La France face au fléau de la drogue (2/2) – Des affaires en or et tant de vies brisées


PAR YANN LE HOUELLEUR, dans la banlieue de Paris

Trois semaines après un drame qui a fait couler autant d’encre que de sang, un drame « appelé l’affaire Palmade », les médias continuent de se pencher sur cet accident qui a envoyé à l’hôpital toute une famille, d’origine turque, brisée à tout jamais. Egalement entre les mains des médecins et chirurgiens : le coupable de cet accident sur une route de la Seine-et-Marne, en l’occurrence Pierre Palmade. lui aussi, amoindri par un AVC qui a nécessité une intervention chirurgicale.

Beaucoup de citoyens se posent la question suivante : « Pourquoi une telle tolérance de la part des autorités judiciaires qui se refusent à incarcérer malgré tout Pierre Palmade ? » Discrètement, des hypothèses éclatent à fleur de lèvres : « Le comédien et prétendu clown connaissait comme sa poche le sulfureux univers de la drogue. Nombre de personnages importants ont participé à des soirées « enfarinées et arrosées » en sa compagnie. Sur Twitter, un réseau social perclus de médisances, sont postées des photos de dîners mondains au cours desquels Palmade était en très bonne compagnie. Il faudrait être déconnecté des réalités pour ignorer que le milieu du spectacle comme celui de la politique carbure à des substances prétendument illicites servies à domicile par un réseau de fournisseurs disponibles 24 h sur 24.

Le Prince de la coke – Il suffit d’écouter les interviews accordées à tout vent par un certain… Gérald Fauré. Fournisseur pendant une vingtaine d’années de stars du show biz, de la jet set, de politiciens (et pas des moindres), il a purgé plusieurs peines de prison. Dernier survivant des grands voyous qui ont tenu le haut du pavé dans les années 1970-1980, il a notamment affirmé que le Pape consommerait… de la poudre. Une allégation qui lui a valu d’être qualifié (une fois de plus) de « complotiste ».

Celui que les médias surnomment « le Prince de la coke » a relaté ses prouesses » dans trois ouvrages. Il s’est également attelé à dénoncer la pédophilie qui, s’acharne-t-il à dire, aurait cours lors de certaines fêtes sataniques pendant lesquelles la coke serait consommée toutes vannes ouvertes. A l’occasion de plusieurs interviews récentes, Gérard Fauré s’est dit convaincu que Pierre Palmade jouit de « protections » : entre autres certaines « sectes sataniques » et cette nébuleuse très influente appelée LGTB.

L’auteur de l’article que vous avez sous les yeux a lui-même recueilli, il y a trois ans, les confidences d’une élue locale, haut cadre au sein d’un ministère, qui passait une bonne partie de son temps à se balader d’un arrondissement de Paris à un autre avec, dans son attaché case, des enveloppes bourrées de billets de banques et de sachets de cocaïne à l’intention de personnalités politiques de premier plan. Récemment, un député affilié à Renaissance (le nouveau nom de la République en Marche, le parti fondé par Emmanuel Macron) a été limogé pour avoir avoué consommer de la coke.

Dessin Yann Le Houelleur, 2023.



Une fête enfarinée et arrosée –  L’affaire Palmade a éclaté alors que le sujet de la consommation de « produits » (théoriquement) prohibés par la loi est intensément débattu sur la place publique. « Curieusement », c’est au moment où les citoyens ont été « incarcérés chez eux » (en France, un confinement en deux temps) que les dealers ont fait des affaires en or comme jamais auparavant. Dans une société en pleine déprime, sans de réelles perspectives, où les pulsions festives prennent le pas sur des comportements plus sages, comment imaginer que les uns et les autres ne goûtent pas à ce péché si peu mignon qu’est la drogue ? D’autant plus qu’en quelques années, par le biais des réseaux sociaux et du dark-web, on se procure aisément, sur le champ, tout ce dont on peut estimer avoir besoin.

