Tribune libre – L’OTAN, c’est toujours plus «garder les Russes à l’extérieur, les Américains à l’intérieur et les Allemands sous tutelle»


L’OTAN voit le jour le 4 avril 1949 dans le contexte général des débuts de la Guerre froide et plus spécifiquement pendant le blocus de Berlin exercé par les Soviétiques. Elle a pour vocation initiale, selon l’exposé des motifs, d’assurer la sécurité de l’Europe occidentale en instaurant un couplage fort avec les États-Unis, seul moyen aux yeux des Européens de se prémunir contre toute tentative expansionniste de l’Union soviétique. Selon le mot de son premier Secrétaire général, Lord Ismay, le rôle de l’OTAN consiste à « garder les Russes à l’extérieur, les Américains à l’intérieur et les Allemands sous tutelle ». 

En 1989, le monde ébahi assiste en direct à la chute du mur de Berlin et, en 1991, à l’implosion de l’Union soviétique, à la dissolution de l’Armée rouge et à l’abrogation du Pacte de Varsovie conclu entre l’URSS et ses satellites (Pologne, Roumanie, Hongrie, Tchécoslovaquie, Allemagne de l’Est, Bulgarie, Pays Baltes). La fin de ladite « Guerre froide » était actée et, sauf à considérer les intérêts hégémoniques de l’impérialisme US, les raisons de maintenir l’Alliance atlantique (OTAN) étaient logiquement remises en cause. Dans les faits, non seulement l’OTAN n’a pas été démantelée, mais elle a été renforcée et étendue aux nouvelles « démocraties » de l’Est européen par ailleurs toutes courtisées par l’Union européenne, laquelle, aux ordres de l’Oncle Sam, a en revanche ostensiblement tourné le dos à la Russie. Pourtant, les richesses en gaz et en hydrocarbures réputées inépuisables de la Russie attisent bien des convoitises. Sans parler de celles de l’Ukraine, agricoles d’abord, qui s’ajoutent à sa position géostratégique : un immense territoire à la frontière de la Russie, une voie incontournable d’exportation pour le gaz et le pétrole russe vers l’Europe occidentale (une fois Nord Stream 1 et 2 anéantis).

Enjeu pétrolier majeur

Tout cela en fait un enjeu capital dans la région. Aussi, pas étonnant que l’UE et les USA aient salué la « révolution orange » de 2004 et les manifestations dites de « l’Euromaïdan » de novembre et décembre 2013. Deux événements indissociables de la décision prise par les États-Unis en 1991 déjà (implosion de l’URSS), de consacrer immédiatement un peu plus de cinq milliards de dollars destinés à faciliter l’instauration du libéralisme économique en Ukraine en provoquant notamment un rapprochement politique de Kiev avec l’UE et l’OTAN.

Quels que soient les facteurs et événements qui ont conduit à la guerre en Ukraine, il convient de condamner sans réserve son invasion par la Russie. Que Poutine soit un criminel et que son régime porte l’essentiel de la responsabilité des morts et blessés russes comme ukrainiens depuis février 2022, ne fait aucun doute. Pour autant, ignorer la part de responsabilité de l’OTAN et singulièrement de la politique extérieure d’ingérence des États-Unis reviendrait à se rendre complice de Biden lorsqu’il déclarait en avril 2022 vouloir « mettre la Russie à genoux ». Une formule qui en rappelle étrangement une autre lorsque George W. Bush déclarait vouloir « renvoyer l’Irak à l’âge de pierre ». Comme toutes celles qui l’ont précédée, la guerre en Ukraine est une guerre impérialiste sous-tendue par le besoin de contrôler le marché mondial des hydrocarbures (comme en Irak et en Libye) et celui de préserver l’hégémonie vacillante de l’impérialisme US. La thèse qui consiste à la présenter comme le produit du seul cerveau malade d’un autocrate grand-russe du nom de Poutine est au mieux une erreur d’appréciation, au pire un prétexte fallacieux propre à justifier la poursuite du massacre. 

Stupeur en mer Baltique

Le 26 septembre 2022, les gazoducs Nord Stream 1 et 2 se déchirent à 70 mètres de fond sous l’effet d’une explosion. Aussitôt, la presse officielle aux ordres se déchaîne et désigne le coupable : «c’est la Russie, c’est Poutine qui est à l’origine du sabotage». Catégorique, sans la moindre preuve, même pas un indice, la clique médiatique distille sa propagande. Elle glose. À la seule question pertinente qu’il convient de poser en pareil cas : « à qui profite le crime ? », elle répond en se dérobant par un passage en revue des hypothèses les plus farfelues. Convoqués pour l’occasion, ses «experts en expertises» déploient leurs écrans de fumée et quand l’hypothèse d’un acte perpétré par les États-Unis est évoquée, celle-ci est aussitôt écartée. Jamais les USA, siège de l’ONU, prétendus garants du «droit international» et principale puissance de l’OTAN, ne feraient cela. Et pourtant, comme disait un célèbre révolutionnaire russe, les faits sont têtus. Leur obstination nous rappelle notamment les mensonges grossiers étalés à la face du monde par le secrétaire d’État à la défense US, Colin Powell qui, en parfaite violation du pompeux «droit international» a brandi une fiole de parfum devant l’assemblée générale de l’ONU pour prétendre prouver la détention par Saddam Hussein d’armes de destruction massive prétexte à justifier l’invasion brutale de l’Irak par les États-Unis et ses affidés, tous «d’honorables» membres de l’OTAN.

