« Tant que réparation n’aura pas été faite au peuple indigène, à qui fut volé son vote de 2021 en faveur du candidat élu président contre vents et marées, Pedro Castillo, embastillé, la contestation s’amplifiera et se poursuivra. Boluarte et son mauvais génie de conseiller Alberto Otarola, auraient bien tort de tabler sur un essoufflement du peuple », me glisse un voisin, étranger aux manifestants, mais visiblement sympathisant de ces derniers.

Les faits semblent lui donner raison. Pendant qu’à Lima les échauffourées tournaient à la violence de la Police nationale aux ordres d’un pouvoir qui glisse lentement mais sûrement vers une dangereuse dérive, à plusieurs milliers de kilomètres, Puno et sa population aymara poursuivent leur combat pour chasser de la région de l’altiplano les militaires abondamment armés. Le siège du pouvoir judiciaire de la région de Juli a été incendié ce week-end sous le feu nourri des bombes lacrymogènes et de l’usage d’armes à feu par les militaires.

Selon « La Republica », la militarisation de la région de Puno a pour conséquence non seulement la mort de civils, mais également de militaires. Dimanche après-midi, plusieurs soldats ont tenté de passer d’une berge à l’autre du rio Llave, sur ordre de leurs supérieurs. Deux militaires auraient ainsi péri, noyés. Plusieurs autres, plus chanceux, ont été secourus par les mêmes aymaras qu’ils répriment.

Interrogé à Lima sur la responsabilité du gouvernement à propos des nombreuses victimes de la répression en cours depuis le 7 décembre au Pérou, le président du Conseil des ministres, l’inévitable Otarola, botte en touche : « que les militaires répondent ».

Aux abois, le gouvernement vient d’édicter des règles destinées à la presse, interdisant à cette dernière de se mêler aux groupes de contestation sous prétexte de protéger les journalistes qui font encore leur boulot en se passant de l’aval des autorités. Une décision sous forme de censure, en réalité, aussitôt repoussée par le Conseil de la presse péruvien. Quant à la présidente Boluarte, ne sachant plus à quel saint se vouer, sinon à ses “matones”, elle promet « une meilleure vie à la région de Puno et à ses habitants». La fuite en avant du Pouvoir!

Le week-end dernier à Lima, les rambos ont frappé une fois de plus. Photo R.

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