Etrange après-midi, dans un quartier populaire de Paris, alors que je dessinais assis à la table d’un chaleureux café répondant au joli nom d’Anémone. Soudain, à la table d’à côté, deux consommateurs très volubiles se lançaient dans une conversation constellée de rires et de propos ironiques. Il s’agissait d’une jeune femme et d’un homme encore jeune qui me regardaient dessiner… attentivement, tant il est inédit de voir un artiste en pleine action. La discussion a dérivé assez vite sur un terrain plus politique. Sitôt son amie partie, le jeune homme, que nous rebaptiserons Luc (pour lui garantir la confidentialité requise) a répondu « Oui » à une question que je me suis permis de lui poser : « Vous avez l’air un peu agité. N’auriez-vous pas ingéré de bien curieuses choses?» Réponse de Luc : « Effectivement, je suis en train de lutter contre mes démons, parmi lesquels la toxicomanie et la boisson.» Et d’ajouter :

Dealers disponibles 24 h sur 24 – « Vous voulez qu’on en parle en toute sincérité chez moi, à quelques rues d’ici ? » Affaire conclue. Son appartement, trente mètres carrés environ, était sans dessus-dessous. Moquette jonchée de cadavres de bouteilles, assiettes où subsistaient quelques chips, cendriers où une sorte de sciure brune exhalait une odeur encore écœurante,  et même… pailles (utilisées pour sniffer des lignes de coke et autres produits…). Par ailleurs, au fond d’un tiroir traînaient quelques sachets remplis de petits cailloux blancs avec des reflets azurés : de la drogue synthétique. « Hier soir, relatait mon interlocuteur, j’ai reçu une vingtaine de personnes pour une soirée très haut perchée… Tu vois le résultat ! Je vais mettre des jours entiers à nettoyer mon appartement. »

Grassement rémunéré, ce gars travaille en qualité de juriste au sein d’une collectivité territoriale. Il n’a donc aucune difficulté financière à se procurer de la came. « Mon dealer habite le quartier ; je peux l’appeler à n’importe quel moment et il se tient 24 heures sur 24 à la disposition de ses clients. S’il ne me répond pas, je peux en contacter d’autres, eux aussi très réactifs et serviables. Le gramme de cocaïne, c’est 80 euros. « De la pure », m’a garanti Luc. A certaines époques, par intermittence, son faible pour la toxicomanie devient plus fort que sa volonté de renouer avec un soupçon de raison. Et alors, il s’invente des maladies, avec la bienveillance de son médecin traitant, pour se mettre en arrêt de travail. Chaque lundi, Luc réitère une petite expédition nocturne : dans une ville de la proche banlieue, Bagnolet, il va faire provision d’herbe vendue au pied de tours (ou si vous préférez de la beuh, du shit, du haschich, de la weed…) « Un soir, je me suis fait interpeller par une policier en civil qui s’est contenté de me confisquer ma marchandise et qui m’a laisser filer sans autre procédure. »



Organisations criminelles tentaculaires – Commissaire à la retraire, Laurent (nom fictif, destiné à protéger une telle source) raconte que chacun de ses collègues détient la clef d’un coffre où sont stockées certaines prises faites par ses équipes. Selon la personnalité des uns et des autres, le coffre est plus ou moins bien gardé. Il arrive que des échantillons disparaissent, mais il faut également prévoir quelques arrangements avec des indics très spéciaux gagnant leur croûte grâce à des trafics occultes et dont la tranquillité est assurée grâce à la fourniture aux policiers de certaines informations ultra confidentielles. Rien de plus normal dans l’atmosphère brumeuse de la poudre…

Depuis le confinement, en France notamment, les accidents, incidents, agressions et délits en tout genre se sont multipliés avec, pour fil conducteur… la drogue. Soudain, des médias se sont mis à dénoncer des affaires qui, jadis, auraient été considérées à peine comme des « faits divers ». La France a découvert la puissance et la férocité de filières hors la loi commercialisant un éventail de drogues où il y en a pour tous les goûts : aussi bien de l’herbe en provenance (à 80 %) du Maroc, de la coke, des amphétamines, de l’opium, de la MDA, et – la plus dangereuse des drogues –  du crack…