Pour ce qui concerne l’approvisionnement énergétique de l’Allemagne, là encore, les faits sont implacables. Ils nous rappellent sans détour les objections et reproches présentés tant par Barak Obama que Donald Trump ou Jo Biden à la Chancelière allemande Angela Merkel eu égard aux nombreux accords commerciaux qu’elle a conclu avec la Russie de Poutine au cours de ses deux derniers mandats. Tous trois ont à de nombreuses reprises brandi le chiffon rouge en marquant ostensiblement leur opposition à l’approvisionnement de l’Allemagne en gaz à bon marché directement importé de Russie. Un rapprochement commercial et stratégique intolérable pour l’Administration US et les multinationales dont elle représente les intérêts. Une trahison de la part de la plus américanisée des nations européennes. Le 12 février 2022, douze jours avant l’entrée des premières troupes russes en Ukraine, Biden déclarait : «Si la Russie envahit l’Ukraine (…) il n’y aura plus de Nord Stream 2. Nous y mettrons fin». 

Seymour Hersch, “vieillard gâteux”?

Le 7 mars, alors qu’une première batterie de sanctions économiques étaient décidées par l’Occident, notoirement l’UE, pour tenter d’étouffer l’économie russe, l’Allemagne, excluant toute perspective d’embargo sur ses importations de gaz et de pétrole russe, a tout de suite annoncé la couleur. Malgré la guerre, malgré les oukases de Washington, ses relations commerciales avec Gazprom devaient être maintenues. Ce choix souverain de l’Allemagne de protéger sa propre économie passe donc par la poursuite d’un écoulement ininterrompu de gaz russe dans les tubes immergés de Nord Stream 1&2. Une souveraineté qui cadre mal avec la doxa fondatrice de l’OTAN déjà mentionnée et remarquablement définie par son premier Secrétaire général, le très british Hastings Lionel Ismay : «garder les Russes à l’extérieur, les Américains à l’intérieur et les Allemands sous tutelle». Se pourrait-il que l’Allemande de l’Est, Madame Merkel, ait sous-estimé la portée de ses choix économiques en matière d’approvisionnement énergétique tout comme elle aurait sous-estimé celle des mises en garde réitérées par les locataires démocrates comme républicain de la Maison-Blanche ?

À en croire les révélations du journaliste d’investigation, prix Pulitzer, Seymour Hersh, on serait plus que tenté de le penser. Star du journalisme aux États-Unis et dans le monde, Seymour Hersh a révélé les atrocités commises par l’armée US dans le village de My Lai au Vietnam, couvert le scandale du Watergate qui a conduit à la démission de Nixon et obtenu sept des prix les plus prestigieux décernés au journalisme d’investigation. Son enquête et ses révélations sur la responsabilité des États-Unis et de la Norvège dans le sabotage de Nord Stream1&2 mettent en pièces l’enfumage et les versions officielles distillées par la presse autorisée et lui valent aujourd’hui d’être rangé au rayon des «complotistes». Le prix à payer pour avoir divulgué le modus operandi du sabotage et désigné son commanditaire, Joe Biden. Une évidence pour tous, le délire d’un vieillard gâteux pour les éditorialistes et médias à la botte des «démocraties occidentales», autrement dit de l’impérialisme US.

Silence assourdissant et aplaventrisme

Que les États-Unis soient à l’origine et aux commandes de cette opération terroriste ne fait aucun doute. Ce qui, par contre interpelle et donne la mesure du rapport de domination exercé par l’Oncle Sam sur l’UE et l’Allemagne en particulier, est le silence assourdissant et «l’aplaventrisme» sidérant des États européens devant l’évidence de cette attaque. Il s’agit tout de même d’un acte de guerre commis par des membres de l’OTAN contre les intérêts stratégiques et économiques d’autres nations de l’Alliance, et pas des moindres. L’Allemagne certes, mais pas seulement puisque nous savons que «derrière Nord Stream, un consortium basé à Zoug, se cache un projet pharaonique de 7,4 milliards d’euros (8,6 milliards de francs), destiné à livrer à terme 55 milliards de mètres cubes de gaz russe à l’Europe de l’Ouest via la mer Baltique. Les auteurs du projet – le consortium Nord Stream dominé par le géant gazier russe Gazprom (51%) avec les allemands BASF et Eon (20% chacun), le néerlandais Gasunie (9%) et le français GDF SUEZ – cherchent à contourner les pays de transit à problème que sont l’Ukraine et la Biélorussie» (Le Temps, novembre 2011).

Les travailleurs et peuples d’Europe, de Russie, mais également d’Afrique, paient très cher la guerre en Ukraine et toutes les guerres d’appropriation et de domination pour le contrôle des ressources fossiles gazières et d’hydrocarbures en général. Ils paient également un tribut extrêmement élevé à la manipulation de l’information, aux mensonges et à tous les moyens idéologiques et politiques mis en œuvre pour justifier le surgissement de guerres d’apparence vertueuse motivées par de soi-disant valeurs morales, elles-mêmes consignées dans les articles du prétendu «Droit international».

Aujourd’hui, pour tenter de pallier les contradictions inhérentes au régime fondé sur la propriété privée des moyens de production, la guerre, une fois de plus, se profile comme le moyen par excellence de terroriser les peuples et de différer provisoirement, et quel qu’en soit le prix, l’effondrement du désordre impérialiste. C’est dans ce contexte que les États-Unis, avec leurs «amis» de l’OTAN, du Japon, d’Australie et des Philippines, préparent la guerre contre la Chine.

Michel Zimmermann, militant ouvrier, Genève

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