Militaires morts noyés au Pérou, “personne ne leur lançait rien”, encore moins des noisettes…


PAR PIERRE ROTTET, Lima

Dans son dernier article sur la rébellion des indigènes péruviens, Infoméduse faisait état de la mort «de plusieurs soldats», qui tentaient dimanche après-midi « de passer d’une berge à l’autre du rio Llave (Puno), sur ordre de leurs supérieurs. Deux militaires auraient ainsi péri, noyés. Plusieurs autres, plus chanceux, ont été secourus par les mêmes aymaras qu’ils répriment », rapportait alors Infoméduse. Un drame confirmé dans la soirée, mais avec le décès par noyade de 6 militaires.

Des faits rapportés le lendemain lundi, notamment par trois quotidiens de Lima, «Peru 21», «La Razon» deux médias proches du pouvoir fujimoriste et des milieux d’affaires, et «La Republica», à vocation plus sociale dans sa ligne rédactionnelle. Lequel titrait lundi : «Puno, un ordre militaire conduit 6 soldats à la mort dans le rio Llave»«  ».

Sur les lieux des faits, le reporter de « La Republica » a été le témoin des événements, au moment où les « comuneros » aymaras obtinrent d’une patrouille de l’armée prétendant se rendre à Juli (ndr dans le Département de Puno) qu’elle s’en retourne dans sa caserne de Llave, d’où elle était sortie, écrit  “La Republica” dans son accroche. “Sur ordre de leurs supérieurs, ils ont franchi le rio Llave”, rapporte le reporter du quotidien, citant comme source “des effectifs de l’armée qui survécurent au drame”.

A la «une» aussi de ce qu’il faut bien appeler «un journal», le quotidien «Peru 21», porte-parole des pouvoirs occultes, titrait lundi (photo PR ci-dessous): « Six soldats se noient à la suite de violences, de jets de pierres et de noisettes lancés contre les soldats, les obligeant à traverser le fleuve ». A coups de noisettes ? Il aura donc suffit quelques tirs groupés de noisettes pour faire fuir des soldats de « l’ejército peruano » pourtant armés jusqu’aux dents ? La rébellion indigène, dit en passant, a de beaux jours devant elle. Et l’armée du Pérou, avec sa bien mal nommée « marina de guerra », pas mal de soucis à se faire….

Sans parler des lecteurs et de l’opinion publique, lecteurs de ce…

A la « Une » également, de ce qu’il convient également et malheureusement de nommer un « journal », le bien mal nommé « La Razon », aux mains des milieux d’affaires et du clan fujimoriste, titrait, lui, en ce lundi (photo PR ci-dessous): « Des terroristes » (ndr : traduction pour désigner les manifestants indigènes qualifiés de « terroristes » ou d’ennemis du Pérou par de nombreux médias écrits et télévisuels) et le gouvernement tuent des soldats ».

Plus que jamais, la rebellion des indigènes péruviens donne aujourd’hui la mesure du fossé entre informations et manipulations, certains médias péruviens étant passés maîtres dans l’art de l’odieux pour bafouer les faits et travestir la vérité dans une dangereuse escalade. Ce faisant, ils poussent les Péruviens à la zizanie. A la haine. Un matraquage contre les indigènes de la terre ancestrale du Pérou. De cet autre Pérou que celui de Lima !

Mardi, le père de l’un des militaires morts noyés, Samuel Canaza Espinoza, cité par le collaborateur de « La Republica » Liubomir Fernandez, à notre connaissance l’unique journaliste de la presse écrite sur place au moment des faits, rendait responsable la présidente péruvienne Dina Boluarte, en sa qualité de cheffe des armées.

Mercredi, le jounaliste Fernandez apportait des précisions qui ne feront en rien revenir sur leurs « unes » « Peru 21 » et La Razon » : Interrogé, un militaire rescapé, tiré des flots du fleuve par des campesinos aymaras, assure que c’est bel et bien leur capitaine, Josué Frisancho-Lazo, qui a donné l’ordre à sa troupe de franchir le fleuve. “Beaucoup d’entre-nous ne savaient pas nager. Ils se sont noyés en raison du poids du sac à dos”. Et le témoin d’ajouter : « Rien ne pourrait d’ailleurs se faire sans l’ordre du chef de la patrouille ».

Ce capitaine, rapportent à Infoméduse des sources bien informées, a plusieurs dénonciations à son passif. La première en 2020, pour le viol d’une jeune aymara ; la seconde, pour « violence physique et psychologique sur son épouse. Selon « El Comercio », ce gradé est actuellement supposément sous le coup d’une enquête menée par l’armée pour sa responsabilité dans la mort des soldats.

Un autre témoin clé, cité par « La Republica », histoire de ridiculiser d’avantage encore, si besoin était, les « journaux-poubelles » (définition de poubelle selon le Larousse avant la notion du triage des déchets : récipient destiné à recevoir des déchets domestiques), « Peru 21 » et « La Razon », les comuneros aymaras n’ont en aucun cas obligé les militaires à traverser le rio. Un groupe de personnes appartenant à l’ethnie aymara, en lutte avec leurs frères quechua, observait de loin la scène du drame. Ces femmes et ces hommes sont catégoriques: « Personne ne leur lançait rien ». Et encore moins des noisettes…

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