Incontestablement : ces organisations criminelles, sont tentaculaires. Très bien structurées, elles disposent de moyens de pression considérables, recrutent des adolescents par centaines pour faire le « chouf » (mot arabe signifiant veilleurs) payés jusqu’à 500 euros par jour. Des immeubles, dans ce qu’il est convenu d’appeler « les cités » sont investis par les vendeurs de substances prohibées. Le culot de ces affairistes défiant la police est tel que, parfois, ils affichent les prix de ventes des produits mis à disposition d’une clientèle très panachée : aussi bien des enfants de bonne famille que des cadres supérieurs ou des bénéficiaires d’allocations sociales.» Sinon, comment expliquer le bien fondé de certaines statistiques réputées aussi sérieuses que la Midelca, la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives ? Parmi les révélations les plus glaçantes  émanant de cet organe : 39% des adolescents ont déjà fumé du cannabis à dix-sept ans. En France, il représente 80% de la consommation de l’ensemble des drogues et il concerne 3,9 millions de consommateurs, dont 1,2 million de consommateurs réguliers. Les Français sont les premiers consommateurs de cannabis en Europe.

Après cette drogue qualifiée de « douce » par ceux, assez nombreux, qui voudraient en dépénaliser l’usage, c’est la cocaïne qui se profile comme la substance psychotrope la plus consommée. Selon l’observatoire des drogues et de la toxicologie, 3% des jeunes Français déclarent l’avoir expérimentée, proportion qui monte à 4 % pour les citoyens les plus âgés. Mais attention : la coke ainsi vendue sous le manteau n’est pas toujours pure et les trafiquants s’adonnent à des mélanges aux conséquences d’autant plus redoutables pour les consommateurs. Ils « coupent » la coke avec toutes sortes d’ingrédients parmi lesquels, bien sûr, de l’ammoniaque.

La soudaine intuition d’une maman – Question souvent posée par le journaliste et animateur Pascal Praud lors d’une émission quotidienne sur la chaîne d’information en continu CNews: « Comment tant de jeunes gens se procurent-ils de l’argent pour acheter le cannabis et comment mesurer les effets dévastateurs de cette hyper consommation sur leurs facultés intellectuelles et leurs résultats scolaires ? »

Photos YLH



La famille L, dans une ville de la proche banlieue parisienne, Gennevilliers, semblait caressée par les ailes des anges de la Félicité jusqu’au jour où Samira, la mère de famille, fut saisie d’un doute : son cadet, un garçon pourtant gentil, a peu a peu changé de comportement. Devenu taciturne,  il s’enfermait souvent dans sa chambre, et… les notes sur son carnet scolaire ne cessaient de se dégrader.

Saisie d’une soudaine intuition, la mère de famille a fouillé dans les affaires de son fiston pour découvrir, horrifiée, tout un matériel qui attestait des habitudes de consommation peu avouables. Et c’est ainsi que cette famille réputée calme a dû redoubler d’amour pour un adolescent qui allait vraiment très mal. Consultation chez un psy, isolement pendant quelques mois dans un centre médicalisé de manière à le mettre à l’écart de mauvaises fréquentations… Parmi les conséquences les plus désastreuses : ce jeune garçon qui aspirait à devenir pompier a dû renoncer à sa vocation. Pendant plusieurs mois, il a cessé de fréquenter tout établissement scolaire.

« De la merde » selon le ministre – Il est à craindre que la bataille contre la dissémination de la drogue soit une bataille par avance perdue, tant les clans et mafias à la tête de ce business prometteur redoublent de malice et de « professionnalisme » pour conquérir toujours davantage de clients ponctuels ou réguliers.

Quelques mois après le déconfinement, le très remuant ministre de l’Intérieur, Gerald Darmanin, avait qualifié, non sans une certaine vulgarité, la drogue de « merde ». Or, voilà des dizaines d’années que 80% de l’herbe parvenant en France a pour provenance… le Maroc. Il serait si facile, en théorie, d’anesthésier tout ce trafic se déroulant à la barbe des pouvoir publics et des douaniers. Comment expliquer un aussi préoccupant double langage ? C’est bien la preuve que le pouvoir politique d’une certaine manière, ferme les yeux sur des problématiques qu’il pourrait sans doute résoudre assez aisément. Oui, la France serait promise, semble-t-il, à devenir un narco-état… au même titre que la Belgique et les Pays-Bas.

Des politiques très suspects – Un « fait divers », parmi tant d’autres, a intrigué les médias. Mélanie Boulanger, la maire socialiste de Canteleu, ville de 14.000 habitants a proximité de Rouen, a vu son nom mêlé à un écheveau de 19 personnes prétendument impliquées dans un trafic d’héroïne et d’armes lors d’un coup de filet de la police dans la région parisienne. Cette affaire remonte à avril 2022. Elle a été mise en examen pour complicité de trafic de stupéfiants, et placée sous contrôle judiciaire. Elle n’est pas la seule élue dans ce cas.

Plus grave encore : le très discret secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, a été mis en examen en septembre 2022 pour prise illégale de participation dans un géant mondial du transport maritime de containeurs, l’armateur italo-suisse MSC. Le siège social de MSC, qui a changé de configuration financière à plusieurs reprises, est à Genève. Or, ainsi que l’ont dévoilé plusieurs médias, parmi lesquels, le site en ligne Blast, on voit défiler du beau linge : Alexis Kohler serait lié à la famille Aponte , dont le patriarche est le fondateur de MSC. « La mère d’Alexis Kohler est la cousine germaine de l’épouse du fondateur de MSC, c’est-à-dire Gianluigi Aponte. » Et durant toutes ses années Alexis Kohler n’aurait jamais révélé ses liens familiaux, notamment lorsqu’il siégeait au conseil d’administration du Port du Havre et des chantiers navals de l’Atlantique.

Or, des enquêteurs américains ont prouvé que certains containers amassés sur le pont des 500 porte-conteneurs naviguant sous le pavillon MSC, hébergent des quantités faramineuses de cocaïne, ce produit qui actuellement inonderait la France. Citons, précisément, Blast : « Le 17 juin 2019 à Philadelphie, coup de tonnerre pour Gianluigi Aponte. Sur un navire de la banque JP Morgan exploité par MSC, les Américains découvrent seize tonnes de cocaïne, la plus grosse saisie jamais opérée dans toute l’histoire des Etats-Unis. Une dizaine de membres de l’équipage de MSC, originaires d’Europe de l’est, sont emprisonnés et condamnés. »

« Les nouveaux narcos » – Peu connue du grand public, cette affaire montre à quel point les narco trafiquants ont huilé, à leur manière, tous les rouages de la vie politique et économique. Et la liste des victimes ne cesse de s’allonger : familles brisées, jeunes gens au cerveau déchiqueté, quartiers rongés par un surcroît d’insécurité, menaces en tout genre, et coups de mou ressentis par les forces de l’ordre qui dans leurs rangs enregistrent de nombreux morts causé par la vindicte des trafiquants allant jusqu’à afficher les photos et les adresses de policiers dans des halls d’immeubles ?

En conclusion, « on » ne peut que recommander aux lecteurs d’Infoméduse la lecture de l’un des dossiers les plus nourris consacrés au business de la drogue publiés par l’hebdomadaire « Le Point » en date du 24 novembre 2022. En couverture : « Les nouveaux narcos ». Il y est question, en particulier, de la porte d’entrée privilégiée que sont les ports européens. Extrait de ce minutieux  reportage: « L’augmentation des prises n’est pas due qu’à l’efficacité des enquêteurs et des forces de l’ordre. Elle est surtout le résultat d’une offensive sans précédent des cartels de la drogue qui ont entrepris d’inonder l’Europe en profitant de l’intensification du commerce maritime mondial. A Anvers, les autorités savent bien que les saisies ne représentent que 10 % de la quantité qui transite par le port. Les douanes concèdent que moins de 2 % des conteneurs sont inspectés en entrant dans l’enceinte portuaire. La cocaïne s’infiltre partout, transforme l’économie et contamine toute l’activité humaine. »

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